5 ans après le collectif Citoyen : l’Open Data, un bilan mitigé en termes de transparence de la vie publique<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Open Data a un bilan mitigé en termes de transparence de la vie publique.
L’Open Data a un bilan mitigé en termes de transparence de la vie publique.
©Reuters

Peut mieux faire

Le site Regards Citoyens est né en 2009, dans le but de donner un accès simplifié au fonctionnement des institutions françaises et d'effectuer un suivi de l'action menée par les élus. D'autres initiatives ont percé en ce sens mais la route vers la transparence démocratique est encore longue.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : La haute autorité pour la transparence de la vie publique a publié à la fin du mois d'octobre les déclarations d’intérêts des députés européens, après avoir publié celles des députés et des sénateurs ainsi que que leur patrimoine. Quelles ont été les récentes avancées en matière de transparence de la vie publique ?

Fabrice Epelboin : La loi sur la transparence, décidée à la hâte par l’exécutif dans l’espoir d’éteindre la crise de confiance déclenchée par l’affaire Cahuzac est un échec absolu. Non seulement elle a mis de l’huile sur le feu et n’a fait que renforcer la méfiance des Français envers le politique, mais le parcours parlementaire de cette loi, ses multiples amendements, allant parfois jusqu’au ridicule, montre très clairement que les politiques ont des choses à cacher, ce qui est de nos jours confirmé presque chaque jour par un nouveau scandale. Les cris d’orfraie en provenance de l’Assemblée appelant au respect de la vie privée procèdent d’un cynisme crasse de la part de députés qui n’ont pas hésité à voter par la suite des lois enterrinant la société de la surveillance, permettant à l’Etat de surveiller les moindres faits et gestes de la population, et on achevé d’établir de façon durable le sentiment que les politiques sont au-dessus des lois.

Les déclarations de patrimoine qui en ont résulté confinent souvent au mensonge ou à la confusion volontaire - au plus haut niveau de l’Etat - entre déclaration ISF et patrimoine pour ceux dont ce dernier était en large partie constitué par des œuvres d’art, suivi de scandales à répétition comme la révélation que les élus ne subissent pas du tout la même pression fiscale que la population car ils bénéficient, comme l’a révélé le Canard récemment, d’un régime fiscal particulièrement favorable et d’exonérations multiples, qui a par exemple permis à l’actuel président de la République de payer en 2012 deux fois moins d’impôts qu’un salarié ayant des revenus équivalents, expliquant au passage le refus catégorique de la part du personnel politique de publier ses déclarations d’impôts, comme c’est le cas dans de nombreuses démocraties du nord de l’Europe. L’indignation feinte dans les rangs de l’Assemblée National suite à l’affaire Thevenou, - alors que Patrick Balkany siégeait tranquillement dans les rangs de l’Assemblée - a réduit à néant toute forme de confiance entre les électeurs et leurs élus. Une chose est désormais certaine, ce n’est pas du coté des élus qu’il faut attendre un effort de transparence, bien au contraire. Lors de son dernier meeting, Nicolas Sarkozy se prononçait d’ailleurs sans la moindre ambiguité contre la transparence, ce qui, dans son cas, se comprend aisément.

Les avancées concernant la transparence de la vie publique ne sont pas le fruit d’une volonté politique mais d’un changement de paradigme dans la nature de l’information, qui rend celle-ci incontrôlable. Trois facteurs intimement liés aux technologies rendent la transparence inévitable, et signent, d’une certaine façon, la fin définitive de la confiance, et par extension, du sentiment collectif de vivre dans une démocratie, avec tous les bénéfices qui cela représente, notamment en matière de paix et de cohésion sociale.

Le premier facteur technologique lié a cette crise de la transparence est le passage depuis le début du XXIe siècle d’un monde où l’information est produite et distribuée de façon centralisée à un monde où l’information est diffusée par ceux qui la produisent et ceux qui la consomment au travers de réseaux sociaux, qui ne sont en rien des médias comme le petit monde de la communication se plait à le penser, mais des réseaux de distribution, plus proches, conceptuellement, des NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne, ndlr).

Avec l’arrivée des réseaux sociaux et des blogs, non seulement le moindre spécialiste peut s’adresser à la foule sans l’intermédiation des médias, réaliser parfois des scores d’audience supérieurs à la presse nationale, et peut ainsi s’abstenir de polir un discours de façon à le rendre conforme à une certaine forme de politiquement correct, tout en décidant seul du degré de simplification qu’il souhaite donner à ses propos. Mais pire encore, la distribution de l’information, qui échappe de plus en plus aux medias traditionnels, se fait sur le modèle du réseau et échappe à tout contrôle. Il est loin le temps où pour "censurer" une information il suffisait d’exercer une pression sur une douzaine de patrons de presse ou les quelques actionnaires qui possèdent l’appareil médiatique français, tous à la tête d’entreprises dépendantes des commandes de l’Etat.

