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François Fillon s'est prononcé en faveur de l'établissement de quotas annuels pour mieux contrôler le nombre de migrants qui arrivent sur le sol français.
François Fillon s'est prononcé en faveur de l'établissement de quotas annuels pour mieux contrôler le nombre de migrants qui arrivent sur le sol français.
©Reuters

Dans le brouillard

Dans une interview au Figaro Magazine, François Fillon s'est prononcé en faveur de l'établissement de quotas annuels pour mieux contrôler le nombre de migrants qui arrivent sur le sol français. Jusqu'alors aucune comptabilité fiable n'a jamais été établie.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Dans une interview accordée au Figaro Magazine, François Fillon propose "que le Parlement organise un débat chaque année sur la politique nationale d'immigration, sur le nombre d'immigrés que nous pouvons accueillir, les qualifications professionnelles et les régions du monde vers lesquelles on veut se tourner". Dispose-t-on aujourd'hui en France de chiffres suffisamment fidèles pour l'établissement de tels quotas ? Pourquoi ?

Laurent Chalard : Avant de répondre à la question, il convient de rappeler que l’instauration de quotas d’immigration en France ne constitue nullement une nouveauté, mais qu’elle a été déjà soulevée à l’occasion de la présidence de Nicolas Sarkozy, dans le cadre d’une commission sur la question, la commission Mazeaud, qui a rejeté en 2008 la proposition, la jugeant inefficace par rapport aux objectifs recherchés.

Lire également : La France n'a pas besoin d'immigration et autres enseignements sur l’emploi que révèle l’étude de notre démographie à horizon 2030

Concernant la fiabilité des chiffres pour l’éventuel établissement de quotas d’immigration en France, elle s’avère insatisfaisante, puisque nous ne disposons que de données sur les entrées légales sur le territoire national, à travers les permis de séjour délivrés par le Ministère de l’Intérieur, mais pas sur les autres déterminants du solde migratoire, dont les sorties. En conséquence, il est difficile d’établir des quotas si on ne peut pas déterminer le pourcentage des nouveaux arrivants qui ont vocation à rester sur le territoire. Les quotas retenus relèveraient plus de l’arbitraire que d’une réalité liée à l’ampleur des flux d’immigration selon les qualifications et les régions du monde.

Guylain Chevrier L’idée d’avoir un grand débat au Parlement sur le sujet est une proposition à examiner, car ce serait l’obligation d’une certaine transparence. Cela dégonflerait d’un côté, ce qui nourrit la démagogie dangereuse de certains qui voient dans l’immigration la cause de tous nos maux et aussi, la bien-pensance de ceux qui interdisent là tout débat, le moindre questionnement sérieux sur la maitrise des flux migratoires donnant lieu à l’accusation de racisme. Ce serait utile pour peu que, cela soit aussi pleinement relayé par les grands médias, créant les conditions d’un véritable débat sur ce sujet, en posant toutes les contradictions sans tabou sur la table. C’est surtout cela sur quoi on a tant de mal, au regard de groupes de pression et d’un clientélisme politique des élus qui croise des enjeux d’intégration et de place du religieux dans leur action, parfois teinté d’opportunisme. Il faut arriver à avoir un débat serein, comme sur le budget de la Sécurité sociale, en dehors de toute intimidation.

François Fillon parle d’une "immigration maîtrisée" et veut "qu’on inscrive dans la Constitution le principe que notre politique d’immigration dépend de la capacité d’accueil et d’intégration de la France" sur le mode d’une immigration choisie selon des exigences économiques fixées par l’Etat. Attention, tout d’abord, à ce que cette immigration sur le mode des quotas ne soit pas qu’un moyen de plus pour servir une logique de marché inscrite dans la mondialisation, qui vise avant tout à la transgression organisée des frontières, dans le seul but de faire des affaires sur l’immigration.Cela règlera-t-il pour autant, le problème de l’immigration clandestine ? Les quotas en matière de politique d’immigration restent un leurre s’il n’y a pas de contrôle des frontières d’une façon ou d’une autre, et ce n’est pas qu’en renégociant les accords de Schengen qu’on passera outre cette difficulté majeure, même si François Fillon propose même la notion de "suspension temporaire de Schengen des pays qui seraient dans l’incapacité d’assurer le contrôle de leur frontière".

