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Histoire secrète de la corruption sous la Ve République : quand les ayatollahs finançaient le PS
©Reuters

Bonnes feuilles

Inflation des campagnes électorales, financement des partis politiques, comptes en Suisse, emplois fictifs, résidences d'élus…D’une ampleur inédite, ce panorama brosse l’histoire des grandes "affaires" de corruption en France depuis le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 jusqu’aux plus récents scandales. Extrait de "Histoire secrète de la corruption sous la Ve République", de Jean Garrigues et Yvonnick Denoel, publié chez Nouveau Monde éditions (1/2).

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Yvonnick Denoel

Yvonnick Denoel

Yvonnick Denoel est historien, spécialiste du renseignement.

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François Mitterrand a poursuivi la politique officielle d’armement à outrance de l’Irak aux côtés de l’URSS, mais a aussi laissé l’État organiser plusieurs affaires secrètes de contrebande d’armes pour Téhéran. La vente de 500 000 obus à l’Iran par le groupe français Luchaire (pour 208,3 millions d’euros) a donné lieu à une instruction judiciaire qui n’a pas pu prouver l’existence d’une rétrocommission estimée par les spécialistes à près de 1 million d’euros, qui aurait été versée à deux fidèles du ministre de la Défense, Charles Hernu. Un pot-de-vin qui a été pourtant authentifié par le rapport du contrôleur général des armées, Jean-François Barba.

Une contrebande d’État

Tout commence le 21 mai 1984. L’amiral Pierre Lacoste, patron de la DGSE, alerte de vive voix le président de la République, puis, trois jours plus tard, le ministre de la Défense, Charles Hernu, sur les agissements délictueux du groupe français Luchaire. Depuis un an et demi, cette société expédie par bateaux entiers, à partir de Cherbourg, des obus de 155 et 203 mm et les fait livrer sur le port de Bandar Abbas (Iran). Destinées au régime des mollahs, ces exportations ont été autorisées par une commission spécialisée du ministère de la Défense, la CIEEMG (Commission interministérielle d’étude des exportations de matériel de guerre), d’après de vrais-faux certificats de destination finale délivrés par des pays complaisants. En principe, le Portugal, la Grèce, le Pérou, l’Équateur, le Brésil, la Thaïlande et la Yougoslavie auraient dû recevoir ces obus. Or, sur un dossier de cette importance, la CIEEMG ne pouvait pas se laisser abuser au vu du rapport des « officiers de zone ». Rattachés à la direction des affaires internationales de la DGA (Direction générale de l’armement), ces militaires connaissent parfaitement les besoins réels des armées étrangères, mais aussi les services acheteurs et, souvent, leurs hauts fonctionnaires. Un seul exemple montre que l’ordre a été donné à ces militaires de fermer les yeux. L’« officier de zone » responsable pour
la Thaïlande a donné son feu vert à l’achat d’obus de 203 mm à Luchaire par ce pays… alors que l’armée thaïlandaise ne possède pas de canon de ce calibre !

Pour le moins ennuyés par ces révélations, le président de la République et son ministre de la Défense conseillent alors, à demimot, à l’amiral Lacoste de s’occuper d’autre chose… En effet, l’alerte donnée par le patron de la DGSE n’empêche pas, pendant les vingt et un mois suivants, la poursuite de cette contrebande d’armes. L’amiral Lacoste va, lui, continuer d’informer, par écrit, ceux qui savent tout, en feignant de n’avoir rien compris… Luchaire, une société publique qui était au bord de la faillite, en 1982, avec 14,6 millions d’euros de pertes, va dégager, deux ans plus tard, un bénéfice de 6,8 millions d’euros grâce à ces exportations vers l’Iran. Une contrebande organisée par le cabinet du ministre de la Défense pour sauver cette société comme le reconnaîtra par la suite, sur procès-verbal, son président Daniel Dewavrin. Rien ne changera jusqu’au 28 février 1986, jour où le courageux journaliste Daniel Jubert sort l’affaire dans le quotidien La Presse de la Manche. Le nouveau ministre de la Défense, Paul Quilès (qui a succédé à Charles Hernu contraint à la démission en septembre 1985 suite au sabotage du Rainbow Warrior), « découvre » alors soi-disant l’affaire. Puis, il dépose plainte contre la société Luchaire, le 13 mars 1986, pour « infraction à la législation sur le commerce des armes de guerre ».

