A quoi joue le ministère de la Justice dans le désamiantage du Tribunal de Créteil ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De l’amiante est découverte dans quatre salles d’archives situées au 12ème étage du Tribunal.
De l’amiante est découverte dans quatre salles d’archives situées au 12ème étage du Tribunal.
©Reuters

Vérité distillée

Depuis plus de 35 ans, l’affaire de l’amiante au Tribunal de Créteil empoisonne les relations entre les syndicats et le monde judiciaire. Selon le cabinet de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, les travaux de désamiantage du Tribunal devraient être entrepris à la fin 2014, par tranche de quatre étages… Or aux dernières nouvelles, ils seraient reportés.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • A la fin des années 70, un agent d’entretien du Tribunal, Julien de Florès, âgé aujourd’hui de 74 ans, a été victime de l’amiante…
  • Août 2000 : de l’amiante est découverte dans quatre salles d’archives situées au 12ème étage du Tribunal
  • En 2005, des travaux de désamiantage auraient été effectués sans respecter les règles de sécurité

C’est une histoire édifiante. Qui montre comment on cache la vérité ou plutôt on la distille à petites gouttes. Pourtant, les faits sont là : au Tribunal de Créteil, entre 1977 et 2005, des fonctionnaires, des agents territoriaux, des policiers ont vraisemblablement été victimes de l’amiante.

Un scandale de Santé publique. Lequel n’a jamais fait l’objet d’investigations d’un juge d’instruction… Pour cause de prescription. Un homme n’a jamais accepté cette situation. Il s’appelle Julien de Florès. Agé aujourd’hui de 74 ans, de santé précaire, amaigri, respirant difficilement, souffrant d’une abestose pulmonaire- il a tout de même obtenu une (petite) victoire : le Conseil général du Val-de-Marne a reconnu qu’il a bien été victime d’une maladie professionnelle due à l’amiante…

Mais pas le Ministère de la Justice en dépit nombreux certificats médicaux qu’il a adressés place Vendôme. Détaché du conseil général du Val-de-Marne au Tribunal de Créteil, Julien de Florès y a été, du 3 octobre 1977 au 19 décembre 2000, agent d’entretien. Selon lui, il n’est pas le seul à avoir été victime de l’amiante. Des fonctionnaires de police ayant travaillé au Tribunal pendant cette période ont certainement été contaminés. Mais ils n’osent le révéler publiquement. Aussi, dans le but de ne pas voir cette affaire étouffée a été créée une Entente syndicale, animée par un syndicaliste CGT, Daniel Naudin, qui comporte des membres de l’Unsa – Police et de FO.

L’édifiant dans cette histoire, c’est que, entre le monde médical - notamment un médecin du Travail - et celui de la justice, l’atmosphère a été souvent orageuse, le premier accusant la seconde de lui cacher certaines choses. Nous en reparlerons… Un constat encore : le pouvoir, quelque qu’il soit, éprouve toujours un malaise à prendre les questions de santé publique à bras le corps. Il préfère temporiser : un pas en avant, un pas en arrière. Et à se montrer peu réceptif aux demandes d’un personnel terrorisé lorsqu’on évoque l’amiante, même si le risque de contamination n’est pas définitivement établi. Encore qu’il puisse arriver qu’il le soit…comme au 12 ème étage du Tribunal et dans d’autres endroits, notamment l’ancien atelier d’entretien où travaillait Julien de Florès et les cellules de garde à vue où officiaient les policiers… Et encore du côté des tuyaux dans lesquels étaient transportés le courrier interne du Palais de justice.

Retour sur un dossier méconnu, qui préoccupe toujours la place Vendôme, mais promis juré, il est virtuellement réglé. Est-ce si sûr ?

Nous sommes en octobre 1977. Alors que le Tribunal de Créteil entre dans sa phase finale de construction, arrivent les premiers agents de maintenance pour aménager les bureaux. Pour la plupart, il s’agit de personnels mis à disposition par le Conseil général du Val-de-Marne et d’autres - très minoritaires - venant du Ministère de la Justice. Au printemps 1978, après plusieurs mois d’aménagement intérieur, tout est prêt pour le fonctionnement du Tribunal. Magistrats, secrétaires, greffiers et policiers, tout le monde répond présent….

