Le silence de l’administration vaut acceptation et non plus rejet à l’exception de… 700 cas définis par 42 décrets : une laborieuse “révolution”<!-- --> | Atlantico.fr
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La règle du "Silence vaut accord" décidée dans le cadre du "choc de simplification" entre en vigueur ce mercredi 12 novembre.
La règle du "Silence vaut accord" décidée dans le cadre du "choc de simplification" entre en vigueur ce mercredi 12 novembre.
©Reuters

Le silence est d'or

La règle du "Silence vaut accord" décidée dans le cadre du "choc de simplification" entre en vigueur ce mercredi 12 novembre. Désormais, une absence de réponse de la part de l'administration au bout de deux mois équivaudra à une acceptation. Une "révolution", disait Najat Vallaud-Belkacem en juillet dernier, nuancée par un grand nombre d'exceptions qui vont donner du travail aux juristes.

Françoise Dreyfus

Françoise Dreyfus

Françoise Dreyfus est professeur émérite de Sciences politiques à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Son champ d'études porte sur la bureaucratie et l'administration publique. 

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : La règle du "Silence vaut accord" entre en application ce mercredi 11 novembre. Désormais, si un citoyen n’obtient pas de réponse de la part de l’administration dans un délai de deux mois, il peut considérer que cela vaut acceptation. Néanmoins, dans certains cas, le silence de l'administration continuera de valoir décision de rejet. Quelles sont les exceptions à cette nouvelle règle ? 

Roland Hureaux :  Il ne faut pas s'emballer : nous nous situons là non pas face à une révolution mais à une évolution de long terme. C'est à ma connaissance du temps de Giscard d'Estaing, en 1980, Jean-François Deniau étant ministre de la Réforme administrative, qu'on a commencé, dans certains domaines, à dire que le silence de l'administration valait accord, notamment pour les permis de construire ordinaires. Puis est venue la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 qui étend largement le principe puisque il touche désormais 400 matières. La loi actuelle a néanmoins ceci de nouveau qu'elle pose comme règle que le silence vaut acceptation, avec des exceptions, qui représentent tout de même 700 cas.

Françoise Dreyfus : Avant de s’intéresser aux cas dans lesquels le silence de l’administration continuera de valoir décision de rejet de la demande, il convient de souligner que l’application à partir du 12 novembre de la règle "le silence de l’administration vaut accord" constitue un important progrès pour les administrés ; il faut en effet rappeler que, jusqu’à présent, le silence de l’administration valant rejet ouvrait la voie à de nombreux recours contentieux devant la juridiction administrative. L’institutionnalisation de l’adage "qui ne dit mot consent" devrait ainsi éviter des recours résultant d’une certaine inertie administrative.

Si 1200 procédures bénéficieront désormais de ce que l’on pourrait appeler le silence positif de l’administratif, de nombreuses dérogations à ce principe ont été prévues dans des décrets du 23 octobre 2014 qui établissent pour chaque ministère la liste des décisions pour lesquels le silence continue de valoir rejet et, s’il y a lieu, le délai supérieur ou inférieur à deux mois à l’expiration duquel il y a rejet. De manière générale ces dérogations s’appuient sur des motifs tenant à l'objet de la décision ou sur des motifs de bonne administration et plus précisément dans certains cas sur "le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public". Dresser la liste de ces dérogations, dont le nombre est très variable selon les ministères, revient à faire un inventaire à la Prévert.

Au regard des 700 exceptions pré-établies et des domaines particuliers concernés, peut-on encore parler de "petite révolution" comme l'avait estimé Najat Vallaud Belkacem au mois de juillet ? 

Roland Hureaux :Petite, petite.Car 700 exceptions, c'est beaucoup ! Les administrations ont pris leurs dispositions pour qu'il n'y ait pas de révolution. Et elles ont d'ailleurs raison. Dans certains cas, ces autorisations sont nécessaires, par exemple s'agissant d'un permis de construire en zone sensible et d'une façon générale dans tout ce qui risque d'avoir des effets irréversibles. J'aimerais ainsi savoir ce qu'il en est au sujet de l'autorisation de construire des éoliennes, qui sont elles aussi, du fait de la masse considérable de béton qui est requise, des actes aux conséquences irréversibles.

Françoise Dreyfus :  Sans doute aurait-on souhaité que cette "petite révolution" soit plus grande. A l’époque où s’exprimait Najat Vallaud-Belkacem, la liste des dérogations n’avait pas encore été établie et la ministre pouvait penser que la nouvelle règle serait plus largement appliquée.

Cette règle du silence valant accord est-elle mort-née ? Ce pan du "choc de simplification" et ses exceptions ne risquent-ils pas dans une certaine mesure de complexifier les rapports avec l'administration ? 

