Les Miss France face à la théorie du genre : la garde (des Françaises moyennes) résiste et ne se rend pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Les ABCD de l'égalité entraîneront-ils la fin des concours de miss ?
Les ABCD de l'égalité entraîneront-ils la fin des concours de miss ?
©Flickr

Miroir, mon beau miroir

La grand-messe annuelle des Miss France est retransmise ce samedi soir sur TF1. N'en déplaise aux pourfendeurs de stéréotypes et autres chantres de la théorie du genre, l'événement a encore de belles décennies devant lui.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : La France connaîtra l'identité de sa nouvelle "Miss", ou "reine de beauté", ce samedi 6 décembre. A  supposer que l'ABCD de l'égalité promu par Najat Vallaud Belkacem atteigne un jour ses objectifs, c'est-à-dire lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre, cela veut-il dire que plus personne en France ne proposerait sa candidature ?

Michel Maffesoli : Même dans l’ABCD de l’égalité des genres, il n’est pas dit que les caractéristiques physiques, sur lesquelles sont jugées essentiellement ces “Miss” perdraient leur caractère sexué : poitrine, hanche, chevelure etc.

Il est possible en revanche que cette idéologie change (je ne le crois pas) la perception qu’ont les hommes et les femmes des caractéristiques recherchées chez l’un ou l’autre sexe. Par exemple, il est clair que cette idéologie de l’égalité est une traduction politique d’une tendance profonde dans notre société vers le modèle “androgyne”. Ce sont bien sûr les femmes qui pensent correspondre le mieux au modèle choisi dans ce type de performance qui concourent ; je ne pense pas que les jeunes polytechnichiennes, prêtes à faire leur service dans l’armée et dont l’uniforme n’est pas véritablement glamour aient pour ambition d’être “miss France” !

Mais je pense que dans notre société pluriculturelle et fortement tribalisée, il y aura toujours des tribus de jeunes femmes souhaitant se conformer à ce modèle féminin disons traditionnel.

Car justement, si l’on suit la logique du genre, selon laquelle celui-ci serait construit, force est d’admettre qu’il y a forcément autant de modèles de femmes et d’hommes que de cultures différentes, de tribus différentes.

Dans notre société de l'apparence, qui voue un culte au physique et à son exposition aussi bien chez les hommes que chez les femmes, l'élection des Miss France participe-t-elle toujours d'un "éternel féminin", ou bien les dynamiques qui suscitent l'intérêt pour l'événement ont-elles changé ? Quelles sont-elles ?

Il me semble que ce qui a changé peut-être, c’est que l’élection de Miss France n’est pas seulement le fait du choix par les hommes de la femme estimée la plus jolie, mais également par les femmes elles-mêmes.

Se préoccuper de son corps n’est pas seulement une stratégie utilitaire, destinée notamment dans la période moderne à trouver un mari riche, mais tout simplement une jouissance immédiate.

Dès lors Miss France et les Miss régionales sont en quelque sorte les figures icôniques témoignant de cette forme d’hédonisme.

Traduisant moins la compétition inter-individuelle qu’une espèce de grand jeu collectif.

D'ailleurs bientôt aura lieu le coucours Mister France 2015  ; il n’y a qu’à voir l’importance prise dans les campagnes de publicité par les figures d’hommes jeunes, beaux et “objectivés” de même que le développement de la figure de la “cougar” qui traduit bien également cette recherche par la femme riche et vieille de l’homme jeune, beau et prêt  à offrir son corps.

L'événement est souvent méprisé par une certaine intelligentsia, au motif qu'il dévaloriserait les participantes, car seulement jugées sur leur apparence. Mais exiger des gens (et en l'occurrence, de ces aspirantes Miss France) qu'ils se conforment à un modèle "élégant" de réussite (sans exposer son physique, et sans jouer sur les codes féminins traditionnels), cela ne revient-il pas à exercer sur eux une forme de violence ? Pourquoi chercher à leur enlever cette part de rêve ?

En France, l’intelligentsia a souvent une attitude méprisante vis-à-vis des loisirs ou des préférences culturelles du peuple. Les historiens montrent que cette segmentation des loisirs en classes sociales remonte à l’époque moderne. Au Moyen-Age et dans l’Ancien Régime, les seigneurs jouaient avec leurs serfs de même que les adultes et les enfants pratiquaient des jeux en commun.

Je me demande si nous ne revenons pas à une telle époque, dans laquelle les différences dans les loisirs, les jeux, voire les habillements, correspondront moins aux différences socio-économiques qu’à d’autres ressorts : passions communes, goûts, origine géographique etc.

On voit déjà comment certains évènements musicaux, sportifs attirent des personnes très différentes par leur statut social. Il est donc possible que de même que les jeunes étudiants regardent les mêmes séries que leurs camarades des cités, les fans du concours de Miss France se recrutent dans des horizons plus divers.

En tout cas, si l’intelligentsia pense qu’être belle exclut d’être intelligente ou cultivée, cela montre bien à quel point elle est déphasée. En effet, notre époque voit revenir un corporéisme (une attention au corps), un hédonisme, valeurs que l’époque moderne (18ème-20ème siècles) avaient largement tenues pour secondaires. L’époque postmoderne est celle de la conjonction corps/esprit, intelligence/émotion et non plus celle de la coupure entre le corps et l’âme, ce monde-ci et l’au-delà, la Terre et le Ciel. Si bien que les jeunes femmes peuvent rêver d’être intelligentes sans avoir besoin d’être grosses et boutonneuses !  

Et quant au fait d’exiger des candidates qu’elles soient distinguées et modestes, je dirais plutôt que cela apparente ce concours à un jeu (parodiant les codes de la Haute Société) et que d’une certaine manière cela les relativise : ils relèvent de la mise en scène, du spectacle et ne sont plus des vertus.

Finalement, le concours Miss France n'est-il pas simplement l'un des reflets les plus exacts de notre société, n'en déplaise aux intellectuels et féministes toujours prompts à la critique ?

“Quand le monde devient enfin jeu” est le sous-titre du livre d’Aurélien Fouillet, L’Empire ludique (François Bourin). Peut-être ce concours est-il l’ancêtre des innombrables jeux télévisés du type Nouvelle star et autres. Aujourd’hui il me semble que son aspect ludique et spectaculaire a pris le pas sur son caractère compétitif.

Malgré les efforts faits pour le curialiser, ce jeu reste un peu vulgaire : exposition des corps, appréciation de leurs attributs, utilisation des stéréotypes les plus communs, tout ceci relève sûrement d’une image de la femme que d’aucuns et d’aucunes critiquent.

Ce qui montre combien ces idéologies qui critiquent, discriminent entre le Bien et le Mal et surtout imposent un modèle unique du Féminin (fût-il l’égal voire l’équivalent du masculin) s’apparentent à un modèle totalitaire. Bien sûr le concours de Miss France a été conçu à une époque où dominait un modèle unique de beauté féminine. Mais sa transfiguration à l’époque actuelle en jeu sans enjeu essentiel a rompu avec cette volonté unificatrice.

Choisir Miss France, notamment en votant pour telle ou telle candidate, ce n’est plus participer à la définition de la beauté absolue, mais c’est s’amuser, pendant un instant, au jeu éternel, “Miroir, miroir, qui est la plus belle ?”

Je dirais que le choix de Miss France est le choix de l’éternel féminin, mais qu’il s’agit d’une éternité d’un instant.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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