Vingt ans plus tard, a lieu une première alerte. Du côté des agents de maintenance, on s’interroge. On a des doutes. Il y aurait de l’amiante dans divers bâtiments du tribunal. Un diagnostic, certes superficiel tombe : il y a effectivement de l’amiante…Pour faire face à ce danger, le Ministère de la Justice débloque une enveloppe de 900 000 francs pour réaliser des travaux d’isolation de l’amiante. Curieusement, cette somme sera affectée à un autre secteur. Nous sommes dans les années 1997-98. Or voilà que survient un évènement inquiétant. Selon le témoignage que nous avons recueilli auprès de l’épouse de Julien de Florès, un magistrat du Tribunal et la responsable des relations humaines auraient exercé des pressions sur l’équipe de maintenance, lui intimant l’ordre de « ne révéler à personne qu’il y avait de l’amiante. » Et de marteler : « Nous devions la fermer ! »

Effectivement, les craintes semblent justifiées. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le rapport d’août 2000 de la Socotec . On y apprend que l’amiante est présente dans les quatre salles d’archives du 12 ème étage. Dans la salle 1202, on découvre 6,4 fibres d’amiante par litre d’air, dans la salle 1203, 2,1 fibres par litre d’air, dans la salle 1204, 0,8 fibres et dans la salle 1205, 0,9 fibres. Or le seuil légal est de 5 fibres… Le 18 février 2002, les quatre salles d’archives sont fermées… Pour être rouvertes le 6 mars. Surprenant ? Pas du tout. Une nouvelle expertise de la Socotec révèle que, dans les quatre salles, le seuil légal de fibres est pour l’une d’entre elles à 2,4, pour les trois autres à 0,5.

On pourrait croire cette histoire terminée… Pas le moins du monde. Et pour cause : le docteur Myriam Cherbit, médecin du travail qui dépend du conseil général du Val-de-Marne, écrit le 15 juillet 2004, une lettre plutôt inquiétante au président du Tribunal de Créteil. Elle lui indique que « les diagnostics successifs effectués en 1997, 2002,2003 et 2004 confirment bien la présence d’amiante en différents points des bâtiments IGH et ERP du Tribunal ». Et le docteur Cherbit d’en répertorier les endroits : à l’intérieur des systèmes de protection incendie, dans les trappes d’accès transporteur routier, sur les dalles de sol, dans les conduits de ventilation en fibre de ciment, les enveloppes de calorifugeage et même le chauffage des salles d’audience…

Enfin, le médecin égratigne l’expertise de 1997 du bureau Veritas qui « aurait omis de dire que des plaques de faux plafonds étaient susceptibles de contenir des fibres d’amiante »… Ce que la Socotec rétablira noir sur blanc dans son rapport de 2004. En conclusion, le docteur Myriam Cherbit réclame copie intégrale des rapports Veritas (1997), Augéris ( 2002) et Socotec ( 2003-2004). En effectuant cette démarche, le docteur Cherbit est parfaitement dans son rôle. Cette histoire d’amiante, c’est bien normal, la préoccupe. Aussi, face aux magistrats du Tribunal qui semblent minimiser les risques de contamination, elle cherche à en savoir davantage. Mais elle reste prudente. Très prudente. Témoin, la lettre qu’elle adresse, dès le 16 juillet 2004, au président du TGI, sur les risques encourus par les agents du conseil général mis à disposition du Tribunal. Pour ces agents - au nombre de 12 -, elle estime qu’une description détaillée de leur poste pourrait permettre de savoir s’il faut les adresser vers une consultation spécialisée.

Sur le cas de M. de Florès, elle se montre tout aussi prudente : « Je ne peux, au vu des éléments portés à ma connaissance, et en particulier devant l’absence de descriptif du poste et liste des tâches effectuées par l’agent de 1977 à 2000 au TGI, me prononcer sur le lien de causalité entre son activité au TGI et sa maladie. » Pourtant, au fil des mois, les relations ne s’améliorent guère entre le docteur Cherbit et le monde judiciaire, la première se plaignant d’être mise à l’écart sur ce dossier sensible et sur lequel les syndicats se font de plus en plus pressants. Jusqu’à ce que le 29 septembre 2005, le président du Tribunal, dans une interview au Parisien, se montre formel : «Il est impossible de respirer de l’amiante au tribunal de Créteil. »

Voilà qui met le feu aux poudres. Illico, les syndicats se mobilisent et réclament des explications au directeur du cabinet du Garde des Sceaux. Lequel confirme l’interview du président du TGI. La tension monte. A la Chancellerie, on commence en avoir assez de cet empoisonnant dossier. Fin octobre, le président du TGI, pressé par l’Entente syndicale, diligente une expertise complète de la juridiction. Deux experts sont désignés :  Yves Bitoun, un ingénieur spécialiste de l’ amiante et Jean-Claude Pairon, professeur de médecine à l’ Université de Paris XII. Les premières visites se déroulent les 23 et 24 novembre 2005 en présence du président du Tribunal, du capitaine de police, responsable du dépôt et bien sûr des deux experts.

