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Lucien Jerphagnon : professeur 
d'éducation métaphysique
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Disparition

Lucien Jerphagnon, professeur émérite des Universités, grand connaisseur du monde grec et latin, s’est éteint vendredi 16 septembre à l’âge de 90 ans. Hommage.

Stéphane Barsacq

Stéphane Barsacq

Stéphane Barsacq est écrivain. Il a récemment publié le roman Le piano dans l'éducation des jeunes filles (Albin Michel, 2016) et est le co-commissaire de l'exposition "Bakst : des Ballets russes à la haute couture", qui se tient au Palais Garnier de Paris jusqu'au 5 mars.

 

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Avec la mort de Lucien Jerphagnon, un monde vient de disparaître, un autre se prépare ; ce monde nouveau, c’est celui des lecteurs qui vont découvrir ce grand homme, au propre comme au figuré, qui fut aussi, à égalité, un grand érudit de l’Antiquité et un grand styliste de notre langue dans la tradition de Henri Bergson ou Cioran.

Pour qui veut découvrir l’esprit des Grecs, approcher les œuvres de Saint Augustin, dont il fut l’éditeur pour la « Bibliothèque de la Pléiade », ou se familiariser avec les pensées de Blaise Pascal ou de Vladimir Jankélévitch, longtemps son propre maître, dont il fut l’assistant à la Sorbonne, les livres que Lucien Jerphagnon nous lègue sont irremplaçables, et méritent tous de figurer dans la bibliothèque digne de ce nom : celle de « l’honnête homme » vanté par Bernanos.

Car ces livres possèdent tous la même qualité : ils agissent d’emblée sur le lecteur. Faire l’expérience de lire Jerphagnon, c’est faire le pari d’une conversion. Conversion à la vérité, au sens où Platon l’entendait, lorsqu’il cherchait à désigner ce par quoi l’être humain se rend digne de ce nom, quand il sort de la Caverne. Alors, grâce à ce maître, qui ne trompe pas son lecteur, ni ne se fait valoir à ses dépends, on découvre le monde sous une nouvelle lumière : cette lumière née aux confins de la Méditerranée, et dont les soirées romaines continuent à offrir le spectacle.

En un demi-siècle de publications, Lucien Jerphagnon a su rendre le passé aussi vivant que le présent, et le présent aussi intemporel que l’avenir, en quoi il avait foi, prouvant, par le fait, qu’il était à 90 ans, d’une jeunesse d’esprit étincelante. Pour qui le rencontrait, ce qui frappait au premier abord, c’est que Lucien Jerphagnon semblait résumer tous les siècles : il tenait de Socrate par l’ironie, de saint Augustin par la vue mystique, mais aussi bien de ces « Messieurs de Port Royal » par son dépouillement, son humilité et sa douceur dégagée de tous les faux-semblants. Sa fine moustache lui donnait un air de cardinal Richelieu qui aurait prié Plotin avec un à-propos qui sait faire fi des oppositions entre Païens et Chrétiens.

Devenu célèbre sur le tard, Lucien Jerphagnon a parfois été enfermé dans une caricature de Professeur Nimbus, ce qui a caché l’essentiel, à savoir le profond sérieux de sa démarche. Certes, il était d’un esprit vif-argent, toujours à dégonfler les baudruches (les idéologies de la bien-pensance actuelle, tous les totalitarismes du XXe siècle, comme les fausses gloires de notre hédonisme ultra égoïste) ; mais ce qui le retenait, c’était ce qui rend libre, ce qui anime d’un souffle ce qui semble mort, ce qui rend vivant la vie en tant que telle. Lucien Jerphagnon était un professeur d’éducation métaphysique pour qui, ce qui importe, c’est l’amour de l’amour.

Ce qui m’a frappé au cours des années, c’est que Lucien Jerphagnon revenait toujours sur sa déportation en Allemagne. Il livrait une clef. Sa passion pour la vie, si présente dans ses livres - dont le dernier, véritable testament, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles, des entretiens avec Christiane Rancé, parus le 1er septembre chez Albin Michel -, cette passion n’avait rien de superficiel : c’était la vue d’un être qui a vu la mort en face et qui a fait le choix de la joie.

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