A 7 ans, ils passent à tabac un de leurs camarades de classe : comment les comportements des adultes encouragent la nature violente des enfants<!-- --> | Atlantico.fr
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Image extraite du film "Sa majesté des mouches", tiré du roman du même nom.
Image extraite du film "Sa majesté des mouches", tiré du roman du même nom.
©Allociné

L'enfant est un louveteau pour l'enfant

La semaine dernière un enfant de 7 ans a été roué de coups par une partie de ses camarades pendant que le reste d'entre-eux assistaient passifs à la scène. Si les enfants ont toujours fait preuve de violence entre eux, la société actuelle amplifie le phénomène.

Serge Tisseron

Serge Tisseron

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie, membre de l’Académie des technologies et du Conseil national du numérique. Son dernier ouvrage paru : « L’Emprise insidieuse des machines parlantes : plus jamais seul » (Ed. Les Liens qui Libèrent).

Il a réalisé sa thèse de médecine sous la forme d’une bande dessinée (1975), puis découvert le secret de la famille de Hergé uniquement à partir de la lecture des albums de Tintin (1983).

Il est l’auteur d’une trentaine d’essais personnels. Il a imaginé en 2007 les repères "3-6-9-12, pour apprivoiser les écrans", et le "Jeu des Trois Figures" pour développer l’empathie et lutter contre la violence dès l’école maternelle.

Il a créé en 2012 le site memoiredescatastrophes.org, la mémoire de chacun au service de la résilience de tous". Il est coauteur de l’avis de l’Académie des sciences "L’enfant et les écrans". Il est aussi photographe et dessinateur.

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : La semaine dernière dans le Tarn et Garonne, un enfant de 7 ans s'est fait violenter par ses camarades. L'enfant aurait subi un déferlement de violence tandis que le reste de ses camarades a assisté passivement à la scène. Ce genre de comportement est-il nouveau chez les enfants de cet âge-là ou a-t-il toujours existé ? A-t-on constaté une recrudescence de la violence chez les jeunes enfants ?

Serge Tisseron : Les sociologues estiment que rien ne prouve que les enfants d'aujourd'hui soient plus violents que les enfants d'hier. En revanche, il n’est pas nécessaire de savoir s’il y a plus de violence qu’hier pour s’en préoccuper.

Pierre Duriot : La violence est inhérente à la personne humaine, de manière naturelle. L'homme est, dans sa programmation d'origine, un prédateur ultime et sa violence est un élément de survie lui permettant d'évoluer en milieu hostile. Elle lui permet aussi une aptitude au combat et à la chasse. La société a changé, mais pas la nature humaine. L'éducation aussi a changé et bien sûr, on a réprimé cette violence, tout en l'exacerbant paradoxalement, en l'attendant même, dans certains domaines. Le sport, les affaires, la politique, le management... les métiers de leaders et d'engagement nécessitent une forme de violence, cette capacité à laminer son adversaire sans états d'âme, à s'imposer, pas toujours avec élégance, c'est le moins que l'on puisse dire, les exemples ne manquent pas. La forme du combat a changé mais l'affrontement reste et s'il n'est plus à mort réelle, il est parfois à mort symbolique.

La violence des enfants est permanente, tant que l'éducation, la socialisation, ne font pas leur œuvre. Mais il existe une expression nouvelle de la violence chez les jeunes, plus récente, extrême, due aux méthodes éducatives modernes, à la manière que nous avons de permettre cette violence, de la favoriser, quand ce n'est pas de la valoriser, notamment chez les petits garçons et de plus en plus chez les petites filles. D'une certaine manière, dans les cours de récréation, la violence est larvée, en permanence, les relations entre jeunes gens sont en tension, empruntes d'affrontements potentiels. Ils se jaugent, s'intimident et passent à l'acte, souvent en bande et souvent sur des victimes institutionnelles, à cause d'une différence, d'apparence, de comportement, d'une broutille... Et fréquemment, ils légitiment cette violence

Tous les enfants sont-ils susceptibles d'avoir ce genre de comportements ou existe-t-il des profils à risque ?

Pierre Duriot : Tous les enfants sont susceptibles d'avoir ce genre de comportements, en théorie, puisqu'ils sont tous de petits prédateurs en puissance. Mais pour certains d'entre eux, on a permis, dans l'éducation, le fonctionnement pulsionnel, violent, au prétexte que l'on souhaite son petit caïd viril à souhait, qui ne s'en laisse pas compter. On l'aime extraverti et bagarreur. On est plein d'admiration devant son "costaud" de rejeton... Jusqu'à ce que sa violence devienne ingérable pour ses géniteurs ou qu'elle se retourne contre eux, ce qui est toujours le cas. A ce moment-là, il est bien souvent trop tard et certains plis bien marqués vont être difficiles à contrôler.

