Entre efforts et mauvais coups du gouvernement, les entreprises ont-elles joué le jeu de l’emploi et de la croissance ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les entreprises n'ont pas forcement montré des signes d'engagements en termes d'emploi, comme l'avait promis Pierre Gattaz.
Les entreprises n'ont pas forcement montré des signes d'engagements en termes d'emploi, comme l'avait promis Pierre Gattaz.
©Reuters

Point d'étape

Des fuites relayées par "Der Spiegel" laissent entendre que le rapport Pisani-Ferry / Enderlein pourraient annoncer de nouvelles mesures en faveur des entreprises. Même si le pacte de responsabilité ou le CICE n'ont pas produit entièrement les effets attendus, les entreprises n'ont pas forcément montré non plus des signes précurseurs d'engagements en termes d'emploi ou d'investissement. Sous prétexte d'une absence de demande, auraient-elles cherché avant tout à se verser des dividendes ?

Laurent Allias

Laurent Allias

Laurent Allias est le cofondateur du CJE, le Cercle des Jeunes Entreprises, de Josiane, une agence de publicité, et des Chatons d'Or, un Festival ouvert aux idées qui font avancer les idées.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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  • Le gouvernement mène une politique pro-cyclique qui nuit à l'activité. D'autre part, il fait s'évanouir la confiance des acteurs économiques et enclenche des stratégies de contournement : certains secteurs sont en recul de 25%.
  • Le CICE est complexe d'utilisation. Tous les experts-comptables le confirment. De plus, selon certaines sources, il apparait que seuls 8 mds ont été consommés sur les 20 théoriques prévus.
  • La concurrence et les hausses de charges ont entraîné une baisse continue du taux de marge qui est passé de 31,2% en 2011 à 29,7% en 2013 et que l'Insee anticipe – en moyenne – à 29,4% pour l'année 2015.
  • De 2012 à 2014, le tandem Ayrault-Moscovici a orienté l'Etat vers le déploiement d'une panoplie fiscale impressionnante : hausse de la TVA en 2014, hausse de l'impôt sur les sociétés et hausse de la fiscalité et des charges des artisans et professions libérales (voir l'évolution des cotisations du RSI).
  • Les entreprises françaises ont du mal à lutter contre l'effet de gamme et de qualité des produits allemands, et sont désormais désormais en concurrence avec les pays d'Europe du Sud.
  • En France, nous avons une tendance naturelle à évoquer les charges qui augmentent pour justifier la diminution de la croissance des entreprises, mais c'est surtout la diminution de la demande et le mauvais positionnement des produits qui sont en cause.
  • En éxonérant les entreprises de charges sociales pour les catégories de salaires allant jusqu'à 1,6 SMIC, le gouvernement a favorisé notre objectif de production sur une gamme moyenne.

Atlantico : Le 3 novembre dernier, Michel Sapin a tenu à rappeler l'importance du rôle des entreprises françaises dans la relance économique du pays, ainsi que pour résorber le chômage. Bien que faisant référence au premier volet du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), le ministre fait-il également allusion à d'autres mesures ou dispositifs pro-entreprises ? Finalement, que peut-on dire objectivement du contexte créé par les gouvernements successifs depuis 2012 pour les entreprises ?

Jean-Yves Archer : Lorsqu'un gouvernement décide des hausses importantes de prélèvements obligatoires (sur les entreprises comme sur les ménages) alors que la croissance est déjà faible, il faut être clair sur le double impact qu'il engendre. D'une part, il mène une politique pro-cyclique qui nuit à l'activité. D'autre part, il fait s'évanouir la confiance des acteurs économiques et enclenche des stratégies de contournement : depuis l'expatriation jusqu'au développement de l'économie souterraine en passant par l'abattement moral qui participe au gel des investissements. (Recul de plus de 25% en valeur dans certains secteurs).

Ce contexte a bel et bien été introduit en 2012 et distribué sur la place publique par un mégaphone alors porté par Arnaud Montebourg dont certaines déclarations ont montré un brio oratoire tout autant qu'un mépris des entrepreneurs.

