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4 cerveaux pour un même méfait : l’assassinat du septennat.
4 cerveaux pour un même méfait : l’assassinat du septennat.
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Vieille école

La commission des lois du Sénat a rejeté jeudi 13 novembre la proposition faite par les Radicaux de gauche de revenir au septennat. Parallèlement, des députés UMP, UDI et FN ont déposé un projet de loi similaire lundi 10 novembre, preuve que le quinquennat n'a décidément plus la cote.

Olivier Pluen

Olivier Pluen

Olivier Pluen est Maître de conférences en droit public à l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane). Prix de l'Ordre des avocats aux Conseils. Il est l’auteur de L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : Le Sénat français a discuté en commission le projet d'instaurer le septennat (non-renouvelable) pour le président de la République, et l'a finalement rejeté. Quatorze ans après le référendum pour le quinquennat, où le "oui" l'a largement emporté, quels seraient les avantages de revenir au septennat ? 

Olivier Pluen : Ainsi que l’expliquent en substance les auteurs de la proposition de loi non adoptée, à ce stade de la procédure législative, par la commission des lois du Sénat qui examine ce texte en première lecture, son objectif est de représidentialiser la fonction du chef de l’Etat, au profit du gouvernement et du Parlement. Le retour au septennat est une "invitation" à revenir à ce qui justifiait initialement l’existence d’un Pouvoir exécutif bicéphale, et qui résulte d’ailleurs toujours de la lettre de la Constitution. Au président de la République, la fonction d’arbitrage pour assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat, ainsi que de garant de la Constitution et des traités notamment (article 5 de la Constitution). Au Premier ministre et ses ministres la fonction de gouvernement, avec la détermination et la conduite de la politique de la Nation (article 21 de la Constitution). Le retour au septennat est également une "invitation" à revenir à cette idée, qui inspirait initialement la Constitution, d’un équilibre entre les principaux pouvoirs publics constitutionnels "politiques", que sont le gouvernement et le Parlement. Le président de la République, sorte de pouvoir neutre placé au-dessus des contingences politiques devait justement être – au regard du souvenir des IIIe et IVe Républiques marquées par la domination du Parlement – l’une des garanties de cet équilibre. 

Olivier Rouquan :  Le "oui" l'avait emporté avec un taux d'abstention défiant toute concurrence... L'intérêt de ce débat existe cependant du fait des déséquilibres institutionnels causés par ce quinquennat. Quel est l'intérêt d'avoir en effet deux élections concommittantes (présidentielle et législative) ? Cette concommittance génère en effet un taux d'abstention important aux législatives, ce qui entraîne une perte de légitimité du Premier ministre. On l'a bien vu sous Nicolas Sarkozy, et avec l'effacement de Jean-Marc Ayrault. L'intérêt de poser la question est donc de retrouver la souplesse institutionnelle que permettait le décalage des mandats président/député à l'époque du septennat.

Outre le quinquennat, c'est la coordination présidentielle/législative qui est critiquée. Le septennat est-il le meilleur moyen de casser cette dynamique négative ? Qu'est-ce que cela apporterait vraiment ? 

Olivier Pluen : Il serait plus juste de dire que, au travers de la remise en cause du quinquennat, c’est justement le lien étroit qui existe à la fois entre l’élection présidentielle et les élections législatives et entre les majorités présidentielle et législative qui se trouve critiqué. Cette image d’un président de la République qui gouverne a été renforcée par le choix, lors de la révision constitutionnelle de 2000, d’un mandat d’une durée égale à celui des députés à l’Assemblée nationale, ainsi que par la décision de tenir la première élection législative suivant cette réforme (2002), puis les autres élections législatives qui ont suivi (2007 et 2012), dans un délai très rapproché de l’élection présidentielle.