Dans un reportage récent sur le sujet au JT de 20h sur France 2, on indiquait que les flux migratoires aux portes de l’Europe ont été multipliés par dix en un peu plus d’un an.  Si on veut pouvoir agir sur l’immigration, dans l’idée que l’on puisse aussi désigner "les régions du monde vers lesquelles on veut se tourner" comme François Fillon le propose, il faut absolument agir dans le sens d’une politique de co-développement avec les pays de forte immigration, tel que le Mali par exemple. Une politique de co-développement un temps encouragée qui a été en tant que telle pratiquement abandonnée par le gouvernement actuel, qui reste une priorité des priorités si on veut endiguer les flux migratoires. Un co-développement qui est aussi un très bon argument de prévention contre les risques de déstabilisation des pouvoirs locaux inscrits dans des processus démocratiques en cours, particulièrement en Afrique, y compris vis-à-vis des dérives intégristes.

Comment expliquer que le politique n'ait jamais cherché à réformer la manière de comptabiliser le nombre d'immigrants se trouvant sur le sol français ? Quels sont les groupes de pression qui empêchent de parvenir à l'établissement d'un solde migratoire fidèle à la réalité ?

Laurent Chalard : La question de l’immigration est l’une des plus sensibles, si ce n’est la plus sensible, du pays, et donc il n’y a jamais réellement eu de volonté politique visant à établir une comptabilité fiable, le flou permettant d’éviter d’aborder la question, voire de nier la réalité du processus migratoire, ce qui a pu arranger pendant un certain temps nos dirigeants. Pendant longtemps, ces derniers, de gauche comme de droite, ont préféré faire la politique de l’autruche ("il n’y a plus d’immigration en France") plutôt que d’assumer publiquement leur politique migratoire.

Il n’existe donc guère de réels groupes de pression s’opposant à la connaissance du solde migratoire de la France, mais plutôt une absence de volonté politique, qui se traduit par l’absence de moyens financiers et humains permettant de tenir une comptabilité sérieuse, ce qui oblige, les instituts nationaux avec les faibles moyens mis à leur disposition et les quelques chercheurs spécialistes de la question, à jongler avec des données chiffrées partielles concernant les déterminants du solde migratoire et parfois erronées concernant les résultats des recensements de la population, qui permettent a posteriori de déterminer le solde migratoire (d’ailleurs, l’Insee parle de "solde migratoire apparent", ce qui veut bien dire ce que cela veut dire !).

Guylain Chevrier : Il y a là plusieurs problèmes. L’un des grands problèmes de l’immigration d'aujourd’hui, par-delà même celui du nombre, c’est celui d’un diagnostic qui fait défaut, qui dans tous les domaines pourtant précède l’action. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun entrepreneur d’agir sans avoir évalué la faisabilité d’un projet en termes de contraintes et de possibles, pour déterminer correctement le rapport entre les moyens et le but à atteindre. Il semble que dans le domaine qui nous intéresse, on soit très loin du compte ! On en voit bien pourtant toute la gravité des enjeux. Une politique publique comme celle de l’immigration, politique transversale qui touche tous les domaines, l’emploi, le logement, l’éducation, la santé, la culture..., représentent des milliards d’investissement. Une politique qui vise à l’intégration sociale des personnes en situation légale, est un investissement sur l’avenir, qui au-delà de la simple insertion économique et sociale, questionne la dimension culturelle voire religieuse. Le contrat d’accueil et d’intégration, qui est obligatoire pour ceux qui souhaite s’établir sur note territoire, signé entre le Préfet représentant l’Etat et le migrant, a ses exigences d’adhésion à nos valeurs républicaines, à un modèle politique, un Etat de droit, une démocratie, une République qui si elle est sociale est aussi laïque.

D’ailleurs, quant François Fillon explique que "Dans certaines parties de notre territoire vivent un nombre très important de personnes étrangères ou d’origine étrangère avec les risques de plus en plus évidents de développement d’un communautarisme totalement contraire à ce qui fonde la République", il ne fait que constater une réalité qu’on veut nier mais qui est devenue depuis une large décennie une réalité. Continuer de laisser faire une immigration sans compter, dans un contexte où l’intégration républicaine rencontre déjà des difficultés, ce serait favoriser un repli communautaire aux lourdes conséquences. C’est ce repli, cette division en communautés de notre société, qui est susceptible de générer le radicalisme religieux, avec des phénomènes dont nous n’imaginons pas aujourd’hui sans doute l’ampleur et les conséquences.

