Comment vraiment punir les banques qui trichent puisque les amendes ne les dissuadent en rien<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Congrès américain a accusé des banques d'avoir "potentiellement" manipulé les prix des matières premières.
Le Congrès américain a accusé des banques d'avoir "potentiellement" manipulé les prix des matières premières.
©Reuters

Dissuasion et répression

Dans un rapport rendu public, le Congrès américain a accusé les banques Goldman Sachs, JPMorgan Chase et Morgan Stanley d'avoir "potentiellement" manipulé les prix des matières premières. Une déclaration qui frappe quelques semaines après les amendes records adressées aux banques américaines ces derniers mois.

Thierry Bonneau

Thierry Bonneau

Thierry Bonneau est agrégé des facultés de droit, est Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2). Il y enseigne le droit bancaire et le droit des marchés financiers et est l’auteur de nombreuses publications en ces domaines.

Son dernier livre est intitulé Régulation bancaire et financière européenne et internationale, 2° éd. 2014, Bruylant.

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Atlantico : Le Congrès américain a accusé les banques Goldman Sachs, JPMorgan Chase et Morgan Stanley d'avoir "potentiellement" manipulé les prix des matières premières. Pourraient être rappelés également être rappelés les scandales financiers, du dossier Kerviel à l’affaire du Libor... Sans oublier la plus récente entente entre UBS, Citigroup, JPMorgan Chase, Bank of America, Royal Bank of Scotland et HSBC Holdings dans des manipulations de marché, allant des produits dérivés aux taux d'intérêt. Des dérives auxquelles seule une réponse juridique ferme, type peine de prison, pourrait apporter une réponse. Les normes en vigueur dans le monde de la banque sont-elles responsable de ces dérives ?

Thierry Bonneau : Accuser les normes de tous les maux est une réponse facile. Les scandales que vous avez rappelés sont d’abord le fruit d’un état d’esprit et d’une recherche - l’appât du gain - qui est le résultat d’évolutions qui sont extérieures aux normes, celles-ci ne faisant que traduire des orientations sociétales. Mais bien sûr, les normes peuvent contribuer aux dérives dès lors qu’en particulier leur complexité et les évolutions technologiques permettent de s’introduire dans ce qui peut paraître un vide et qui n’est en réalité qu’un interstice résultant de l’interprétation de la norme.

La complexité de la norme peut, il est vrai, résulter de bonnes intentions. Il en est ainsi lorsque l’on souhaite appréhender de façon spécifique une difficulté. Ainsi, la notion d’information privilégiée fait l’objet, dans le Règlement UE du 16 avril 2014, d’une définition générale et de définitions spécifiques pour les instruments dérivés sur matières premières et les quotas. Toutefois, même si les définitions sont proches, elles créent des nuances qui sont difficiles à appréhender d’un point de vue juridique.

De même, en matière de manipulations de marché, le cadre peut paraître clair car la directive explique ce que sont des manipulations de marché. Mais l’application s’avère bien plus délicate à mettre en œuvre, ce qui explique que la directive donne des exemples.

La complexité d’une norme est liée tant à son contenu qu’à son interprétation. A force d’entrer dans trop de nuances et de détails, on perd de vue l’essentiel et on crée des zones grises qui peuvent laisser penser que l’on ne sera pas "attrapé".

Dans son nouveau livre Too big to Jail , le professeur de droit Brandon Garrett (Université de Virgine) explique que même si les amendes à destination du secteur bancaires ont augmenté (en nombre et en volume), les pratiques n'ont pas changé. Est-il possible de pénaliser plus efficacement les banques qui trichent par le biais d'amendes ? Et si oui, comment ?

Si les pratiques ne changent pas alors que l’on a accru le montant des amendes, c’est parce qu’un sentiment d’impunité demeure et que le bilan coût/avantage est encore positif. Autrement dit, le profit qui peut résulter de l’opération illicite reste supérieur à la perte résultant de l’amende.

Le sentiment d’impunité est lié au fait que le risque de découverte de l’opération illicite est faible et que celle-ci peut être très difficile à prouver. La théorie dite de faisceau d’indices facilite la preuve. L’instauration d’un dispositif de signalement - c’est la traduction du terme anglais "whistleblowing" - devrait également faciliter cette preuve. Il est bien évident que la preuve est plus aisée si un salarié dénonce et apporte des éléments de preuve à l’autorité. Ce dispositif sera d’autant plus efficace qu’il sera attractif pour le salarié qui dénonce. On peut penser à lui attribuer une forte récompense, comme cela se fait aux Etats-Unis. Mais bien sûr, ce type de démarche n’est pas sans poser des problèmes éthiques.

