Génération djiha’zimutée ? Et si les Cassandre avaient eu raison de nous mettre en garde contre les dangers de la banalisation de l’ultra violence...<!-- --> | Atlantico.fr
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Maxime Hauchard.
Maxime Hauchard.
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Cap ou pas cap ?

Plusieurs experts l'attestent : Abou Abdallah Al Faransi serait en réalité Maxime Hauchard, 22 ans, originaire de Normandie. Ce dernier apparaît sur la vidéo mise en ligne dimanche 16 novembre, dans laquelle l’État islamique revendique l’exécution de l'otage américain Peter Kassing.

Sabine  Duflo

Sabine Duflo

Sabine Duflo est psychologue clinicienne. Elle s'intéresse depuis le milieu des années 2000 à l'impact des écrans sur les enfants et les adolescents. 

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Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

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Atlantico : Comment expliquer que parmi les djihadistes qui se livrent à des actes barbares se trouvent des jeunes qui sont nés et ont grandi en Europe ? Sont-ils le fruit d'une banalisation de la violence interne à notre société ?

Christian Combaz : Egorger un otage, éventrer un ennemi, faire sauter une boîte crânienne, à froid ou à chaud, avec ou sans éclaboussement du mur voisin, ça se programme depuis plus de dix ans chez les concepteurs de jeux vidéo en baskets et t-shirts, c'est à dire qu'il y a des gens cool et souriants qui planchent dans les studios, y compris les studios français, sur la façon de représenter la cruauté et le sang  avec le plus de réalisme possible.

Quand Microsoft réunit deux cents journalistes mondiaux à Seattle pour la sortie d'une nouvelle console avec un jeu-vedette, on arrive au paradoxe invraisemblable de voir tous ces commerciaux cravatés qui vont à l'église et qui envoient leur fille aînée à la danse, tout en promouvant dans le monde entier des jeux que la jeunesse elle-même appelle "dégueulasses", mais qu'elle achète quand même. Les grands éditeurs de jeux, les distributeurs, et mêmes les caissières de supermarché savent très bien que parmi les grands acheteurs des titres les plus sanglants la moitié ont moins de dix huit ans, un tiers moins de douze, et que le goût du sang, de la violence, est en outre ultra "connoté socialement".

En d'autres termes tous les enfants ne les achètent pas dans tous les milieux. En revanche dans certains milieux, suivez mon regard, les enfants les achètent (ou les piratent) pratiquement tous.

Sabine Duflo : Concernant ces jeunes français partis faire le djihad, je ne peux pas répondre directement, ne les ayant pas suivis médicalement. Ce qui est certain en revanche, c'est que la violence est banalisée par les écrans. Tous les jeunes y sont exposés : que ce soit dans la vie réelle ou face à un écran, la violence a un impact sur l'enfant qui la voit. Les études sont nombreuses et le prouvent : les enfants exposés de manière précoce et trop importante à des contenus violents présentent des troubles.

Ces troubles passent par des comportements violents, ou par une intolérance à la frustration. Les petites situations de gêne quotidienne sont plus difficilement supportées; on observe aussi une augmentation des comportements anxieux. Les plus froussards peuvent être aussi les plus violents. La violence étant banalisée, lorsqu'ils se retrouvent dans un contexte de violence caractérisée, ces personnes se trouvent plus en situation de spectateur qu'en empathie.

Au-delà de la dérive fanatique, les actes de violence gratuite perpétrés sur notre propre sol participent-ils du même phénomène ?

Christian Combaz : La violence gratuite qu'on inflige à un plus faible que soi dans la cour, dans la rue, au centre commercial, est un phénomène de bande qui sert à ressouder le groupe sur le thème "t'es pas cap", puis "choisissons notre ennemi, nous serons meilleurs amis". Enfin il ne faut pas négliger le fait que la violence est un moyen de rétablir une hiérarchie dans un monde où toutes les hiérarchies ont été remises en cause, notamment par les médias qui parlent de réactionnaires à tout bout de champ, et qui exercent un contrôle permanent sur la manifestation de la fermeté, de l'autorité, y compris dans la parole, depuis une trentaine d'années. Ni les policiers, ni les professeurs, ni les politiques ne sont plus perçus comme légitimes pour imposer une règle. Les parents non plus dans la plupart des cas.

Donc les adolescents s'imposent des règles entre eux. Ils cherchent à reformer une grille d'autorité dans leur groupe. Ca s'appelle une mafia.  Et c'est la règle du plus fort qui prévaut. C'est la même chose chez les loups. Sauf que chez les loups, les femelles ne jouent pas les dominantes en body noir comme à Nancy. La seule issue si l'on veut juguler les mafias c'est de reprendre pied sur leur terrain avec les mêmes arguments, c'est à dire la contrainte directe au nom de l'institution. Il est probable que certains gouvernements en Europe iront chercher leurs recettes à Moscou ou à Washington pour retrouver la main . La mollesse raisonneuse européenne, dont François Hollande est un exemple absolument consternant (cf Léonarda), ne convient  plus à la nature du défi qui nous est infligé. Nous sommes en train de franchir un cap où la mollesse sera perçue comme une trahison, voire comme une haute trahison. C'est à cela qu'on reconnaît qu'on est en temps de guerre.