La mesure phare qui est mise en avant, à savoir le CICE, est complexe d'utilisation. Tous les experts-comptables le confirment. De plus, selon certaines sources, il apparait que seuls 8 mds ont été consommés sur les 20 théoriques prévus ce qui prouve le semi-échec opérationnel de la mesure qui n'a pas été sectoriellement adaptée.

Ainsi, une petite fonderie du Loiret aura touché, toutes proportions gardées, les mêmes bases de CICE que le groupe La Poste (premier bénéficiaire...) ou les grands distributeurs dont les nuits ne sont pourtant pas hantées par des questions de lourde compétitivité.

Parallèlement, la concurrence et les hausses de charges ont entraîné une baisse continue du taux de marge qui est passé de 31,2% en 2011 à 29,7% en 2013 et que l'Insee anticipe – en moyenne – à 29,4% pour l'année 2015. Soit entre 5 à 8 points en-deçà des taux de marge de notre partenaire allemand (voir étude sur longue période de l'Afep).

Depuis 2012, le virage progressivement effectué vers une politique de l'offre n'aura finalement été rendu explicite par le Chef de l'Etat en personne qu'en date du 14 janvier 2014 (Conférence de presse). Pourtant, si l'on effectue la somme des impôts alourdis sur les entreprises et les dégrèvements liés au CICE, le jeu n'est pas à somme positive, loin s'en faut. La compétitivité a donc été, selon les secteurs, dégradée par le gouvernement Ayrault.

Cela, malgré des taux d'intérêt bas qui pourraient inciter à investir sous réserve que la visibilité des carnets de commande à venir ait une consistance.

Ces dernières mesures ont-elles permis aux entreprises de supporter la lourdeur du cadre fiscal préexistant, l'un des points principaux des revendications du patronat ? Quelles autres mesures et dispositifs décidés pendant ces deux années ont rajouté à cette surcharge fiscale ?

Jean-Yves Archer : La dernière année du gouvernement Fillon avait déjà enregistré et mis en œuvre une hausse de la fiscalité. De 2012 à 2014, le tandem Ayrault-Moscovici a orienté l'Etat vers le déploiement d'une panoplie impressionnante : hausse de la TVA en 2014, hausse de l'impôt sur les sociétés et hausse de la fiscalité et des charges des artisans et professions libérales (voir l'évolution des cotisations du RSI).

Au risque de vous paraître paradoxal, les indicateurs économiques qui permettent d'affirmer que cette politique économique a été hasardeuse et regrettable vient de la différence que l'Etat a lui-même été contraint d'enregistrer entre les recettes fiscales prévisionnelles et la réalité finale de celles-ci. Car enfin, s'il y a eu de telles rentrées dites déceptives, c'est bien que la croissance a été très en retrait de ce que Bercy escomptait.

A jouer aux apprentis sorciers en temps de quasi-récession, on brise – tel un verre en cristal – le socle de la confiance.

Demande intérieure en berne, investissements à tendance baissière, quels éléments macro-économiques ont également poussé les entreprises à s'adapter ?

Jean-Yves Archer : Les mauvaises perspectives sur le pouvoir d'achat et la crainte de la crise (constitution d'une épargne de précaution) ont effectivement cassé le dynamisme de la demande. Corrélativement, cela a atteint ce que Keynes appelait " la propension à investir " en fonction de la demande anticipée.

Mais il y a un autre point : si nous avons du mal à lutter contre l'effet de gamme et de qualité des produits allemands, nous sommes désormais en concurrence avec les pays d'Europe du Sud qui ont appliqué (moyennant un lourd effort social) des baisses relatives de leurs coûts salariaux afin de redevenir compétitifs.

Que ce soit en matière d'investissements, de stratégies ou d'utilisation des disponibilités, comment les entreprises françaises se sont-elles adaptées au contexte depuis 2012 ?