Dans ce domaine de l’intégration, il y a un milieu associatif très important, qui est absolument irremplaçable, dont une partie joue le jeu concernant nos valeurs collectives et considèrent l’acculturation à nos valeurs communes comme une priorité, l’accès au droit comme conditionné par celles-ci. D’autres n’hésitent pas à en appeler à la fin des frontières, en en justifiant la légitimité par le fait d’une mondialisation libéralisant les frontières pour les capitaux qui devrait ainsi aussi s’appliquer aux hommes ? Mais pour quoi faire ? On peut s’interroger de savoir ce que cela contient d’humanisme et de valeurs de gauche, comme s’en réclament ces acteurs de terrain, que de proposer de pousser ainsi jusqu’au bout une logique libérale qu’ils prétendent par ailleurs combattre. On est là au cœur des contradictions politiques dramatiques de notre époque ! Il y a une pression considérable de ce côté mais aussi de forces favorables au multiculturalisme qui agissent au sein même du gouvernement et autour de lui, comme la Feuille de route de l’immigration pour une refonte de l’intégration présentée par M. Ayrault lorsqu’il était Premier ministre l’a révélée. On était allé ici jusqu’à la proposition d’abrogation de la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostensibles dans l’école publique !

Quelles sont les failles techniques qui expliquent que  l'INED, l’INSEE et le ministère de l'Intérieur ne soient pas en mesure d'indiquer précisément combien d'immigrés se trouvent chaque année sur le sol français ?

Laurent Chalard : La principale faille technique concerne l’absence totale de données sur les sorties du territoire, qu’elles soient le fait d’étrangers ou de nationaux. Or, le solde migratoire est la différence entre les entrées et les sorties du territoire, il nous manque donc la moitié de l’information nécessaire pour pouvoir donner des chiffres fiables ! En outre, concernant les entrées, nous n’avons des informations, à travers les chiffres fournis par le Ministère de l’Intérieur concernant les permis de séjour, que pour les arrivées des non européens, mais aucune sur les entrées d’européens, étant donné la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, et celle des nationaux, ce qui limite aussi leur solidité. Enfin, la dernière faille concerne la question des migrations clandestines. Même s’il ne faut pas s’imaginer des chiffres considérables par année, il n’en demeure pas moins qu’elles sont réelles et accentuent l’excédent migratoire de la France.

Guylain Chevrier : Tout d’abord, quelle est l’ampleur du problème posé ? Selon le ministère de l’Intérieur, la primo-délivrance des titres de séjour progresse en 2013 par rapport à l’année précédente, avec un total de 203 996 titres de séjour délivrés. L’immigration étudiante, deuxième source d’immigration, a augmenté de 6,4 %. Cette progression s’explique par un regain d’attractivité de la France, après l’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle et conforme aux orientations du Gouvernement. L’immigration professionnelle est aussi en nette augmentation (+11,4 %).  L’immigration familiale, qui représente la plus grande part du flux migratoire, est en hausse de 6,9 %. Cette progression tient essentiellement à l’effet sur les régularisations, en année pleine, de la circulaire du 28  novembre 2012 portant admission exceptionnelle au séjour. Au sein de l’ensemble des titres de séjour, les cartes de résidents et titres assimilés de plus de 10 ans représentent 1.828.142 titres, soit 70,1 % du total des titres détenus par des ressortissants de pays tiers. Ces chiffres ne nous disent nullement combien de nouveaux étrangers se sont réellement installés sur notre sol. Les organismes qui alimentent les chiffres officiels par leurs analyses parlent d’un solde migratoire (la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire et le nombre de personnes qui en sont sorties au cours de l'année) qui resterait stable depuis longtemps et que l’immigration n’augmenterait pas, (entre 50.000 et 100.000 maximum par an), 50.000 selon l’INSEE en 2013. Alors comment ces chiffres du Ministère de l’intérieur qui montrent que sur tous les plans il y a augmentation, peuvent-ils se traduire par un tel discours qui ne passe plus du tout dans la population ? Qu’en est-il réellement ? François Fillon se garde bien de parler de solde migratoire, estimant que le nombre de nouveaux immigrés arrivant chaque année en France doit être "beaucoup plus faible" que les quelques 200.000 recensés.

Ces institutions sont-elles toujours unanimes dans les chiffres et les proportions qu'elles donnent à propos du fait migratoire ? A quelles incohérences leurs différents rapports donnent-ils lieu ?

