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Les Bleus manquent-ils de panache face aux All-Blacks ?
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Sport business

L'équipe de France de rugby a été accusée par la presse néo-zélandaise d'aligner une équipe bis face aux All-Blacks, en vue de préserver ses joueurs et éventuellement rencontrer une équipe plus faible en quart de finale. Anti-sportifs les Bleus ?

Denis  Grozdanovitch

Denis Grozdanovitch

Denis Grozdanovitch est écrivain et ancien joueur de tennis professionnel. Il a sorti récemment son dernier livre, La secrète mélancolie des marionnettes.

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Atlantico : L'équipe de France de rugby a été accusée d'aligner face aux All Blacks son équipe B  afin de préserver leurs stars et d'obtenir un tirage plus clément. S'agit-il d'une attitude nouvelle dans le sport d'aujourd'hui ? 

Denis Grozdanovitch : Pour moi c'est un fait nouveau. Par le passé, ça arrivait, individuellement, de temps à autre. Mais par le passé il y avait un goût du panache, un goût de l'exploit, donc on ne faisait pas le calcul. Ça fait bien longtemps que les sportifs professionnels n'ont plus rien de sportif. Finkielkraut a bien dit que le sport professionnel est le tombeau des valeurs sportives. Les sportifs professionnels ne sont pas des sportifs au sens propre du terme, ils n'ont pas l'esprit sportif. Ce sont des spécialistes de leur domaine mais on ne les fera pas faire d'effort au dela de leur spécialité, ils n'ont plus le goût du jeu. C'est uniquement le goût de la performance.

Depuis quand observe-t-on cette perte de l'esprit sportif ?

Ça a commencé à la fin des années 1970. C'est lié aux aspirations du capitalisme libéral : un afflux d'argent invraisemblable qui a complètement changé la donne. Le sport professionnel est complètement inféodé au star-system. Ils sont prêt à faire n'importe quoi pour exister. Il y a deux phénomènes concomitants : à la fois devenir riche, mais au fond devenir une star. Le coté existentiel est plus important que le coté financier. Pierre de Coubertin voyait le sport comme une compensation à la nervosité ambiante que créait la société de consommation, une manière de se ressourcer. S'il voyait ce que sont devenus les Jeux Olympiques, il se retournerait dans sa tombe. Je suis vraiment pessimiste quant au sport professionnel.

Quelles sont les raisons de ce délitement des valeurs morales du sport ?

Il y a un rapport avec l'industrialisation croissante du monde. Ce sont des mannequins de l'industrie. Ils servent de faire-valoir pour certaines valeurs bidons comme le volontariat, être un bon petit soldat. L'esprit sportif, pour moi, c'est autre chose. C'est une manière de prendre la vie, de prendre les coups du sort avec un certain flegme, avoir le goût de la lutte, de l'effort, du jeu. Les sportifs professionnels sont devenus de vraies femmelettes dans la mesure où à force de s'analyser pour savoir s'ils sont en forme au moment où il le faut, ils deviennent complètement hypocondriaques. Ils sont chouchoutés de tous les cotés. Ça n'a plus rien de sportif ni de viril. C'est un monde complètement édulcoré.

L'absence de fair-play touche-t-elle uniquement les sportifs professionnels des sports médiatiques ?

Les vrais sportifs de notre époque sont les sportifs du dimanche. Moi-même, je joue encore au tennis au niveau amateur et je vois cet esprit mercantile, du star system, retomber sur le sport amateur et le pervertir. On voit des jeunes de 15-16 ans qui n'ont aucune chance de devenir des champions mais qui arrivent équipés et se comportent comme des champions. Ils sont dans leur rêve. Dans leur tête ils sont des champions, et ne vous adressent pas la parole. Cependant ce n'est pas la majorité non plus. Nombreux sont ceux qui font du sport de façon saine et sage, et se ressourcent dans les valeurs sportives.

Peut-on espérer un changement des mentalités ?

Le sport, tel qu'il est né au XIXe siècle en Angleterre, est mort. Mais il se créera sûrement un contre courant. Dans le tennis, par exemple, les grands champions font toujours un sport à coté et s'amusent. Pour Nadal, le tennis est tout sauf un jeu. Les grands champions vivent dans une angoisse permanente. Mais ils sont de grands enfants et ont besoin de continuer à jouer. Ils jouent par exemple au golf, et restent sportifs. Il y aura sûrement un jour une renaissance des valeurs sportives.

Au final, l'Histoire ne retient-elle que les vainqueurs ?

L'Histoire ne retient que les vainqueurs, certes. Mais j'ai toujours pensé que les meilleurs de chaque époque ne sont pas ceux qui gagnent. L'esthétique compte, et le seul sport où l'on prend encore en compte l'esthétique, c'est la boxe française. Au tennis, du temps de Borg, il y avait un joueur affreux, Gerulaitis, qui n'était que numéro 3, mais je préférais lui à Borg. De même, Federer n'est que numéro 3, mais il reste le meilleur joueur.

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