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L’UMP à l’épreuve de la Manif’ pour tous
L’UMP à l’épreuve de la Manif’ pour tous
©Reuters

Le sens de l'Histoire

Il y a un mois, l'idée que la droite revenue au pouvoir pourrait remettre en cause la loi Taubira instituant un mariage homosexuel n'était pas prise au sérieux dans les hautes sphères de l'UMP. Comme dans le passé, la droite, disait-on, ne saurait remettre en cause une évolution sociétale allant dans le sens de l'Histoire. Et quel intérêt, en termes purement politiciens, de se mettre à dos de puissants lobbies pour une question dont, au fond, tout le monde se fichait ?

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Nicolas Sarkozy se montrait irrité quand on la posait. François Fillon avait certes dit, au moment du vote, que "ce qu'une loi a fait, une autre peut la défaire", mais il pense aujourd'hui que ce sera, en l'espèce, difficile.

Alain Juppé, en bon bordelais pragmatique, surtout préoccupé d'économie, ne cachait pas son refus de remettre en cause la loi Taubira.

Bruno Le Maire, qui s'était abstenu lors du vote, encore moins.

Hervé Mariton, candidat à la présidence de l'UMP et décidé, lui, à abroger la loi, paraissait dans ce contexte, isolé.

Commet s'étonner d'ailleurs de cette position de la plupart de ceux qui comptaient à l'UMP puisque nul n'ignore que si la droite avait vraiment voulu bloquer la loi au Sénat, elle en avait les moyens : ne l'ayant pas fait, s'étant prêtée au contraire à la mascarade du vote à main levée, elle en partage à sa manière la paternité.

Et pourtant, n'était ce pas faire là bon marché de l'immense mouvement qui s'était levé pour combattre la loi Taubira ?  On a beau se gausser de la dominante catho, bcbg de la Manif pour tous, celle du 24 mars 2012 qui rassemblait près de 1,5 million de personnes est sans doute la plus importante manifestation de l'histoire de France. Faire comme si elle n'avait pas eu lieu : telle était la tentation de l'UMP, d'autant plus paradoxale que son électorat (et non celui du Front national comme on l'a prétendu ) y était largement majoritaire.

C'est Nicolas Sarkozy qui, le premier, a rompu le tabou par son discours du 15 novembre 2014 devant le club Sens commun, courant de l'UMP animé par des jeunes de la Manif pout tous : en admettant d'abord qu'il fallait réécrire la loi, puis en concédant que cette réécriture reviendrait "si vous voulez" à une abrogation.  Le débat était ainsi relancé.

L'ancien président a réussi une bonne opération, non seulement parce qu'il a fait immédiatement un bond en avant dans les sondages, mais surtout parce que le thème de l'abrogation de la loi Taubira lui a permis de se replacer au cœur de la droite.

La nécessité d'un marqueur fort

Le temps où Maurice Duverger expliquait que les élections se gagnaient au centre gauche est bien terminé. Il faut être désormais, comme disait François Hollande, le candidat "normal" de  son camp. Avoir un programme sérieux et lisse, politiquement correct, ne suffit pas. Il faut un thème emblématique, un marqueur fort. Ce thème doit correspondre à un certain moment de l' histoire politique française : deux ans après les grandes manifestations, et compte tenu qu'elles s'opposaient à la réalisation à la fois la plus significative et la plus controversée du président  Hollande, le thème du mariage homosexuel s'imposait. La position prise doit en outre avoir du relief. Il faut pour cela  qu'elle soit  transgressive par rapport à l'idéologie dominante et suscite la controverse, sinon elle reste noyée dans l'immense bruit de fond médiatique.

François Mitterrand, le premier, avait compris cela en 1981. En  adoptant  presque tout le programme de nationalisations du Parti communiste, malgré  les réticences de beaucoup de socialistes et le risque du "mur d' argent", il faisait une double opération : il  gardait les électeurs du PC que Moscou poussait en sous-main à voter Giscard ; il s'installait surtout dans le champ symbolique comme un vrai candidat de gauche. Qu'importe que, en dehors de France, le vent du libéralisme ait déjà commencé à souffler ou que le parti socialiste ait été quelques années après le champion des privatisations. En 1981, cette stratégie réussit.