Roland Hureaux : Il arrive en effet très souvent, en matière de politiques publiques que des dispositifs ayant pour but  telle ou telle amélioration se traduisent au contraire par une dégradation. En l'espèce, je vois un de ces mécanismes : dans beaucoup de cas, l'administration exigera que les demandes des citoyens soient faires par lettre recommandée, alors qu'avant, une lettre simple suffisait. Le recommandé sera nécessaire pour pouvoir prouver que la demande a bien été faite. Je suis certains qu'en réfléchissant, on trouvera bien d'autres exemples d'effet pervers de ce genre. Mais je n'irai pas jusqu'à dire que la nouvelle règle est mort-née.

Françoise Dreyfus : Je ne pense pas que cette règle soit mort-née ; mais il est clair que pour le citoyen et/ou usager de services administratifs, il ne sera pas simple de savoir dans quelle "case" se situe la demande qu’il aura faite et si elle est soumise à la règle du silence valant acceptation ou au contraire rejet. Par ailleurs, le silence valant acceptation n’est pas toujours limité à deux mois; il y a des cas où le délai est de  trois, quatre, six mois ou plus. De ce point de vue, il n’est effectivement pas certain que le choc de simplification produise tous les effets attendus ; il y aura du travail pour les juristes!

A quels effets pervers une telle règle peut-elle donner lieu ? Si certains services n’ont structurellement pas les moyens de traiter les demandes en temps et en heure, peuvent-ils être poussés à user de moyens détournés pour rallonger les procédures. La technique du "document manquant", qui relance le délai de la procédure, pourrait-elle être beaucoup plus utilisée qu’elle ne l’est aujourd’hui, par exemple ?

Roland Hureaux :  Sans doute. Mais je crains plutôt que sur tel ou tel sujet, on ne se rende compte que l'administration, en ne répondant pas, aura fait une grosse erreur. On sera alors amené à réviser la réglementation pour la durcir à nouveau.

Françoise Dreyfus : Dans la mesure où les ministères, notamment régaliens comme celui de l’Intérieur, continuent de bénéficier pour nombre de décisions de la règle "silence= rejet" - de surcroît assortie d’un délai supérieur à deux mois -, je ne crois pas que les autres administrations recourront à la technique du "document manquant" pour tenter de rallonger les délais. Ceci d’autant que leurs performances étant évaluées, il n’est pas de leur intérêt de faire trainer le traitement des dossiers ; par ailleurs, la possibilité pour les usagers d’effectuer certaines démarches en ligne est, en soi, un moyen d’accélérer les procédures dont l’administration tire aussi profit.

A quelles conditions la vie des Français sur le plan administratif pourrait-elle être véritablement révolutionnée ?

Roland Hureaux : Je dirais brutalement qu'il faudrait commencer par alléger la pression fiscale car pour beaucoup de Français, l'intrusion de l'administration, c'est d'abord cela. Alléger et simplifier car la fiscalité est un domaine majeur où on ne voit pas beaucoup de simplifications.

Pour faire une vraie révolution, il faudrait avancer sur plusieurs fronts, avec une approche globale : les régimes d'autorisations ne représentent qu'un volet de la complexité administrative. D'ailleurs, on en crée toujours. En consultant la liste des régimes qui vont être simplifiés, je vois que beaucoup ont été instaurés entre 2000 et 2010. Par ailleurs il n'y a pas que les autorisations administratives : on peut compliquer la vie des gens de bien d'autres manières. En touchant aux transactions privées, en particulier : la loi Duflot a multiplié les diagnostics et autres attestations que le bailleur ou le vendeur d'un bien immobilier sera obligé de produire : résultat : une paralysie du marché immobiliser ! Et il y a aussi la question des interdictions pure et simples, de plus en plus nombreuses : il est question par exemple de sanctionner les mères de familles qui fumeront dans une voiture où il y a des enfants : où va-ton ? Nous touchons là à ce qui est à la base de toutes les complications : l'escalade des exigences en matière de sécurité (y compris alimentaire), d'environnement etc. qui rend de plus en plus la vie impossible. Demandez aux agriculteurs qui sont de plus en plus découragés, non par l'évolution économique mais par les paparasses de plus en plus nombreuses qu'on exige d'eux. Mais nous touchons là à de fondamentaux de la société contemporaine. Si j'ose le paradoxe, on s'empoisonne la vie parce on craint trop la mort ! Le principe de précaution est à cet égard désastreux : je ne crois pas qu'on arrivera à simplifier vraiment la vie de nos concitoyens si l'on n'accepte pas le principe d'une certaine imperfection de notre société.

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