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 La panique identitaire identifiée par Joseph Macé-Scaron se joue-t-elle dans sa tête à lui ou dans celle des Français ?
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Qui suis-je, où vais-je...

Dans son livre, "Panique identitaire", Joseph Macé-Scaron montre que les questionnements autour de l'identité sont mondiaux, mais que l'identitaire ne peut pas être une réponse à ces interrogations.

Atlantico : Vous avez publié à la fin du mois d'octobre 2014 "Panique identitaire", à peu près au même moment Eric Zemmour publiait "Suicide français". Si vous ne partagez pas les thèses de son auteur, comme lui vous faites preuve de pessimisme quant à l'avenir. Le rapport des Français à leur(s) identité(s) est-il tellement perturbé qu'il faille s'en inquiéter en ces termes ?

Joseph Macé-Scaron : Mon livre montre que cette question n’est pas seulement française, ou européenne comme on a pu le croire au lendemain des élections européennes, mais qu’elle est plus générale, et même planétaire puisque j’emploie le terme de « pandémie politique ». En France plus particulièrement, lorsque le débat s’est tenu autour de l’identité nationale, ce n’était plus vraiment d’identité qu’il s’agissait, mais d’un monologue identitaire. Dans ce monologue, l’identité était bâtie et fantasmée par rapport à un adversaire extérieur et/ou intérieur. Créer de la sorte une identité française de substitution, c’était aller contre ce qui constitue certainement le cour le plus intérieur de l’identité française réelle.

L’identitaire consiste à bâtir de toute pièce une identité folle, de substitution, hors sol. Qu’elle soit politique ou religieuse, elle ne répond pas à la question de l’identité. Nous héritons de notre identité, nous la choisissons parfois à  travers notre existence, et enfin nous la construisons, de même qu’elle nous construit. Malraux écrivait que « l’homme ne se définit pas par ce qu’il est, mais par la somme de ses actes ». Or avec l’identitaire, l’homme se définit une fois pour toutes, c’est-à-dire « sois, et éternellement demeure. » C’est pourquoi j’emploie souvent l’expression « d’assignation à résidence. » Vous êtes censé naître musulman, berrichon, normand, catholique, bourgeois, ouvrier… et votre vie durant, vous portez cette étiquette. Avec l’identitaire, vous êtes rangé dans une boîte dont vous ne pouvez jamais sortir.

Ceci est donc suffisant pour parler de « panique identitaire » ?

L’identité en soi ne nous panique pas. Il faut bien s’entendre sur les termes : nous avons une personnalité qui nous définit, mais à l’intérieur se trouvent plusieurs identités. Il y a celle héritée de nos parents respectifs, de notre environnement social, culturel ou cultuel, etc. Tout au long de notre vie nous pouvons mettre le curseur sur l’une d’entre elles, mais nous pouvons en changer. Et cela se vérifie même à l’échelle d’une journée. Montaigne affirmait que l’homme est « ondoyant » : nous nous levons le matin avec une identité, des goûts et des désirs, et le soir, lorsque nous nous couchons, ceux-ci sont différents. Mais nous gardons toujours la même personnalité. C’est cette dernière qui aujourd’hui est confondue avec l’identité, formant une identité dévoyée. C’est cela, l’identitarisme.

Comment se manifeste concrètement cette panique identitaire en France selon vous ?

Elle se définit à travers des djihadistes qui ne sont pas de culture musulmane mais qui considèrent que cette identité, bâtie de bric et de broc dans cette aculture religieuse crasse qu’est l’islamisme qui est plus une religion politique qu’effective, correspond à leur soif d’absolu. Cet exemple récent illustre bien la côté « panique » de l’identitarisme.

D’autres exemples peuvent être cités, plus lointains mais tout aussi significatifs. L’Inde s’est choisi un Premier ministre, Narendra Modi, qui est un intégriste hindou extrêmement dangereux. Nous autres européens avons tendance à croire que tout hindou est l’héritier de Gandhi, alors qu’en réalité le courant auquel appartient Modi est précisément celui qui a assassiné le Mahatma. Il propose une indianité qui est d’un intégrisme, d’un sectarisme et d’un totalitarisme totalement délirant.

En France, considérez-vous que des phénomènes aussi différents que la polémique autour de Dieudonné, la percée du FN ou la Manif pour Tous participent de la même panique identitaire ?

Concernant la Manif pour Tous il faut faire la différence entre ce qui relève de l’interrogation ressentie par les manifestants qui se voyaient enlever ce point de repère qu’est pour eux la famille, et ce qui relève de l’identitaire. Je pense notamment au Printemps français, dont les membres sont descendus dans la rue pour défendre une famille construire par les idéologues du 19e siècle mais qui n’a jamais réellement existé ailleurs que dans les traités d’ordre moral. Les personnes qui vivaient en toute bonne foi un trouble de l’identité se sont vu noyauter par ceux qui se disent identitaires au sens politique du terme. Les européennes ont permis de voir ce que ces gens pèsent au travers du score de Christine Boutin (0.71%, ndlr).

Le FN quant à lui est dans sa grande majorité un mouvement identitaire que je qualifierai de pâté d’alouette, avec Florien Philippot à la place de l’alouette et Marion Maréchal-Le Pen à la place du cheval. C’est un parti nationaliste, qui n’est pas patriote.

Vous citez justement dans votre livre une phrase de Romain Gary "le patriotisme est l'amour des siens. Le nationalisme est la haine des autres." Marine Le Pen s'est prononcé dimanche 23 novembre pour une "alliance patriote" : la classe politique a-t-elle trop longtemps abandonné ces thématiques à l'extrême-droite ?