Nicolas Sarkozy n'a peut-être pas fait tant de calculs ; mais son instinct politique lui avait dicté la même stratégie aux élections de 2007 quand il avait évoqué, de manière déjà transgressive, l'identité nationale. Sa proposition d'abroger la loi Taubira se situe dans la même ligne.

Il ne faut naturellement pas se faire d'illusions sur cette  proposition. Il l'a faite du bout des lèvres, sous l'effet de l'ambiance (comme le général de Gaulle avait lâché  une fois  dans un  contexte analogue  l'expression  d'"Algérie française") et dès le lendemain s'attachait  à en minimiser la portée, sa garde rapprochée (Hortefeux, Dati, Morano) marquant son désaccord.

En pratique, elle risque de s'avérer difficile à mettre en œuvre. Deux mariages, l'un bisexe, l'autre unisexe ? La masse des opposants à la loi Taubira, demeurée dans la mouvance de La Manif pour tous risque de ne pas se satisfaire que demeure un "mariage homosexuel" (au mieux ils lui préféreront l'"union civile" chère à Frigide Barjot), et le lobby LGBT n'acceptera bien entendu jamais qu'on remette en cause de quelque manière la loi actuelle, traduction législative de la théorie du genre, en discriminant entre deux types de mariage. Ses protestations ont été immédiates et elles servent d'ailleurs Sarkozy dans la mesure où elles laissent supposer que ses propositions sont sérieuses.

Sarkozy réélu abrogerait-il davantage la loi Taubira qu'il a nettoyé les banlieues au karcher entre 2007 et 2012 ? La question reste ouverte. Et, malgré la naïveté de beaucoup, les membres de Sens commun se la posent sans doute. Il reste que la percée symbolique de Sarkozy leur profite en les sortant de la marginalité où ils étaient relégués il y a quelques semaines.

Si l'ancien président apparait sur le plan politique comme le gagnant de l'opération, on ne saurait oublier que la longue marche à laquelle il se prépare reste parsemée d'embûches : sans s'attarder sur les aléas judicaires possibles, il est clair que son retour a suscité au sein même de l'UMP moins d'enthousiasme que sans doute il espérait. Et François Fillon, actuellement dans une mauvaise passe, n'a pas encore dit son denier mot.

Cette de prise de position a aussi contribué à donner un surcroit de crédibilité à Hervé Mariton, chaudement acclamé le 15 novembre. Homme sincère mais jusque là peu audible, il présente cependant, au gré de beaucoup de militants, l'avantage de ne pas être candidat à la primaire. Son élection garantirait que le présidant du mouvement jouera vraiment le rôle d'arbitre, évitant une probable scission si le scrutin apparaissait entaché de partialité.

Bruno Le Maire, jeune et talentueux, normalien et énarque, comme Alain Juppé et Laurent Wauquiez (alors que Hervé Mariton est polytechnicien et énarque !) risque d'être, malgré les apparences, le perdant de l'opération Sens commun non pas tant parce qu'il s'est fait copieusement huer par ce public très particulier mais parce que sa position sur le mariage homosexuel se retrouve décalée par rapport à ce qu'est aujourd'hui le centre de gravité de la droite. N'étant transgressif sur rien, il risque d'apparaitre, avec ses yeux bleus et son teint clair comme incolore, inodore et sans saveur. S'il veut être le candidat de la droite en 1997, il lui faut un marqueur fort; pour le moment, il n'en a pas. 

Sa position lui vaut cependant un bénéfice immédiat : dans des médias monolithiques sur le sujet, son acceptation de la loi Taubira vaut déjà à Bruno Le Maire beaucoup plus d'invitations qu'à Hervé Mariton ! Cela avait été déjà le cas de Nathalie Kosciusko-Morizet.

On peut en dire autant d'Alain Juppé dont les positions contre la révision du mariage homosexuel est dans la ligne de centre gauche qui a toujours été la sienne.

Jacques Chirac engendra Juppé et Villepin ; Villepin engendra Le Maire. Leurs positions se situent clairement dans la ligne "social-démocrate" de Chirac.

Juppé et Le Maire peuvent être confortés dans leur choix  par des sondages nationaux qui leur sont très favorables et qui dont certains les placent même avant Sarkozy. Phénomène classique propre aux candidats d'un camp qui , par leur modération ou certaines positions décalées, récoltent de nombreux avis favorables dans le camp d'en face. Ils battent alors les records de popularité sans que cela préjuge de leur destin national : ainsi Simone Veil, Bernard Kouchner ou Jacques Delors.

