Plan Juncker, le mirage du siècle : la France ne bénéficiera pas du tout des 315 milliards de relance et voilà pourquoi <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.
©Reuters

Opération grosse Bertha monétaire

Mercredi 26 novembre, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, dévoile son programme d’investissements pour la zone euro de 315 milliards d'euros. Mais le diable se cache dans les détails... Et entre les pénalités que la France pourrait avoir à verser à Bruxelles concernant son budget 2015 et le montant réel du plan de relance à 21 milliards, cette dernière n'a que peu de chance de pouvoir en profiter. Tout n'est pas perdu cependant : des solutions de grande ampleur demeurent.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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La semaine promet d’être longue pour les institutions européennes. Ce mercredi 26 novembre, Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, dévoile son fameux programme d’investissements, puis, le 27, ce sera au tour de Jean Pisani Ferry et de Henrik Enderlein d’annoncer leurs propositions pour un plan de croissance franco-allemand. Enfin, le vendredi 28, la France devrait enfin accéder au plaisir nouveau de voir son budget oblitéré par la Commission Européenne.

  • Comment le plan de relance de  315 miliards d'euros est finalemant passé à 21 milliards

Le programme de Jean Claude Juncker mérite le coup d’œil. Le 15 juillet dernier, suite à sa nomination à la tête de la Commission européenne, l’ancien premier ministre du Luxembourg tenait un grand discours devant la Parlement pour présenter son projet "Un nouvel élan pour l’Europe : mon programme pour l’emploi, la croissance, l’équité et le changement démocratique".

Au sein de ce document, quelques phrases avaient suscité les espoirs de nombreux dirigeants "J'ai l'intention de présenter, dans les trois premiers mois de mon mandat et dans le cadre de l'examen de la stratégie Europe 2020, un programme ambitieux en faveur de l'Emploi, de la Croissance et de l'Investissement."

"Je suis convaincu que nous pouvons faire un bien meilleur usage du budget commun de l'Union et de la Banque européenne d'investissement (BEI) (….). À mon sens, nous devrions pouvoir mobiliser jusqu'à 300 milliards d'euros supplémentaires d'investissements publics et privés dans l'économie réelle au cours des trois prochaines années."

Le montant fut dévoilé à cet instant-là, il est aujourd’hui attendu à 315 milliards d’euros. Les espoirs les plus fous sur une sortie de crise européenne prenaient alors le dessus au sein des discours des dirigeants européens. L’austérité et la rigueur ne sont plus qu’un lointain souvenir, maintenant c’est la relance qui va dominer l’Europe. A deux doigts. Le diable se cache dans les détails puisque la part de fonds publics ne représentera que 6.7% de l’ensemble, soit 21 milliards d’euros. Rien de plus. 15 milliards d’euros au titre du budget de l’Union Européenne et 6 milliards d’euros au titre de la Banque Européenne d’investissement. Le reste, c’est-à-dire les 294 milliards sur un total de 315 ne représentent qu’une hypothèse de participation de fonds privés aux projets d’investissements européens.

  • La France ne peut prétendre qu'à un montant de 2 milliards d'euros sur les 3 prochaines années (soit 0,7 milliards par an)

Et 21 milliards d’euros consacrés à la relance, cela ne représente que 0.11% du PIB de l’Union Européenne. Même pas une paille. A l’échelle de la France, qui représente environ 10% du PIB de l’Union ou 20% de la zone euro, ce montant ne représente que 2 milliards d’euros. Et ce pour les 3 prochaines années, soit 0.7 milliards par an. A ce stade, le montant annuel ne représente plus que   0.035% du PIB pour la France entre 2015 et 2017. Un chiffre à rapprocher du titre donné au programme de Jean Claude Juncker : « Un nouvel élan pour l’Europe ».

  • La Commission pourrait demander à la France un effort de 4 milliards d'euros pour 2015 

La difficulté supplémentaire de l’annonce de ce plan en ce 26 novembre est que la Commission Européenne doit délivrer son verdict sur la situation du budget de la France dans la foulée. A priori, ce sera pour le vendredi 28.  Et selon les « rumeurs », après avoir demandé un ajustement de 2.1 milliards le mois dernier, la Commission s’apprête à demander à la France un effort supplémentaire de 4 milliards d’euros pour 2015. Soit près de 6 fois le montant du plan Juncker pour la même année en France.