A dire vrai, les incidents, en quelques semaines, succédent aux incidents. Jusqu’à ce 20 décembre 2005, lorsque des fonctionnaires de police alertent les syndicats d’un fait inquiétant : l’entreprise qui effectue les travaux de désamiantage dans le poste de police ne respecterait pas les règles en vigueur. Témoin, ces simples masques en papier que portent les employés. Témoin, l’absence de sas d’isolement. Témoin encore, ces nombreux sacs poubelles contenant des plaques d’amiante.

Février 2006. Les premiers résultats de l’expertise commencent à être dévoilés. Le coup de massue. De l’amiante, il y en a partout : dans le transporteur du courrier ( télélift), les joints des portes d’ascenseurs, le dépôt de police, la souricière, les salles d’audience et les cloisons des bureaux… Quant aux salles d’archives du 12 ème étage, elles sont littéralement infestées par l’amiante : elles comportent un taux de 38 fibres par litre alors que le taux maximum toléré en France est de 5 fibres par litre. Le personnel qui a connaissance de ces découvertes est abasourdi. Conscient de l’émoi suscité par ces révélations, le président du Tribunal ordonne pour la deuxième fois la fermeture des salles d’archives. Il n’empêche. Les mauvaises nouvelles se poursuivent au cours des années qui suivent. En effet, entre 2007 et 2009, aucune mesure de sécurité, selon l’entente syndicale n’a été prise lors du désamiantage de certains locaux du Tribunal. Résultat : une dizaine d’agents, toujours selon l’entente syndicale, exposés à de la poussière d’amiante, en proie à de fortes dépressions se mettent en arrêt de maladie…

Galopent les années. Depuis 1977, l’amiante ne cesse d’être à l’ordre du jour au Tribunal de grande Instance de Créteil. Depuis une dizaine d’années, des contacts se sont noués avec entre d’une part, syndicats, policiers et personnels, médecins du travail et d’autre part, le Ministère de la Justice. Avec des hauts des bas. Tantôt, les premières estiment être entendues. Tantôt, elles ont le sentiment que plus rien n’avance. Car demeure deux questions clés : quand le Tribunal fera -t-il l’objet d’un désamiantage total ? Reconnaitra- t-on enfin que des agents du Tribunal ont été victimes de l’amiante ?

A la première interrogation, la directrice du cabinet de Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Christine Maugüe, dans une lettre adressée à l’Entente syndicale, le 11 mars 2014- qu’ Atlantico a en sa possession- apporte des garanties : « (…) Dans le cadre de travaux lourds de mise aux normes électriques et de sécurité incendie, les travaux de désamiantage des locaux [ du Tribunal] vont débuter fin 2014. Ces travaux seront menés par tranche de quatre étages, ce qui permettra de garantir l’étanchéité du chantier (avec notamment la mise en place d’une zone tampon et d’accès différenciés), les occupants de la zone traitée étant relogés pendant la durée de l’intervention. »

A la seconde question, Christine Maugüé se montre à la fois catégorique et prudente. Catégorique lorsqu’elle affirme que depuis 2005, toutes les mesures ont été prises pour assurer la protection des agents… Prudente tout de même, lorsqu’elle laisse entendre que si des agents déclarent une affection en rapport avec l’exposition à l’amiante, elles pourront présenter à l’administration une demande de reconnaissance de leur pathologie en tant que maladie professionnelle »….Décidément, place Vendôme, on rejoue la célèbre pièce de Marivaux, « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée » Plaira-t-elle aux 5 à 600 membres du personnel du Tribunal de Créteil ? …d’autant qu’aux dernières nouvelles, selon Daniel Naudin, le secrétaire de    l’ Entente syndicale, les travaux pourraient être reportés.

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