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Plug anal : et si on parlait du véritable objet du délit ?
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Polémique

L'installation de Paul McCarthy, place Vendôme au mois d'octobre, a rempli sa fonction : créer la polémique. Ce que les défenseurs de l'artiste n'avaient pas prévu en revanche, c'est que l'événement mettrait en lumière un milieu fermé, nuisible à la création artistique.

Aude de Kerros

Aude de Kerros

Aude de Kerros est graveur, peintre et essayiste. Son intense participation à la vie artistique française a fait d’elle une observatrice attentive des grandes métamorphoses de l’art.

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En France, pour des raisons complexes, les débats sur l’Art contemporain dans les grands médias sont extrêmemment rares.  Généralement, lorsqu’il y a un “scandale” dû à la provocation d’une oeuvre d’AC, on assiste seulement à l’exécution des fascistes coupables de “vandalisme”.Pour dire combien le débat est rare, le dernier remonte à 1996. Un article de Jean Beaudrillard dans Libération avait mis alors le feu aux poudres. Il avait écrit : “L’Art contemporain spécule sur la culpabilité de ceux qui n’y comprennent rien ou qui n’ont pas compris qu’il n’y avait rien à comprendre”. Toute la presse s’est impliquée pendant plusieurs mois dans une confrontation violente d’opinions. Il y eut même en mai 1997, un colloque à l’Ecole des Beaux Arts de Paris organisé par le Monde et le Ministère de la Culture. Il tourna au procès de Moscou : Jean Clair et Jean Philippe Domecq  furent jugés et condamnés comme alliés objectifs des nazis. La salle pleine d’artistes a ri et protesté, la tribune fut huée. La presse internationale assistait à l’événement et le commenta abondament. Le lendemain, presque rien dans la presse française : le débat fut enterré pour vingt ans. 

Entre 1997 et 2014, les provocations de l’AC ont été innombrables. Rappelons-nous par exemple les évènements autour de Piss Christ. Le scénario se déroulait toujours de la même façon : la provocation “artistique” - réaction du public - concert d’indignation médiatique.

Le piège conceptuel de Mac Carthy est donc la dernière péripétie d’une longue histoire : depuis quarante ans des centaines d’oeuvre d’AC[1] ont envahi les monuments les plus prestigieux afin de remplir leur mission humanitaire : “détourner”, “mettre en abîme”, “donner à penser“. Versailles, le Louvre, Notre-Dame de Paris et tant d’autres lieux ont servi à l’usage. Le scandale crée évènement, visibilité, cote. La France est le pays d’élection des fabricants de cote, en raison de l’aura et de la légitimité internationale de son patrimoine. La vente de ces biens immatériels est aujourd'hui un commerce d’Etat.

Le "Plug anal” est-il donc un événement nouveau ? Non : le concept et le piège sont parfaits, la dramatisation[2] a très bien fonctionné. Cependant, la deuxième partie de la procédure, celle de l’orchestration médiatique, ne s’est pas passé “normalement”.  Certes les gardiens de l’art officiel se sont indignés unanimement :” Maire de Paris,  Ministre de la Culture, Présidente de la FIAC, Président de la République… Mais tout a “dysfonctionné” car le clergé culturel n’a pas entonné d’un coeur unanimme  les lamentations sur le danger “fasciste”, “l’intégrisme catholique” et “l’obscurantisme populiste”.  A gauche comme à droite, la presse est divisée. Le fait qu’il n’y ait  pas eu que le scandale, mais  aussi un débat - est donc en soi un événement majeur.

Est-ce la provocation de trop, celle qui révèle au grand jour la faille du système? En URSS, le début du basculement en 1974 a été provoqué par une exposition sauvage de dissidents dans un terrain vague, balayée par des bulldozers. L’image captée par un journaliste étranger a fait le tour du monde. Ce petit événement a produit de grands enchaînements. Serions-nous dans une situation semblable? L’enterrement du débat par les grands médias qui a eu lieu en 1997 ne peut plus se reproduire aujourd’hui en raison d’Internet, en 1975 à Moscou il a suffi que l’information soit relayée par la Presse internationale pour que le pouvoir absolu de l’Etat soviétique en matière artistique soit fragilisé. 