Laurent Chalard : Les institutions en question ne fournissant pas le même type de données, il serait illégitime de les accuser de donner des chiffres différents sur le même processus. Cependant, il n’en demeure pas moins que des incohérences certaines se font jour. Le ministère de l’Intérieur ne donne que des données sur les entrées légales sur le territoire, qui sont légèrement inférieures à 200 000 personnes par an depuis le début des années 2000, soit plus du double que dans les années 1990. Ces chiffres sont stables ces dernières années. Par contre l’Insee et l’Ined (ce dernier ne faisant que reprendre les chiffres du premier) donnent des chiffres de solde migratoire, ce qui n’est pas la même chose, sensiblement à la baisse depuis plusieurs années, autour de + 50 000 personnes par an, contre + 100 000 au milieu des années 2000, ce qui interroge. En effet, ces données sont tirées des résultats du recensement rénové dont les données, comme j’ai pu le montrer dans différents articles, ne sont pas fiables. En conséquence, ces chiffres sont à prendre avec des pincettes.

Guylain Chevrier :  Il y a des chiffres qui sont donnés par le ministère de l’Intérieur qui reflètent une certaine réalité, mais relative. On n’y recense que les légaux et encore d’une façon qui serait à regarder de plus près.

Concernant les demandeurs d’asile par exemple, il y a ce qui est maîtrisable et ce qui ne l’est pas, alors que nous sommes le troisième pays au monde dans ce domaine (2013) derrière l’Allemagne, particulièrement touché du fait de sa situation géographique par les réfugiés affluents de pays connaissant la guerre, et les Etats-Unis. Tout d’abord, il faut constater que nous assistons à une hausse continue du nombre de demandeurs avec une augmentation de plus de 100 %, car ils étaient 29.387 (pus 6133 réexamens) en 2007 pour être 60.095 en 2013 (plus 5799 réexamens), et la hausse continue. On a vu une augmentation de 37,2% de l’attribution de l’asile en 1 an, chiffre qui interroge. Mais surtout, et c’est là que se situe le point aigüe du problème que nous évoquons, sur l’ensemble des décisions prises 13 % sont favorables (5965), mais une majeure partie des autres, jusqu’à quel point d’ailleurs, demeurent sur le sol français. Un nombre d’ex-demandeurs d’asile restant sur notre territoire qui croit à la mesure de l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile annuels, sans aucune maitrise de la situation par les pouvoirs publics et sans aucune étude de proposition qui permette d’y remédier. Sans compter que ces demandeurs sont pris en charge le temps de l’étude de leur dossier qui est évalué de 600 jours à deux ans en moyenne aux frais des pouvoirs publics, autrement dit de la nation. Le raccourcissement des délais de traitement et la rigueur sur les critères d’admission, constituent une piste de travail sans délai.

Autre problème, celui des mineurs isolés étrangers. Ils étaient depuis ces dernières années en constante augmentation, avec une augmentation aussi de faux-mineurs majeurs, déboutés après pratique de l’âge osseux (radiographie des os) et d’un examen complémentaire autour des attributs physiques sur lesquels s’appuyer pour déterminer effectivement l’âge, par les cellules médico-judiciaires des hôpitaux. On sait que, dans de nombreux pays d’origine, le certificat de naissance n’est pas toujours une preuve de la véritable date de naissance de l’enfant, déclaré fréquemment bien après la naissance, outre le problème des faux-papiers.

Depuis la mise en place du nouveau protocole initié par Mme Taubira en novembre dernier, il y a eu un véritable appel d’air de mineurs isolés étrangers, qui crée aujourd’hui une situation d’engorgement des départements, qui sont en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance, qui est devenue intenable. Même pour des départements très favorables comme le Val-de-Marne pour lequel cela représente une dépense supplémentaire de 7 millions d’euros, ce n’est plus possible, comme son Président l’a exprimé dans l’édition du Parisien du 6 novembre dernier. Le coût de prise en charge d’un mineur isolé étranger, comme pour tout jeune placé, est de 150 à 280 euros par jour et ce, pour des années. Le nouveau dispositif d’évaluation a été confié principalement à France Terre d’Asile qui est une association qui prend le parti des personnes migrantes, ce qui est tout à son honneur sauf que, en lui confiant cette mission, on la transforme en juge et partie. L’âge osseux systématique a été écarté du dispositif, jugé discutable malgré une fourchette de deux ans favorable au jeune (17-19 ans par exemple) puisque l’on retenait l’évaluation la plus basse, laissant la place à des entretiens où il est question d’évaluer la véracité ou la sincérité des récits... Les jeunes majeurs identifiés par ce moyens, voire parfois par l’âge osseux demandé par le procureur de la République, peuvent ensuite revenir vers le Juge des Enfants en faisant appel de la décision et être malgré tout pris en charge comme mineur, c’est selon. En réalité, on revient progressivement aujourd’hui vers l’âge osseux pour tenter de déterminer l’âge réel de ceux qui se présentent comme mineurs isolés étrangers, car les choses se dégradent et les travailleurs sociaux eux-mêmes le constatent. Cette situation a donné lieu à un véritable trafic organisé à partir des pays de migration, avec un système bien huilé qui ne cesse de croître. On imagine la voie d’eau que représente cette situation pour des milliers de jeunes et même moins jeunes candidats à l’immigration économique clandestine. Des situations qui ne rentrent pas dans les chiffres de l’immigration et qui concernent pourtant des milliers de jeunes chaque année.