Marine Le Pen s’approprie des termes qui permettent d’échapper à la critique identitaire. Elle est forcément coincée par la question des alliances. Nous avons publié un sondage qui montre que pour les prochaines élections régionales une majorité des sympathisants UMP est prête pour des alliances ponctuelles ou de principe avec le FN, mais plus étonnant encore, une plus grande majorité de sympathisants FN vont dans le même sens. Il existe une droite identitaire qui est composée d’une grande partie du FN et de l’UMP, qui tôt ou tard aura vocation à constituer un seul et même parti. Le succès d’Éric Zemmour s’explique par le fait que ses lecteurs sont des électeurs appartenant à cette mouvance qui n’est pas encore incarnée par un parti. Mais lorsqu’ils achètent son livre, ils adhèrent à ce parti qu’ils appellent de leurs vœux.

Jean-François Kahn le disait déjà avant moi : en abandonnant la patrie et la nation vous faites de la place à ses substituts. J’entends par là que vous interrompez une tradition politique qui a vu tous les hommes politiques donner leur vision de la France, de la patrie et de la nation. Même François Mitterrand, dont on peut trouver la vision de la France vieillotte et trop paysanne, avait le mérite d’être en dialogue avec l’histoire et la terre de France. Cela ne s’est plus retrouvé ni chez Nicolas Sarkozy, ni chez François Hollande. Lorsque la réflexion sur l’identité est interrompue, l’identitaire récupère la place. C’est exactement la même chose pour le religieux : l’intégrisme religieux ne naît pas d’une explosion du religieux mais de l’absence de culture religieuse. Revisitée par les islamistes ou les intégristes catholiques, la religion devient pathétique, dénuée de spiritualité et vampirisée par les rituels.

Vous évoquez Fernando Pessoa, et estimez que l’écrivain s'était "doté d'une foule d'identités en surcroit de la sienne, des identités qui avaient fini par ferrailler et polémiquer les unes avec les autres". Aujourd'hui le manque de cohésion sociale rend-il cette cohabitation des identités possible ?

Absolument, l’absence de cohésion sociale et politique rend la cohabitation de diverses formes d’identités de plus en plus difficile et contradictoire.

Est ce qu'il y a vraiment une crise identitaire, ou plutôt des élites dépassées par l'affirmation identitaire des peuples ?

Les élites ont abandonné le fait de réfléchir sur l’identité en général, ce qui a permis à l’identitarisme de  prospérer. Ces élites évoluant bien souvent hors du réel, elles ne savent plus ce que sont les identités. Mais la presse aussi est concernée par ce travers, notamment la télévision. Les personnes caricaturales sont mises en avant, supposées représenter leur communauté d’origine, alors qu’en réalité elles ne représentent rien du tout. Les élites, quand l’envie de traiter de l’identité leur revient, s’adressent aux mauvais interlocuteurs, cédant ainsi aux stéréotypes.

Face à cette « panique identitaire » on a envie d’objecter que globalement les gens savent qui ils sont, mais qu’ils ne se retrouvent pas forcément dans les propositions d’identités « ouvertes », « multiculturelles » ou « modernes ». Et s’ils voulaient juste qu'on les laisse être ce qu'ils sont ?

Je ne pense pas que les gens sachent si bien que cela qui ils sont. S’ils étaient si enracinés, si solides dans leurs fondements et sûrs de la direction qu’ils suivent, les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui n’existeraient pas. Aujourd’hui nous ne vivons pas dans le goût des autres, comme je le dis dans l’un des chapitres du livre, mais le dégoût des autres : les voisins ne sont pas supportables, ceux du quartier d’à côté non plus… Tout simplement, ce qui est proche nous est insupportable, parce que nous nous sentons menacés dans notre identité, et nous éprouvons le besoin de construire un mur imaginaire pour pouvoir mieux nous définir.

Non pas dans un objectif de rejeter l'Autre, ce qui est le propre de la panique identitaire selon vous, mais plutôt dans une logique de vivre ensemble, ne vaut-il pas mieux partager un certain nombre de valeurs communes ?

On peut en rêver, mais force est de constater que cela ne marche pas. La Catalogne, par exemple, se trouve livrée à l’identitarisme pur, il n’est plus du tout question de fortifier l’identité régionale. Le racisme linguistique prévaut, les non catalans deviennent des citoyens de seconde zone. Ce qui se passe juste à côté de chez nous est terrible, des couples « mixtes » sont même  obligés de partir s’installer ailleurs !

Les mouvements qui s’opposent à la globalisation ne sont pas ceux qui demandent plus de démocratie ou de droits sociaux, mais ceux qui prônent le repli identitaire. C’est un vrai problème.

A vous écouter, l’avenir semble assez sombre…

Pas du tout. Une grande partie de la panique identitaire s’est propagée par le net, qui est riche en identités virtuelles et de substitution. La « fachosphère », « l’islamosphère » et tant d’autres se sont développées sur le net, certes, mais je pense que le mouvement peut d’inverser en très peu de temps sous l’impulsion de personnes qui décident d’agir en citoyens, sans céder à la haine.

Si le débat sur l'identité nationale qui avait été initié par Nicolas Sarkozy a connu un tel tollé notamment parce qu'il s'est limité aux questions d'immigration et d'intégration, faut-il pour autant s'interdire toute tentative de débat sur le sujet ?

Il ne faut pas se l’interdire, bien au contraire. Mais encore faudrait-il débattre de l’identité réelle, car le débat que vous citez a fini par opposer les « Français de souche », avec tous les guillemets qui entourent l’expression, aux Français nouvellement arrivés. En quoi le fait de se limiter à parler de cela définit-il l’identité de la France ? La France, qui est traditionnellement universaliste, n’a malheureusement pas fini de subir les conséquences de ce débat.

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