Des rétrocommissions pour le PS

Trois jours plus tard, la gauche perd les élections. Le nouveau ministre de la Défense, André Giraud, ordonne l’arrêt immédiat des livraisons d’obus à l’Iran et confie une enquête sur ce trafic à Jean-
François Barba. Dans son rapport, cet officier général n’emploie pas la langue de bois : « J’ai la conviction que les opérations illicites de la société Luchaire ont été couvertes par des membres du cabinet de M. Hernu, particulièrement Jean-François Dubos (chargé de mission et bras droit du ministre). Cette conviction est étayée non seulement par l’amiral Lacoste, mais aussi par le général Wautrin, ancien directeur de la Protection et de la Sécurité de la Défense, ex-Sécurité militaire. »

Toujours selon son rapport, plus de 29,7 millions d’euros de commission de FCE (frais commerciaux extérieurs) sur un contrat au total de 208,3 millions d’euros ont été avalisés par Bercy et payés à différents intermédiaires. Parmi ces versements, on remarque une petite rétrocommission de 978 000 euros remise par les acheteurs iraniens à deux membres du PS, des fidèles de Charles Hernu. Le premier : Paul-André Falcoz est un homme d’affaires savoyard, ancien dirigeant du Club Jean-Moulin qui, avec Charles Hernu, a soutenu Pierre Mendès France avant d’adhérer au PS. Le second : un ancien aviateur originaire d’Algérie, le mystérieux François Diaz, a animé deux sociétés du groupe Urba-Gracco, connu pour être une des pompes à finances du PS auprès des municipalités, avant de diriger, en 1982, à Villeurbanne, le Cerco (Conseil d’études et relations commerciales). Nommé par son ami le ministre de la Défense administrateur du groupe Dassault, François Diaz est le président bénévole de la commission de contrôle financier de la fédération PS du Rhône, Charles Hernu étant député-maire de Villeurbanne. Paul-André Falcoz et François Diaz ont toujours nié avoir reçu de l’argent des Iraniens.

Le rapport Barba montre que la plupart de ceux qui savaient quelque chose – militaires ou politiques – ont opportunément perdu la mémoire… Le meilleur exemple : à la lecture de sa déposition devant le contrôleur Barba, Jean-François Dubos (nommé le 3 février 1984 maître de requête au Conseil d’État par le président de la République) apparaissait simplement dans le rôle effacé d’une « Cosette », reléguée aux tâches les plus obscures par les Thénardier du cabinet du ministre de la Défense. Il se rappelait vaguement avoir reçu Paul-André Falcoz qui lui avait présenté le patron de la société Luchaire. Ils avaient parlé des possibilités d’exportation d’armes en général…

Michel Legrand, le juge d’instruction chargé de l’affaire, n’a pas pu obtenir le déclassement de documents classés confidentiel défense qui,seuls, pouvaient établir juridiquement la contrebande d’armes organisée par le cabinet du ministre et le versement par les Iraniens d’une rétrocommission au PS. Le ministre de la Défense giscardien André Giraud, puis son successeur socialiste, Jean-Pierre Chevènement, s’y sont opposés. Le 16 juin 1989, le magistrat prononce un non-lieu au bénéfice des trois inculpés : Daniel Dewavrin, président de Luchaire SA, Guy Motais de Narbonne, membre du directoire, et Jean-François Dubos, devenu depuis président du directoire de Vivendi.

Comment expliquer cette volonté de la droite comme de la gauche d’étouffer dans l’oeuf cette affaire de financement du PS ? Pour trois raisons. D’autres partis ont pu être bénéficiaires de ces rétrocommissions suspectées. De plus, il ne fallait pas braquer l’Iran qui conservait le pouvoir de faire libérer les otages français au Liban. Enfin, d’autres groupes d’armement de l’Hexagone profitaient eux aussi de trafics organisés vers Téhéran avec de probables rétrocommissions à la clé. La SNPE (Société nationale des poudres et des explosifs) a livré 250 tonnes de poudre à l’Iran pour qu’il fabrique lui-même ses munitions. Thomson-CSF (rebaptisé Thalès) a fourni des lampes-radars klystrons pour les missiles antiaériens Hawk iraniens et des caméras de vision nocturne. Matra a vendu des radars à Téhéran et des systèmes de freinage pour bombes air-sol…

Extrait de "Histoire secrète de la corruption sous la Ve République", de Jean Garrigues et Yvonnick Denoel, publié chez Nouveau Monde éditions, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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