Sabine Duflo : Les milieux populaires sont plus exposés car les écrans, notamment la télévision, y sont plus présents que dans les milieux aisés, où les enfants sont souvent plus surveillés, et où une réflexion est menée sur l'influence des jeux sur le développement des enfants. Au quotidien, je constate que la violence, qu'elle soit vécue dans un contexte social ou vue à travers un écran, a des effets négatifs : augmentation des comportements violents, anxiogènes, et diminution de l'empathie.

Les jeunes partis en Irak et en en Syrie sont passés maîtres dans l'art de la mise en scène en allant jusqu'à imiter les codes hollywoodiens. Quelle part la violence contenue dans les films et jeux vidéo prend-elle dans tel phénomène ? A-t-elle été trop minimisée ?

Christian Combaz : Notre société met tout en scène y compris la guerre, mais rassurons-nous, ce n'est pas nouveau, et la Chanson de Roland, et la Guerre des Gaules faisaient la même chose. La seule différence est l'irruption du réalisme et de la décision personnelle dans le récit des batailles. En outre les batailles modernes relèvent de plus en plus de la guerre civile, c'est à dire que vous tirez dans la tête d'un type à l'entrée d'un supermarché dans une ville qui ressemble à la vôtre.

Une opération de commando ultra-sanglante dont vous êtes le héros, dans un univers urbain qui est le vôtre, où tous les décors sont reconstitués sur écran HD en relief, et où vous avez toute liberté d'étriper vos adversaires, voire vos alliés, fonctionne comme un bec verseur. Ensuite votre imaginaire est fluide ou non. Si votre résistance est nulle, si votre personnalité est liquide, elle coule par le bec verseur et se répand dans la violence. Mais qui a moulé le bec verseur ? On le sait très bien.

Ceux qui voudront établir les responsabilités n'auront pas grand effort à faire. On connaît les studios, les vecteurs, les distributeurs, tout est imprimé dans la mémoire collective.

Sabine Duflo : Une réglementation plus encadrante serait souhaitable. Notre ceveau n'est pas comparable à celui d'un ordinateur. Ce qui y est imprimé, ne s'efface pas. Chez un enfant, la distinction entre le virtuel et le réel, se fait à 13 ans. Mais on sait que la violence se vend très bien. S'il n'est pas préparé psychologiquement, il sera hanté bien plus tard, adulte, par des scènes qu'il a vues à la télévision. La suppression des génériques entre deux productions télévisuelles entraîne une impréparation psychologique qui peut être source de traumatisme chez l'enfant.

Si la violence s'exerce en groupe, c'est encore plus difficile pour le jeune de refuser d'y participer. Aujourd'hui on voit des enfants sans passé psychologique ou familial à problème, adopter des comportements brutaux insensés. En un instant il peut être pris d'un accès de violence, qui peut tout à fait s'exercer sur ses amis. C'est comme s'il rejouait une scène de jeu vidéo, dans lequel il s'est vu en tant qu'acteur récompenser pour ses faits d'arme. A partir de là, il n'est pas étonnant qu'il récidive dans la réalité.

Cette jeune génération éprise de violence est-elle perdue ? Est-il trop tard pour une "rémission" ?

Christian Combaz : Aucune génération n'est perdue, sauf si elle est morte. Une génération "éprise de violence" comme vous dites est animée d'une pulsion de mort, comme Mesrine. Elle veut en découdre et elle y parviendra, sans le moindre succès comme d'habitude. Le seul risque qui la guette, le seul sort qui l'attend, c'est donc celui de Mesrine, c'est la mort.

La "rémission" ne se conçoit qu'après trente ans de prison comme dans le cas de Charles Manson, mais je me demande si désormais les sociétés auront le loisir de vouer des bataillons de psychologues à ce genre de personnages. Dans toutes les sociétés animales, la paix ne revient qu'après un épisode de crise qui rétablit les hiérarchies perdues. C'est en route.

Sabine Duflo : Au niveau psychologique, on est toujours plus efficace en termes de prévention lorsque les parents amènent leur enfant de 4 ou 5 ans, que lorsque celui-ci à 16 ou 17 ans, qu'il est déscolarisé, désocialisé et passe ses journées sur GTA. Dès lors, il est plus compliqué d'intervenir. Nous menons un travail de fourmi sur une question de santé publique. C'est donc à l'Etat de s'intéresser davantage aux limites d'âge, de renforcer les contrôles et de promouvoir des contenus plus positifs.

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