Israël, "État national du peuple juif" : un mauvais symbole mais une portée pratique limitée<!-- --> | Atlantico.fr
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Benyamin Netanyahou, Primier ministre israelien.
Benyamin Netanyahou, Primier ministre israelien.
©Reuters

Crispations identitaires

Le gouvernement israélien a validé par 14 voix sur 22 ministres le projet loi fondamentale visant à définir l’État hébreu comme non plus "juif et démocratique" mais comme "l'État national du peuple juif". C'est à la Knesset désormais de se prononcer. Un message symbolique envoyé aux Palestiniens certes, mais aussi un penchant de plus en plus assumé vers le pôle juif et identitaire plutôt que vers l’option israélienne-hébraïque laïque.

Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Atlantico : Dans quel contexte ce projet s'inscrit-il ?

Gil Mihaely : Ce projet s’inscrit dans un contexte de crispations identitaires de plus en plus fortes au sein de la société israélienne. D’un côté, le refus de Palestiniens de renoncer clairement et publiquement au droit au retour de réfugiés de la guerre de 1948 à leurs anciennes maisons (un retour qui implique le bouleversement de l’équilibre démographique à l’intérieur d’Israël et donc, la démocratie étant étroitement liée à la démographie, risque de mettre en péril la majorité juive) pousse certain à vouloir graver le caractère juif d’Israël dans le marbre.

Pour Benyamin Netanyahou, c’est un message  aux Palestiniens : il s’agit d’une ligne rouge.  Mais ce n’est pas tout. Au-delà de cette dimension-là, la société israélienne penche de plus en plus vers le pôle juif et identitaire plutôt que vers l’option israélien-hébraïque laïque qui l’avait caractérisé entre les années 1940-1970. Tiraillé depuis sa création entre ces deux principes – la démocratie et ses valeurs universelles face à la nation et l’identité donc la dimension particulière – on assiste à la monté en puissance en Israël d’aujourd’hui de la dimension identitaire.

Dans quels délais la loi pourrait-elle être adoptée ?

Toute la question est là. L'objectif déclaratif de cette loi est déjà atteint, puisque nous sommes en train d'en parler et nous ne sommes pas les seuls... Les gens ne se souviendront pas si décret d'application il y aura eu ou non, l'essentiel est que ça fasse du bruit. Netanyahou a donc marqué des points au sein de son public dans un moment où il songe à changer de majorité et opter pour un gouvernement plus nationaliste.

Il n'en reste pas moins qu'une opposition farouche existe face à ce projet, qui est interprété par beaucoup comme le sacrifice de la démocratie et des valeurs universelles du projet sionistes au profit de son côté identitaire. Une partie de la coalition gouvernementale est contre, et l’exprime publiquement. Pour que la loi soit votée il faudrait que l'opposition ultraorthodoxe vote pour, mais cela dépend d’un accord plus général sur les bases d’une future nouvelle majorité. Il faut rappeler aussi que même si ce principe est écrit dans la loi, il faudra encore que la Cour suprême en fasse l'interprétation et les Sages pourraient très bien la vider de son sens.

Le message consiste-t-il tout de même à exclure un peu plus les arabes israéliens ?

Ce problème existe déjà puisque, comme je l'ai dit, la coexistence du caractère juif d'Israël et de la démocratie est problématique en soi. Sur le plan symbolique, cette loi revient effectivement à exclure les arabes. Sur le plan juridique, il est encore  trop tôt pour dire ce que cela changerait concrètement pour eux. Israël reste un Etat de droit, de tradition juridique anglo-saxonne, où les précédents comptent énormément, parfois autant que les lois. Le corpus qui a façonné la citoyenneté et l'identité israélienne depuis 1948 est lourd. C'est pourquoi cette loi a surtout  une valeur symbolique.

Israël deviendrait de facto moins démocratique qu'avant ?

C'est la grande peur. Mais ce n'est pas encore très clair. Plus que toute autre chose le projet de loi est l'expression d'une crise identitaire et de craintes partagées par beaucoup d'Israéliens, qui ne veulent pas que l'on parvienne à une solution avec les Palestiniens qui serait de nature à mettre en péril le caractère juif du projet national.

Une telle loi n'est-elle pas de nature à pousser les Palestiniens à s'arc-bouter sur leurs positions ? N'est-ce pas contre-productif de la part du gouvernement israélien ?

C’est tout à fait possible. Concrètement, ce projet de loi s’inscrit dans la logique de ce gouvernement : la paix avec les Palestiniens (contrairement par exemple à la paix avec l’Egypte et la Jordanie qui existent depuis de décennies) est impossible en ce moment car ils ne sont prêts à mettre fin au conflit dans des conditions permettant l’existence d’un Etat nation juif en Israël.

Cela revient à préférer la gestion de la crise et le statu quo, un choix qui comporte des risques : on le voit avec le niveau de violence difficilement supportable bien que de facto supporté, la dégradation de l'image d'Israël, et les tensions entre arabes et juifs et les tensions au sein de la société juive. Les partisans de la paix sont nombreux tout de même, et beaucoup d'entre eux vivent mal le virage religieux et identitaire de leur pays.

Cela ne pourrait-il pas attiser également l'exaspération des voisins d'Israël ?

Sans doute. Cela ne va pas contribuer à apaiser les tensions. Mais les voisins d'Israël ont d'autres chats à fouetter en ce moment. Le monde arabe est plus que jamais divisé, Barack Obama est affaibli, et l'Europe traverse une crise multidimensionnelle, alors que la Russie revient sur le devant de la scène. Netanyahou estime donc qu'il dispose une marge de manœuvre importante, essayant de jouer finement entre une société juive qui se radicalise et un Moyen-Orient qui s'effrite.

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