Philippe Crevel : Le taux de marge français est structurellement traditionnellement plus bas que celui de ses partenaires comme l'Allemagne. On peut expliquer sa dégradation de deux manières : le fait que les commandes diminuent, et le fait que les charges qui pèsent sur les salaires et les investissements demeurent élevées. 

Cette chute du taux de marge a deux conséquences. Elle provoque d'une part une diminution de l'investissement qui tient en deux raisons : pas de perspective de croissance, et la réduction des coûts nécessaires dans un marché plus difficile. Le deuxième aspect, c'est l'augmentation des licenciements (500 000 demandeurs d'emplois en plus depuis 2012).

En France, nous avons une tendance naturelle à évoquer les charges qui augmentent dans la diminution de la croissance des entreprises, or c'est surtout la diminution de la demande et le mauvais positionnement des produits qui sont en cause. Notre appareil productif est focalisé sur une gamme moyenne, laquelle est très exposée en cas de crise économique. Et l'on peut dire que c'est également un choix porté par le législateur en place, qui, en éxonérant les charges sociales pour les catégories de salaires jusqu'à 1,6 SMIC, a continué à favoriser cet objectif de production. 

Il est risqué de jouer sur les salaires et le coût du travail dans un contexte déflationniste comme le notre. De plus, et bien que les salaires nets français soient relativement dans la moyenne, le pouvoir d'achat des Français est moyen. Trop tirer sur les salaires porterait donc atteinte à la consommation des ménages, et toucherait donc les entreprises françaises, même si ce n'est qu'à la marge. 

Jean-Yves Archer : Si l'on prend l'exemple des industries agro-alimentaires, l'Espagne est redevenue un compétiteur tenace tout autant que les PME industrielles du nord de l'Italie. Ceci a contraint nombre d'entreprises françaises à réagir et à recourir à des réductions d'effectifs en guise de variable d'ajustement. Parfois d'autant plus brutalement que nos voisins étaient eux-mêmes en croissance atone. Ceci a alimenté le chômage de masse.

Laurent Allias : Nos entreprises investissent. Mais plus sagement, plus tactiquement.

La crise a d'un côté annihilé ceux qui ne veulent pas prendre de risques. C'est-à-dire ceux qui ont beaucoup à perdre - les grands groupes entre autre - et de l'autre côté elle a décuplé la force créatrice des innovateurs. Ceux qui n'ont rien à perdre et qui veulent "changer le monde", "casser des marchés", créer les usages de demain. Ce sont ceux qui croient en l'économie collaborative, à une industrie plus propre, à révolution industrielle à venir. Des utopistes peut-être. Des optimistes sûrement. Ce sont surtout ceux qui pourront faire avancer le pays dans le bon sens.

Il faut garder en tête que l'investissement en R&D est fiscalement très avantageux en France, soutenu par les crédits d'impôts recherche. C'est également l'innovation qui permet d'exporter, d'être compétitif et d'avoir un bon rapport de force avec ses partenaires.

Le taux de marge des entreprises connaît une baisse régulière depuis 2010, passé de 31.6 à 29.7. Pour autant, les bénéfices en 2012 étaient 2.6 fois plus importants (voir graphique en dessous) que les investissements. Comment expliquer ce phénomène, dans un contexte où les bénéfices sont très liés au taux de marge qui s'inscrit dans une tendance baissière ?

Jean-Yves Archer : Le taux de marge est un indicateur motivant pour le producteur et sécurisant pour sa trésorerie. La crise voit des effets-dominos en matière de défaillances d'entreprises notamment du fait de l'importance du crédit inter-entreprises qui dépasse les 500 milliards d'euros (source Coface).

Lorsque l'on cite une comparaison entre les bénéfices et les investissements, il faut prendre garde à bien examiner les situations selon les tailles des firmes. Les grands groupes mondialisés ont su profiter des nouvelles zones de croissance (Chine, Inde, etc) ce que ne peuvent pas faire la majorité des PME.

Il est exact que les grands groupes ont opté pour une politique soutenue de dividendes (afin de continuer à attirer des actionnaires et de pouvoir renforcer leurs fonds propres) du fait que leur capital social est le plus souvent détenu à près de 56% par des fonds étrangers.