L'autre profil, qui se cumule souvent avec le premier, est celui de l'incapacité à gérer le rapport à l'autre autrement que par la violence. Elle vient pallier, en cas de conflit, un manque de maîtrise de la parole, de la discussion argumentée, d'aptitude au compromis, un défaut de reconnaissance de l'altérité. Mais aussi, un manque de confiance en l'adulte, comme tiers susceptible d'avoir autorité pour médiatiser le différend. Ou carrément, le déni de l'adulte et de son autorité à juger le conflit de manière équitable et indépendante.

Serge Tisseron : Le film de Claire Simon "Récréation" montre que la violence entre enfants ne doit pas être sous-estimée, même chez les tout petits. La réalisatrice pose sa caméra dans la cours de récréation d'une école maternelle et montre que la violence structure déjà les relations, même s’il existe aussi des comportements d’entraide et de solidarité. Alors, faut-il diagnostiquer les enfants "à risque" précocement et les prendre en charge le plus tôt possible ? C’est utopique dans l’état actuel des connaissances, et surtout pas souhaitable. D’abord, on constate que les enfants agresseurs sont souvent eux-mêmes victimes d'agressions dans leur milieu familial. Si tous les agressés ne sont pas agresseurs, parmi les agresseurs, on trouve beaucoup d'agressés. Mais surtout, l'agresseur n'est pas seul à poser problème. Il y a également les spectateurs qui ne font rien et la victime qui n'appelle pas à l'aide un adulte. C’est pourquoi il faut imaginer une prévention qui aide à la fois les victimes, les agresseurs, les témoins à sortir de la spirale de la violence. De manière à ce que si un agresseur passe à l'acte, personne ne lui emboîte le pas, et que la victime proteste et alerte aussitôt un tiers.

Si l’attitude des victimes et surtout des témoins était changée, cela bouleverserait aussi la société adulte. Car ce genre de comportement y est hélas très courant. Des femmes battues qui ne protestent pas, un clochard passé à tabac dans le métro dans l’indifférence générale etc…

Comment expliquer ce phénomène ? Quelles sont les raisons qui poussent les enfants à des comportements aussi violents ?

Pierre Duriot : Les enfants autorisés par les adultes à fonctionner sur le mode pulsionnel sont les premiers à passer à l'acte, pour un oui, pour un non, mais d'autres suivent, sur le mode identificatoire. Un petit caïd, leader violent de cour de récréation, suscite une forme, à la fois de crainte et d'admiration : de crainte d'être sa victime, mais d'admiration devant sa force et sa violence. Alors on se range du côté du plus fort, on y va avec lui, pour être sûr de ne pas l'avoir contre soi, selon un processus très naturel et surtout très archaïque. Se tenir en retrait demande un effort intellectuel d'appréciation de la situation et une analyse dont peu d'enfants sont capables. Il se produit également une sidération chez les petits autres, débordés émotionnellement par le déferlement de violence et dans l'incapacité d'agir. Chez les plus petits, à sept ans, c'est bien à l'adulte présent, capable à la fois d'analyser et de réprimer, que revient le devoir d'intervenir.

Serge Tisseron : Il existe énormément de raisons. Certaines liées au fait que notre société est dominée par une idéologie de la réussite personnelle à tout prix, d’autres sont liées à l’environnement audio visuel hyper violents, d’autres encore à la précarité et à l’insécurité psychique des familles qui plongent les enfants dans un monde où il leur semble devoir eux-mêmes trouver leur propres limites, au risques de prises de risques considérables. Plus les parents sont insécurisés, plus les enfants le sont et quand on est angoissé, on est tenté de chercher un bouc-émissaire.

Comment est-il possible de parler de la violence avec ses enfants afin de les préparer à cette  éventualité mais aussi afin qu'ils ne cèdent pas eux-mêmes à ces attitudes violentes ?