Mais il convient d’avoir en mémoire que ce lien étroit est bien antérieur au remplacement du septennat par le quinquennat, et que cette réduction de la durée du mandat présidentiel n’en est que la conséquence. Dès 1962, et sans que les élections présidentielle et législatives ne se déroulent à une date rapprochée, le Général de Gaulle avait, après avoir dissous l’Assemblée nationale, subordonné son maintien à la tête de l’Etat à l’élection d’une majorité favorable à sa politique au sein de cette chambre. De pouvoir neutre d’après le texte de la Constitution, le Président de la République s’est métamorphosé en pouvoir politique dans la pratique. Et d’ailleurs, le successeur du Général de Gaulle, Georges Pompidou avait initié un projet de loi constitutionnelle établissant le quinquennat, mais qui n’a finalement pas été soumis au Parlement convoqué en Congrès. Le Président Pompidou et les chefs de l’Etat suivants ont repris cette pratique du pouvoir consistant, pour le président de la République, à s’approprier la fonction gouvernementale et à faire du Parlement l’instrument de la mise en œuvre de sa politique. Devenu président de la République en 1981, François Mitterrand a le premier fait coïncider l’élection présidentielle et les élections législatives, en recourant immédiatement à la dissolution de l’Assemblée nationale pour obtenir une majorité favorable à sa politique au niveau de cette chambre. C’est presque naturellement qu’il devait de nouveau dissoudre cette chambre en 1988, et que le président de la République nouvellement élu en 1995, Jacques Chirac, y a semble-t-il pensé pour mettre fin à la scission de la majorité parlementaire entre des membres du RPR et de l’UDF. En revanche, François Mitterrand comme Jacques Chirac, – refusant d’engager leur responsabilité lors d’un scrutin, autre que présidentiel, comme tous les successeurs du Général de Gaulle – ont décidé de se maintenir en fonction après les élections législatives perdues de 1986, 1988 et 1997, en prenant soin de se retrancher derrière les attributions d’arbitrage et de garant que confère la Constitution au chef de l’Etat.

A partir de là, le retour au septennat est surtout une "invitation", faite au titulaire de la fonction présidentielle, à demeurer dans le périmètre des attributions que lui donne la Constitution, afin d’éviter d’y être relégué de manière contrainte à l’occasion d’une cohabitation, que n’a au demeurant pas permis d’exclure le quinquennat établi en 2000. Pour atteindre l’objectif poursuivi, il conviendrait sans doute de réfléchir à des mesures supplémentaires, telles qu’un renforcement du rôle joué par une autre autorité – comme le Conseil constitutionnel – dans l’exercice par le Président de certains des pouvoirs d’arbitrage dont il dispose (référendum de l’article 11 de la Constitution, pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale de l’article 12). De même, il pourrait être envisagé de confier à ce même Conseil constitutionnel – conçu à l’origine comme un organe chargé d’encadrer le Parlement – le soin de veiller au respect par le président de la République du rôle qui lui est dévolu par la Constitution. Cette compétence serait d’autant plus légitime que, en droit comparé, il en va ainsi de la Cour constitutionnelle allemande vis-à-vis du président de la République fédérale, et que, sous la Ve république, les présidents de la République ont vocation à devenir membre de droit à vie du Conseil constitutionnel une fois leur(s) mandat(s) achevé(s). Une dernière mesure, sans doute plus difficile à défendre, consisterait à mettre fin à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, comme cela est le cas depuis 1962 justement…

Dans quelle mesure l'impasse institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons actuellement, avec un président qui semble impuissant à mener des réformes, est-elle imputable au quinquennat ? Que pourrait concrètement apporter le septennat ? 

Olivier Pluen : Le quinquennat, tel qu’appliqué depuis 2002, vise à donner au président de la République tous les moyens institutionnels – appui du gouvernement et de l’Assemblée nationale – de mener la politique qu’il s’est fixée. Lorsque le chef de l’Etat dispose également d’une majorité au Sénat, il se trouve appuyé par le Parlement tout entier. Et lorsqu’il dispose, au sein de ce Parlement, d’une majorité des trois cinquièmes, il bénéficie alors de l’appui du Congrès pour réviser la Constitution. De ce point de vue, le quinquennat confère au président de la République française une capacité à mener des réformes qui a peu d’équivalents en droit comparé, et surtout pas dans un pays tel que les Etats-Unis, marqué par une division très poussée du pouvoir.
La difficulté du système français ne tient donc pas à l’aptitude politique du chef de l’Etat à engager les réformes qui s’imposent, mais au risque que cette omnipotence comporte en cas de sentiment d’incapacité de ce président de la République à les mener à bien. Ce sentiment d’incapacité rejaillit sur l’ensemble des institutions et le Président placé au-dessus de toutes les contingences n’est plus à même de rassurer. De ce point de vue, le retour au septennat permettrait d’opérer une utile dissociation entre le pouvoir de gouverner – qui peut connaître des limites – et la fonction de garant de la continuité de l’Etat – qui semble inébranlable. 