Les opposants à l'abrogation n'en risquent pas moins de s'ajouter à la liste déjà longue des victimes politiques de la loi Taubira : Nathalie Kosciuszko-Morizet a sans doute perdu une part de sa légitimité à droite en s'abstenant sur ce vote ; la droite parisienne a certes voté pour elle mais sans enthousiasme et sans véritable mobilisation. Même chose pour la sénatrice Fabienne Keller qui a perdu Strasbourg pour avoir voté la loi. Les deux grandes capitales internationales de France échappant à l'UMP à cause des ambiguïtés de ses candidats, ce n'est pas rien ! Une seule grande ville a été reconquise par la droite: Toulouse, où, dans la discrétion, Jean-Luc Moudenc avait joué le jeu normal de son camp en participant à toute les manifestions et en votant contre la loi Taubira.

Jean-Pierre Michel, le sénateur socialiste ardent propagateur des droits des homosexuels et  fondateur du Syndicat de la magistrature a été battu à plate couture dans le Haute-Saône.

Roger Karoutchi qui s'était , dit-on, entremis pour que la droite laisse passer la loi Taubira au Sénat a été battu à la présidence du groupe UMP par Bruno Retailleau , issu du villiérisme.

Il est temps que la droite française reconnaisse le changement de paradigme de la politique occidentale. Dans un système bipartisan, on n'est pas élu à la limite des deux camps , pas non plus aux extrêmes, mais dans son camp, au plus près de son centre de gravité.

Il n'y a pas de sens de l'histoire

L'autre version de ce nouveau paradigme: depuis la chute du communisme en 1990, il n'y a plus de sens de l'histoire. Le temps où la droite, accédant au pouvoir, se devait d'avaliser, voire devancer, les réformes de la gauche, est révolu. Cela avait un sens au temps où la gauche faisait d'abord des réformes sociales utiles, sous Léon Blum ou Guy Mollet. Cela n'était déjà plus vrai avec les nationalisations de François Mitterrand, entièrement détricotées depuis.

Cela ne peut plus l'être du tout aujourd'hui où presque toutes les réformes de la gauche ne sont plus sociales mais idéologiques, et, comme tout ce qui est idéologique, malfaisantes. S'imposer de "ne pas revenir en arrière", c'est d'abord se laisser piéger par le langage de l'adversaire qui impose l'idée qu'en toutes choses, il y a un avant (qu'il incarne) et un arrière, c'est surtout se priver d'emblée de la possibilité de résoudre les problèmes de la France qui, pour la plupart, si l'on y regarde bien résultent de réformes idéologiques faites ou en tous les cas inspirées par la gauche (par exemple à l'éducation nationale) . 

Ce raisonnement vaut particulièrement pour la pression fiscale. Longtemps a prévalu et prévaut encore dans les collectivités locales l'idée que sa hausse était, elle aussi, irréversible, la droite étant elle-même responsable d'une partie de ces hausses, sous Giscard et sous le deuxième gouvernement Chirac. Là aussi , une inversion des courbes est désormais nécessaire.

On comprend qu'une droite qui ne serait pas prête à toucher à la loi Taubira inspirera des doutes sur sa capacité à remettre en cause les autres réformes funestes de la gauche - et donc à réformer en profondeur la France.

On peut même aller plus loin : les électeurs pourront légitimement se demander à quoi servirait une droite qui ne ferait que freiner de temps en temps les prétendues "avancées de la gauche" . La gauche serait le cheval qui avance hardiment et la droite l'âne qui avance à reculons, le cul devant ! Une posture qui pouvait être acceptée en d'autres temps de la part de la droite modérée mais qui ne tient plus aujourd'hui où sa légitimité est violemment concurrencée, sur sa droite, par le Front national.

Une gauche idéologique de plus en plus délirante a beau se prévaloir du sens de l'histoire, le peuple l'admet de plus en plus difficilement et ne prendra plus au sérieux un candidat de droite qui, au motif d'être raisonnable ou modéré, ou de "rassembler", n'aurait d'autre ambition que de ratifier l'œuvre de ses adversaires. Se montrer "raisonnable" avec la déraison : il n'est plus temps.

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