Depuis le début, le plan Juncker n’a été qu’une opération marketing. Cette politique est aujourd’hui basée sur l’espoir de créer un malentendu. De la même façon, lorsque François Hollande annonce qu’il n’y aura pas de hausses d’impôts pour 2015, il faut comprendre que le gouvernement ne décidera pas de nouvelle hausse d’impôts dans le courant de l’année 2015 au titre de l’année 2016. Et dans la même veine, au niveau européen, cela donne les 315 milliards du plan Junker qui ne sont finalement que 21 milliards. Pourtant, à la fin de cette semaine, cela signifiera surtout que la France devra faire face à plus de 3 milliards d’économies supplémentaires au titre de son budget 2015. C’est-à-dire que quelques hausses d’impôts pourraient bien être décidées en cette fin d’année au titre de 2015. Et la promesse ne sera plus qu’un malentendu.

Par Nicolas Goetzmann

  • Pour qu'un véritable scénario de relance fonctionne en Europe, il faudrait...

1. ... que l'Allemagne relance sa croissance 

Ce plan nécessiterait, pour être considéré, une prise en compte des différences de rythme entre les différents pays de la zone européenne. Schématiquement, il y a plusieurs catégories de pays en Europe. Ceux qui en constituent le cœur, avec l’Allemagne en premier lieu, et les pays périphériques, qui doivent à la fois regagner en compétitivité, mais aussi assainir leurs dépenses publiques. L’Allemagne jouit à la fois d’un excédent commercial extérieur vis à vis de ses partenaires, mais n’a de surcroît pas de problème particulier de finances publiques. Il y a donc un déséquilibre avec ses principaux partenaires comme la France qui sont déficitaires.De ce point de vue, il faudrait, pour faciliter les choses, que l’Allemagne consomme et investisse davantage.

Le problème de l’Allemagne réside moins dans le fait qu’elle exporte trop, mais plutôt qu’elle n’importe pas assez. L’Etat, les entreprises, et les ménages allemands épargnent donc trop, et l’investissement manquant est extraordinairement difficile à supporter pour les pays périphériques qui consomment elles autant.

Il s’agirait donc de relancer spécifiquement la consommation à ces trois niveaux en Allemagne. Bien qu’il soit difficile dans un pays libre de déterminer l’utilisation des disponibilités privés, l’investissement public est quant à lui tout à fait utilisable en ce sens. D’autant que les besoins se font sentir après une longue séquence où l’Allemagne de l’Ouest s’est serrée la ceinture pour reconstruire les infrastructures de l’ancienne Allemagne de l’Est. C’est donc aujourd’hui à l’Ouest d’avoir besoin d’investissements publics. Il y a donc là une réelle opportunité pour les collectivités locales allemandes et les Länders, et pourquoi pas l’Etat allemand de débloquer des fonds et rénover cette partie de l’Allemagne. Etant son premier partenaire économique, la France tirerait donc les bénéfices de ces investissements à court terme, notamment dans les secteurs comme l’immobilier ou la construction.

Par ailleurs, et pour jouer sur la consommation des ménages, il est tout à fait envisageable d’augmenter les salaires minimums, même si j’ai personnellement des doutes sur son impact sur l’économie globale. Dans le même ordre d’idée, des baisses d’impôts ciblées pour les retraités par exemple, ou dans le domaine du social joueraient également à favoriser la consommation intérieure en Allemagne. Théoriquement cependant, cette mesure encore, eu considérée par le législateur allemand, pourrait profiter aux entreprises françaises du tourisme ou encore de l’automobile.