L'investissement doit être analysé posément sous l'angle d'un triple curseur :

  • En mal de trésorerie, une entreprise n'investit pas et est dans une logique de sauve-qui-peut.
  • En mal de compétitivité, une entreprise se cantonne à des investissements limités dits de modernisation (par opposition à des investissements de capacités).
  • En mal de compréhension de l'évolution de ses marchés domestiques ou à l'export, une entreprise sursoit à tout investissement.

Je me permets d'insister : le gel des investissements ne vient pas que de la demande anticipée mais aussi des plafonds d'affacturage, du crédit fournisseur, etc. Donc de la trésorerie nette détenue et du cash-flow envisagé.

Laurent Allias : Si certains investissements ont été réduits, ce n'est pas uniquement par manque de demande. Mais par manque de confiance en l'avenir. Par sécurité d'une certaine façon. Mais nos entreprises ne demandent que cela. D'investir.

Depuis 2012, les entreprises et leurs dirigeants ont des difficultés à savoir sur quel pied danser. François Hollande, à vouloir contenter tout le monde, fait le grand écart, promet tout et rien. Donc rien ne se passe. Le changement c'est maintenant. Sauf que maintenant ce n'est pas tout de suite.

Nous sommes dans une économie complètement globalisée et dans une compétition effrénée au sein même de l'Europe. L'une des particularités de notre pays c'est le taux d'épargne des ménages. Ménages qui subissent d'un côté un discours de "relance", de l'autre la précarité, les banques qui prêtent peu et un climat de tension ambiant. Cette double contrainte imposée empêche le développement de la demande. 

En octobre, le chef du département conjoncture de l'Insee a déclaré, après la sortie d'un rapport alarmant sur les perspectives économiques françaises pour 2015, que le "principal le principal problème de l'économie française était un déficit de demande". En quoi une meilleure demande participerait effectivement à stimuler les perspectives, remplir davantage les carnets de commande et relancer globalement le moteur de l'économie française ?

Jean-Yves Archer : Une politique de l'offre est nécessaire pour notre pays et la bataille du rétablissement de la compétitivité doit être gagnée. Cela étant, d'évidence, ce serait " mourir guéri " que de vouloir se focaliser sur la seule offre au détriment de soutiens sélectifs à la demande.

Je partage donc une large partie du constat de l'Insee en y ajoutant une variable-clef en économie : il faut apaiser les tensions et ranimer la notion dissipée de confiance. Sans elle, ni l'offre ni la demande ne seront au rendez-vous d'une économie française assainie et d'un projet sociétal acceptable par un corps social abîmé par toutes ces années de crise.

Laurent Allias : C'est avant tout un déficit de confiance que notre économie vit. Un déficit issu d'une crise beaucoup plus structurelle que ce que l'on peut percevoir. Plus industrielle que financière. La crise financière n'est que le mirage devant des problématiques plus profondes. Toute notre économie - ce qui nous entoure, ce que nous achetons, ce que nous consommons, ce que nous vendons - s'appuie sur ce qui a été créé ou découvert au 20ème siècle, voire avant.

Toute notre économie s'appuie encore, dans les grandes lignes, sur une perception verticale du monde, centralisée et sur l'énergie fossile, amenée à disparaitre tôt ou tard. A mi-mandat présidentiel, nous ne sentons pas de "Plan", de direction prise par le gouvernement. Nous devons comprendre que notre monde change. Notre politique économique doit a minima suivre le pas, au mieux donner la cadence. Aujourd'hui, elle ne fait ni l'un ni l'autre.

Evidemment que la demande est nécessaire. Mais la demande est en bout de chaîne. Pour créer de la demande, il faut créer de la confiance et donc de la compétitivité. Et cette compétitivité viendra si on change notre état d'esprit.

Quels sont les atouts de la France ? Qu'est-ce qui a fait notre force ces 40 dernières années et doit ressurgir pour relancer la pompe économique ? Notre créativité. Mais pour être créatif, il nous faut un cadre, une direction.

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