A quelles conditions pourrait-on prétendre arriver à une connaissance scientifique du nombre d'immigrants en France ? La France pourrait-elle s'inspirer de certains de ses voisins, et avec quels bénéfices sur le plan politique ?

Laurent Chalard : Pour avoir une meilleure connaissance scientifique du solde migratoire de la France, il faudrait d’abord que l’Etat prenne conscience de l’ampleur du problème et cherche réellement à connaître la réalité, élément indispensable pour pouvoir ensuite débattre de manière sereine de l’immigration. Cela passe par une consultation des spécialistes de la question non rattachés aux instituts statistiques nationaux qui ne sont pas indépendants, et la mise en place des outils statistiques adéquats pour essayer d’estimer de manière pertinente le nombre de sorties. L’instauration de registres de population peut constituer une piste intéressante pour mieux connaître les mouvements de la population sur notre territoire d’une année sur l’autre. En effet, les pays voisins qui ont instauré des registres de population, tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas, bénéficient d’une qualité des statistiques beaucoup plus satisfaisante (sans être parfaite cependant), qui permet de mieux appréhender les besoins concernant l’immigration de ces pays.

Guylain Chevrier : Il est vrai que certain de nos voisins ont une politique nettement moins attractive que la notre avec des exigences beaucoup plus forte pour avoir le droit de s’installer. Par exemple, en Allemagne, on demande à ce que la personne ou la famille dispose d’un revenu autonome suffisant s’il y a une situation de chômage, ou on limite l’accès à certaines aides pour les migrants, comme c’est le cas en Angleterre.

Pour François Fillon, "il y a une nécessité absolue : rendre moins attractives les politiques sociales de notre pays". Il propose donc "qu’on ne puisse pas avoir accès ni aux prestations d’aides sociales, ni aux allocations familiales, ni aux aides au logement moins de deux ans après l’arrivée régulière sur le territoire". Une telle mesure s’attaque directement au principe d’égalité entre ceux qui vivent sur notre sol, selon la durée de leur présence, alors que nous ne connaissons avec notre Constitution que des droits inaliénables aux individus dont, des droits économiques et sociaux valable pour tous. La proposition de la remise en cause de l’Aide Médiale d’Etat n’est pas une meilleure proposition, car il en va d’une question de santé publique autant que d’égalité de traitement entre les individus qui rejoint une question de dignité humaine qui ne se négocie pas d’un point de vue républicain. Ce n’est pas, de mon point de vue, la bonne voie, d’autant qu’elle risquerait d’ouvrir une nouvelle logique de libéralisation de la protection sociale pour tous.

Il est évident par contre, qu’une politique cohérente en la matière, a pour passage obligé, une maitrise des entrées et des sorties sur notre sol, ce qui permettrait de la faire à partir de chiffres maitrisés. Actuellement, nos frontières sont une passoire qui amuse les passeurs patentés. Faire cela, contrairement à ce que certains prétendent, ce ne serait pas contre ceux qui entendent migrer, car ce serait donner enfin un signe clair de rejet des systèmes mafieux qui sont derrière les tragédies de l’immigration. Ils profitent aujourd’hui d’une quasi impunité, qui leur permet d’être à la tête d’une véritable traite humaine, dont les conséquences parfois dramatiques avec des naufrages entrainant des centaines de décès, sont endossées injustement par les pays qui sont les destinations visées par ces migrants. On trouve des associations pour jouer sur ce versant de façon inconsciente ou éhontée, pour demander à ce que l’on crée les conditions d’un accueil organisé de ces centaines de milliers de migrants de façon totalement inconsidérée.

Maitriser l’immigration passe par une politique humaniste et non humanitaire, autrement dit, une politique qui s’appuie sur les exigences de nos institutions, celle d’une France qui reste du fait de ce qu’elle est, avec sa tradition d’accueil, son principe d’égalité protecteur qui facilite le mélange des populations, attractive. Limiter l’immigration, c’est protéger ce bien pour les migrants eux-mêmes, car s’il venait à voler en éclats en raison d’une immigration sans compter et des frontières inexistantes, ce serait un drame pour tous.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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