De même, des problèmes se posent au regard des sanctions. Si l’on considère le montant de l’amende, on pourrait encore l’accroître. Mais alors on peut craindre que la sanction génère un risque systémique et qu’elle crée des distorsions de concurrence. Ce qui serait le cas si l’autorité qui sanctionne tient compte, serait-ce seulement implicitement, du fait que l’institution bancaire et financière poursuivie relève ou non de sa juridiction.

On peut peut-être avancer que l’amende n’est pas la bonne sanction et qu’il faut mettre en œuvre d’autres sanctions telles que les interdictions d’exercice et les retraits d’agrément. Ces sanctions ne sont toutefois pas sans conséquence car elles touchent l’ensemble des salariés alors que généralement, les opérations illicites sont le fait de quelques salariés et de leurs dirigeants.

En réalité, la sanction la plus efficace est celle qui concerne ces personnes physiques. Le risque d’une peine de prison est un risque qui généralement a un effet assez dissuasif. Lorsque vous expliquez à un dirigeant que la peine encourue est 10 ou 20 ans de prison, je vous assure qu’il comprend rapidement et que la décision est vite prise.

Sachant que trop amender présente le risque d'une mise en faillite d'un établissement bancaire ou de la création d'une distorsion concurrentielle du secteur, comment peut s'établir le bon dosage du montant de l'amende adressé aux établissements bancaires s'adonnant à des pratiques frauduleuses, de manière à ce qu'il permette aussi un changement des pratiques ?

Il n’y a pas de bon dosage du montant de l’amende. Si on veut un réel changement de pratiques, il faut que les personnes physiques qui agissent au nom des établissements bancaires soient systématiquement déclarées responsables des actes desdits établissements et qu’ils encourent la ruine financière et la prison.

Eric Holder, ministre démissionnaire de la Justice aux Etats-Unis, est responsable de nombreuses poursuites engagées contre de grandes banques américaines et étrangères. Il a notamment assuré que la Justice irait au pénal avec les responsables des dérives. Cette rigueur doit-elle être étendue et faire figure de nouvelle norme à l'encontre des établissements bancaires qui fraudent ? Cela peut-il avoir un effet correcteur plus efficace sur les pratiques bancaires déviantes ?

La question de l’extension de la rigueur ne se pose pas car la législation française et européenne est déjà rigoureuse. Il faut seulement que les textes soient systématiquement appliqués afin que ceux qui sont tentés par les dérives sachent qu’ils ne pourront pas échapper à la sanction.

En conséquence, faut-il se résoudre à la mise en place d’une force juridique nationale reconnue par l’Etat et qui fasse autorité vis à vis des banques ?

La répression des abus de marché est actuellement à la fois administrative et répressive, étant observé que la répression administrative est une répression pénale qui ne dit pas son nom et qu’elle ne comporte pas la prison comme peine. Etant encore observé que cette dualité n’est pas sans poser des difficultés au regard de la règle non bis in idem qui interdit de poursuivre deux fois une personne pour les mêmes faits.

La répression administrative a été mise en place car on s’est plaint du manque de compétence des juges et de la lenteur de la justice. Toutefois, si on donnait au juge les moyens financiers et humains nécessaires à la répression et si on l’épaulait - par exemple, on pourrait avoir un système d’échevinage, les magistrats devant toutefois être majoritaires pour des questions d’impartialité et d’indépendance - on pourrait organiser une répression unique qui serait bien plus efficace tout en étant pourvu des garanties des droits de l’homme qui sont totalement indispensables dans une société moderne. Rendre au juge sa véritable place nous paraît indispensable pour accroître l’efficacité de la répression. Cette orientation ne semble toutefois pas celle qui a actuellement les faveurs des pouvoirs publics.

Pour changer durablement la donne, conviendrait-il également d'altérer les pratiques en modifiant la culture professionnelle du monde bancaire ? Via un serment, l'équivalent bancaire de celui d'Hippocrate pour les médecins ?

L’honnêteté ne se décrète pas et la parole ne peut pas remplacer les actes.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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