En théorie, il existe des mécanismes qui permettraient de faire pression sur l’Allemagne pour aller dans le sens, comme les mesures présentes dans le Six Pack où il est stipulé qu’un pays membre qui aurait des excédents excessifs serait tout aussi fautif que celui qui souffrirait d’un déficit excessif ! Quand la Commission a fait semblant d’en toucher un mot à l’Allemagne l’an dernier, cette dernière s’en est offusquée en accusant la Commission de s’en prendre à l’économie modèle européenne, et en reportant la faute sur les autres pays dont la compétitivité est soi-disant lacunaire. Pour autant, ces sujets prennent de plus en plus d’ampleur dans les débats allemands, qui sont quant à eux beaucoup moins figés que ce que l’on imagine en France, où l’on peut avoir une vision caricaturale de leur schéma de pensée. Ce plan là est donc l’un des plus cohérent au regard de la situation.

2. ... que les dettes européennes soient réechelonnées

C’est l’un des scénarios « bombe atomique », mais qui pourrait s’inviter de lui-même à la table des négociations pour une vraie relance. L’un des scénarios que l’Union européenne ne peut pas se permettre ne pas envisager est la non-reprise économique de la zone euro avant très longtemps, et en particulier dans les principales économies européennes. On pourrait pour l’illustrer le cas de l’économie japonaise par exemple qui se débat dans une récession néfaste. Si l’on considère que ce scénario correspond au contexte actuel, c’est à dire une inflation trop maigre, voire une déflation dans certains pays à laquelle s’ajoute une faible croissance, les pays qui ont de fortes dettes comme l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce ne pourront pas payer leurs emprunts. Ceci signifierait donc qu’un rééchelonnage des dettes - comme nous l’avions fait pour la Grèce-, et une restructuration de ces dettes publiques serait nécessaire pour favoriser un retour de la croissance. Le principal intérêt de cette action politique serait d’augmenter les durées d’échéance, et bien sûr de réduire la charge de la dette.

En termes de coût politique, dans le cas où cette restructuration serait adoptée, une crise financière de très grande ampleur s’abattrait sur la zone euro. Nous nous souvenons des réunions à Deauville entre Mme Merkel et M Sarkozy lorsque cette solution était envisagée. C’est une solution extrêmement délicate à mettre en place car les détenteurs des dettes en question seraient en quelque sorte pris en otage, et devraient accepter d’être payées moins que prévus comme ça a été le cas dans les années 1980 avec le plan Brady, et qui concernait les pays en voie de développement (65 milliards d’abandon de créances à l’époque).

En revanche, le bénéfice est à la hauteur du coût que nous venons de décrire, puisqu’il en résulte une baisse significative de la charge de la dette au point de la mettre à un niveau acceptable pour les populations. On n’imagine mal qu’une partie allant jusqu’à 50% du budget de l’Etat soit consacré au remboursement de la dette. Il y a un seuil de pourcentage de PIB par habitant que la population est prête à payer sous forme de dette au créditeur, surtout lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous. En Italie, en Espagne et en Grèce, les trois partis nationalistes enregistrent des scores qui étaient absolument inenvisageables il y a quelques années. Si l’on reste dans cette même situation pendant encore trois, ou quatre années supplémentaires, ces derniers n’auront pas peur de mettre cette mesure à exécution. Nous ne pouvons pas imaginer échapper continuellement aux accidents électoraux.

3. ... que la BCE procède à un assouplissement monétaire

Si ces trois plans ne sont pas considérés, alors c’est la BCE qui a toute la charge de soutenir l’activité économique. Or il lui serait possible de faire de l’assouplissement monétaire à haute dose, une politique de prêts à taux très bas, avec un rachat de dettes massif… Bref, tout ce dont les allemands ne veulent pas aujourd’hui.

Cette solution permettrait d’ailleurs de faire davantage pression sur l’Allemagne. Bien que ce ne serait pas une bonne chose d’arriver à une telle situation, faire peser une décision de création monétaire sur la zone Euro pourrait pousser l’Allemagne à relancer sa demande intérieure, avec tous les bénéfices décrits plus haut.

D’autant que la BCE est autonome, un attribut désiré d’ailleurs par les allemands. Maintenant, est-ce que Mario Draghi pourrait avoir une majorité au Conseil pour faire du quantitative easing plus longtemps ? Ça se discute, mais d’un autre côté, ce serait certainement une arme utilisée au cas où les autres pays membres n’étaient pas satisfaits de l’action allemande.

par Alexandre Delaigue

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