En 2014, les grands médias permettent, pour la première fois depuis vingt ans, à des opinions divergentes de s’exprimer : Jack Lang au Grand Journal de Canal Plus émet des doutes, Philippe Dagen tire la sonnette d’alarme : il est imprudent, dit-il, de révéler ainsi la fabrique de fausse monnaie qu’est le marché de l’AC. Il contrebalence la position du  chroniqueur du Monde[3] qui compare avec enthousiasme Mac Carthy à Gustave Courbet. Si le Canard Enchaîné dénonce le fascisme rampant, oh! Surprise, au Figaro, Rioufol et Natacha Polony critiquent  le Plug. Dans Marianne, Eric Conan met à nu les ressorts du système et désigne la collaboration des fonctionnaires, etc. L’incident n’est pas clos après la FIAC, les hebdomadaires et mensuels consacrent de l’espace au débat. Comme en 1997 il s’inscrit dans la durée.

Le Plug anal, événement artistique pour une fois controversé, a laissé voir à la fois son réseau de soutien et sa finalité financière. Censé “dénoncer la société de consommation” il est surtout un produit d’appel très visibile, reservé aux très grands collectionneurs, entraînant dans son sillage maints produits dérivés, une véritable industrie d’objets sériels. Les moyens formats sont destinées aux galeries et les chocolats et sextoys à la boutique de l’Hôtel de la Monnaie. Car il a paru évident aux membres du Haut Conseil Culturel en charge de sa programmation d’organiser l’exposition “La Fabrique de Chocolat”… Tout le monde sait qu’il existe entre excrément et argent un lien symbolique fort.

Quelle est en definitive la nature de l’objet du délit ? C’est un chef d’oeuvre d’AC, promu par l’Etat. Si l’on regarde la composition de ce Haut Conseil, il rassemble les noms de l’art officiel en France : Président de Maison de Vente, inspecteurs de la création, universitaires, journalites, politiques, conseillers à la Cour des Comptes, galeristes, toute une société de personnes liées en bonne partie par les moeurs. La liste[4] dévoile l’étrange exception culturelle française où l’Etat est le centre d’un réseau où secteur public et privé se mélangent, au service  d’un marché de l’art contrôlé, ostracisant les artistes vivant et travaillant en France.

Pour la première fois apparaît de façon claire et factuelle, grâce à une faille des “gate keepers médiatiques”, la réalité d’un système fermé, financièrement pervers, qui stérilise la création.


[1] AC, acronyme de "Art contemporain" utilisé par Christine Sourgins dans "Les Mirages de l’Art contemporain" Ed. de la Table Ronde pour distinguer ce courant conceptuel de l’ensemble de la création d’aujourd’hui.

[2] Il n’est pas impossible que la gifle et le dégonflage fasse partie du scénario de l’oeuvre

[3] Le Monde, 20 octobre 2014 : "Place Vendôme, le créateur et les crétins"

[4] Le conseil culturel de la Monnaie :M. Martin BETHENOD Directeur du Palazzo Grassi et Punta della Dogana, M. Guillaume BOUDY Conseiller Maître à la Cour des Comptes, Mme Véronique CAYLA Présidente d’Arte France, M. Guillaume CERUTTI, Président-directeur général de Sotheby’s France, Mme Catherine COLONNA Ancien Ministre, Ambassadeur de France en Italie, M. Henri-Claude COUSSEAU Ancien Directeur de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts M. Jean-François DUBOS Président du Centre de Musique Baroque de Versailles Administrateur du Festival d’Aix en Provence - M. Hugues R. GALL Membre de l’Institut, Directeur de la Fondation Claude Monet - M. Christophe GIRARD Maire du 4e arrondissement de Paris- M. Rémi LABRUSSE Professeur des universités- Mme Jeannine LANGLOIS-GLANDIER Présidente du Forum Télé Mobile-Mme Murielle MAYETTE- M. Thomas MAYNE Architecte- M. Kamel MENNOUR Directeur de galerie- M. Jean-Luc MONTEROSSO Directeur de la Maison Européenne de la Photographie -M. Alain SEBAN Président du Centre Georges Pompidou Plus d’infos

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