François Mitterrand faisait justement part de ses craintes d'un septennat, donc un mandat long, dans la Ve République et son régime fortement présidentiel. Avait-il raison ? Ne souffrons-nous pas aujourd'hui d'un excès de cette crainte, alors qu'un "quinquennat impuissant" est tout aussi dangereux pour les institutions ? 

Olivier Pluen : François Mitterrand comme Valéry Giscard d’Estaing ont tous les deux dénoncé, avec une certaine raison et bien qu’ils l’aient approuvé une fois devenus Présidents, "l’exercice personnel du pouvoir" sur une longue durée. Mais il est a priori erroné de dire que la France souffre aujourd’hui d’un excès de cette crainte, puisque le quinquennat a justement été créé pour renforcer la capacité du chef de l’Etat à mettre en œuvre sa politique et surtout mettre un terme au sentiment d’impuissance qui a prévalu pendant les neuf années de cohabitation (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002), en raison des relations parfois, voire souvent, difficiles entre le président de la République, d’une part, et le gouvernement soutenu par la majorité au sein de l’Assemblée nationale, d’autre part.  

Olivier Rouquan : On nous expliquait aussi il y a quelque temps que le quinquennat renforçait aussi l'hyper-présidentialisme en évitant les cohabitations... On se rend compte que tout ceci a été déjoué par la pratique. Au train où vont les choses, de plus, rien n'indique non plus que nous ne vivrons jamais une cohabitation avec un quinquennat.

Le Sénat propose en outre que le mandat soit non-renouvelable. Cette idée d'un mandat long, mais unique, est-elle vraiment positive ? Permet-elle vraiment de donner la hauteur nécessaire à la fonction en l'inscrivant dans le temps long et hors du souci de la réélection ?

Olivier Pluen : Il est dit d’un membre de la Chambre des représentants aux Etats-Unis, qui est élu pour un mandat de deux ans, qu’il passe un an à travailler et un an à préparer sa réélection. A la lumière de cette anecdote, il n’est nul doute que le couplage d’un mandat suffisamment long et de son caractère non renouvelable immédiatement présente un véritable intérêt, puisque le chef de l’Etat sera effectivement appelé à prendre – ou reprendre – cette hauteur correspondant à la mission qui lui a été dévolue par la Constitution.

Mais pour que l’objectif recherché puisse être atteint, il convient de ne surtout pas négliger le rôle que doivent jouer tout à la fois le gouvernement et le Parlement pour s’émanciper – notamment par le jeu de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale – et recouvrer la plénitude de leurs prérogatives, et ainsi permettre de revenir à une lecture plus juste de la Constitution.

Olivier Rouquan : On peut aisément renverser l'argumentation. Un président élu pour sept ans non-renouvelables pourrait perdre toute autorité, et serait confronté à un Premier ministre très offensif qui occuperait la réalité du pouvoir. Si on veut garder l'esprit de nos institutions, nous pourrions envisager un "sexennat" (un mandat de six ans donc) avec un mandat parlementaire réduit à quatre ans. Cela mettrait le Président sur une durée de mandat conforme à la durée des mandats d'élus locaux. Cela renouvellerait la légitimité nationale en cours de mandat présidentiel. Et une cohabitation n'est pas toujours un problème. L'Etat n'y est pas moins efficace, en tout cas il ne l'est guère plus quand il n'y a pas de cohabitation... 

L'arythmie électorale ainsi mise en place permet de ré-insuffler de la légitimité nationale en cours de mandat présidentiel, et d'identifier à nouveau la légitimité propre de l'assemblée nationale et du couple qu'elle forme avec le Gouvernement; en conséquence au sein du pouvoir exécutif, le Premier ministre garde sa raison d'être.

Enfin, l'on voit bien, pour ceux qui militent en ce moment pour une dissolution, l'intérêt qu'il y a à distinguer légitimité des législatives et de la présidentielle. De la même manière, une éventuelle cohabitation de deux ans ainsi à nouveau rendue possible, répond d'une autre manièreaux appels récurrents à un Gouvernement d'union nationale... Ainsi, 6 ans pour le président (qui garde ses pouvoirs propres importants) et 4 pour les députés (qui restent 577), cela serait une réforme permettant de retrouver la pertinence et la plasticité de la Constitution du 4 octobre 1958.

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