Pierre Duriot : La présence de la violence, ou de la non-violence, est avant tout une manière d'éduquer et un exemple permanent à montrer dès les premiers moments de la vie. Ce sont aussi des limites à fixer fermement chez l'enfant sans se dire, comme c'est souvent le cas, qu'il est encore trop petit pour comprendre et que tout cela peut bien attendre. La première des violences, qui marque l'enfant très jeune, est celle de ses parents, qu'il voit ou qu'il subit et celle qu'on l'autorise, pour diverses raisons, à mettre en œuvre lui-même. Le petit sera capable de ne pas céder à des attitudes violentes, s'il n'a pas eu l'exemple de personnes identificatoires cédant elles-mêmes à la violence pulsionnelle et qu'il n'a pas intégré la violence comme un moyen naturel de gérer ses conflits. Une bonne maîtrise du langage, la fixation de limites tangibles, perceptibles par l'enfant, la reconnaissance de l'adulte comme ayant autorité pour faire cesser cette violence, vont permettre, non pas de la faire disparaître, puisqu'elle est inhérente à la nature même de l'homme, mais de la canaliser et de l'utiliser de manière créatrice et constructive.

Serge Tisseron : De nombreuses pistes sont possibles. Tout d’abord, alerter les parents sur les conséquences catastrophiques de la violence des adultes contre les enfants, des punitions corporelles peuvent transformer un enfant en agresseur. Il faut aussi alerter sur la violence des écrans, qui a des conséquences d’autant plus graves que l’enfant n’a aucun interlocuteur pour lui permettre de prendre du recul. Il faut aussi encourager les enfants à passer par des tiers pour médiatiser et résoudre leurs conflits. Lorsqu'un enfant rapporte à ses parents, ou à un enseignant, qu’il est victime de violences, il ne faut jamais lui répondre qu'il "n'a qu'à apprendre à se défendre", ou que "ce n’est pas grave". Enfin, il faut développer partout les attitudes mentales et relationnelles qui s’opposent à la violence. Cela signifie encourager les activités collaboratives et de tutorat à l’école, et y développer les activités de groupe dans le respect des différences. Et bien sûr encourager tout ce qui aide à un meilleur climat scolaire. L’activité appelée "Jeu des trois figures" (par allusion aux trois personnages de l'agresseur, de la victime, et du tiers qui peut être témoin, sauveteur ou encore redresseur de tort), permet développer l'empathie dès la maternelle et de continuer à le faire au collège et au lycée. Les enfants sont d’abord invités à évoquer des images qu’ils ont vues, au cinéma, à la télévision ou ailleurs. Partir des images évite les références aux situations de leur vie personnelle. Ensuite, avec  l'enseignant, ils construisent une histoire avec quelques actions et paroles. Puis dans un troisième temps, l'enseignant propose de jouer la petite scène. Tous les volontaires doivent alors absolument jouer tous les rôles. Et on le constate que dès le plus jeune âge, certains enfants sont volontaires pour jouer les agresseurs, mais pas les victimes, tandis que d’autres, notamment des petites filles, vont toujours vouloir jouer les victimes. Cela montre à quel point certains se perçoivent déjà toujours comme agresseurs ou victimes quelles que soient les circonstances. En jouant alternativement tous les rôles, ils se mettent successivement dans la peau de tous les personnages et apprennent à développer dans la vraie vie la capacité de s’imaginer à la place de l’autre. Il y a aussi dans cette activité un temps pour nommer les émotions et les raisons pour lesquelles elles sont éprouvées. Elle dure 45 minutes, et elle est d’autant plus efficace qu’elle est pratiquée une fois par semaine sur l’ensemble de l’année.

Si jamais ces derniers ont été victimes ou ont assisté à une scène de violence, quelle est la meilleure attitude à adopter ? 

Pierre Duriot : La scène violente, vue à la télévision ou dans la réalité, doit faire l'objet d'un débriefing, l'enfant n'ayant pas forcément l'âge d'avoir intégré des outils d'analyse lui permettant d'interpréter ce qu'il voit. Un enfant très jeune ne fait pas la différence entre un faux meurtre dans un film de fiction et un vrai mort à la guerre, lors des actualités du soir. La relation parlée à l'adulte, l'explication, la catégorisation des violences subies ou vues, leur étalonnement, vont construire les capacités de jugement et de distanciation, médiatiser, mettre à portéed'analyse, éviter le débordement des affects et donc leur gestion. C'est un vrai travail, tant les occasions d'assister à des scènes de violence sans avoir les moyens de les gérer sont devenues nombreuses dans nos mondes modernes.

Serge Tisseron : Aujourd'hui, il y a dans les écoles des médiateurs scolaires. Et leur action fonctionne d'autant mieux que ce sont des grands enfants (14 à 16 ans) et non des adultes qui aident les plus jeunes à comprendre les tenants et aboutissants de leurs violences.

Propos recueillis par Carole Dieterich

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