De nos jours, même quand la presse "oublie" de mettre dans l’actualité qu’elle a retenu pour ses lecteurs une information "dérangeante" ou contredisant sa ligne éditoriale, les réseaux prennent immédiatement le relais et mettent cette information à la Une. Rien que la semaine dernière, cela fut le cas pour trois évènements politiques européens majeurs, passés totalement inaperçus dans les JT et les Unes de la presse traditionnelle : le fait que Podemus, le parti politique issu du mouvement des indignés qui a fait suite au Printemps Arabe, soit en tête dans les sondages en Espagne ; les manifestations qui protestaient contre la surveillance d’Etat, qui dégénèrent en émeutes urbaines à Londres et à laquelle des personnalités du ShowBiz se sont jointes, et à Bruxelles, d’autres manifestations violentes contre l’austérité, également passés sous silence dans la presse française. Ces informations ont eu une visibilité spectaculaire sur les réseaux sociaux, ce qui, au passage, est désastreux pour la confiance entre la presse et ses lecteurs, et explique en partie les faibles tirages et les difficultés rencontrées par la presse, qui donne de plus en plus l’impression de relayer de façon uniforme la même sélection d’informations, et de se distinguer par leurs seuls éditoriaux, qui ne sont ni plus ni moins que du blogging.

Le second facteur est l’apparition de façon proéminente de la figure du whistleblower, celui qui, au sein d’une organisation, dénonce les pratiques de celle-ci en étayant ses propos par la publication de documents jusqu’ici confidentiels, donnant à ses accusations un caractère définitif face auquel la communication de crise classique ne peut rien. Si ce phénomène n’est pas nouveau, Wikileaks a ouvert une ère du whistleblower avec Bradley Manning, qui n’est pas prêt de se refermer. Cette ère est celle où toute organisation - politique, corporate ou autre - ne peut se permettre d’avoir des pratiques qui sont en contradiction avec les valeurs qu’elle affiche.

La plupart des dirigeants ont encore bien du mal à saisir les conséquences de cela. Les politiques ont au-dessus de leur tête une épée de Damoclès qui menace de tomber à chaque instant, et les entreprises - dont les marques, qui capitalisent, sous la forme de spectaculaires valorisations financière les valeurs qu’elles affichent - risquent de voir s’effondrer la confiance de leurs consommateurs et leurs cours de bourses à chaque instant.

Ce sont des whistleblowers qui ont littéralement détruit l’image des USA avec la publication des câbles diplomatiques par Wikileaks, puis avec les documents fournis par Edward Snowden, c’est encore un whistleblower qui a détruit l’image de l’Europe avec les LuxLeaks montrant que l’actuel président de la Commission européenne avait activement contribué ces dix dernières années - alors qu’il était Premier ministre du Luxembourg - à une évasion fiscale massive d’une large partie des multinationales exerçant sur le territoire européen, privant de recettes fiscales considérables les populations et enfermant le continent tout entier dans une spirale d’austérité dont nul ne sait à ce stade si l’Europe s’en relèvera. Une chose est certaine cependant, il est désormais très difficile d’affirmer que l’Europe de Junker travaille dans l’intérêt des populations, tant les LuxLeaks démontrent précisément le contraire : c’est peut être un whistleblower qui aura apporté la goutte qui fera déborder le vase du ras-le-bol des populations envers une Europe vécue comme injuste et qui est en passe de se faire renverser par des courant populistes.

Le troisième facteur est l’arrivée des hackers dans la scène politique. L’information est aujourd’hui, dans sa quasi totalité, disponible quelque part sous forme numérique. Qu’il s’agisse de la comptabilité d’une entreprise ou de PricewaterhouseCoopers, des échanges d’emails entre décideurs ou de la documentation d’un groupe de travail au Parlement européen, tout cela est stocké, enregistré quelque part, sur le disque dur d’un portable, le serveur d’une entreprise ou d’une institution, ou pire, dans le fameux "cloud". Or dans ce territoire numérique, la sécurité à 100% n’existe pas et n’a pas du tout été pensée pour la configuration sociale propre au XXIe siècle. Les hackers peuvent aisément se servir et découvrir une multitude d’informations censées être secrètes pour ensuite les rendre publiques ou - comme dans le cas des LuxLeaks — les transmettre à certains organes de presse qui ont compris le changement de paradigme que représentent les hackers pour la presse.

Si la presse a pu jouer, de Zola jusqu’à aujourd’hui (et même avant Zola pour être exact), le rôle de contre-pouvoir, sa dépendance financière à des intérêts économiques qui la dépassent et la placent au cœur de multiples conflits d’intérêts - la met dans l’impossibilité aujourd’hui d’assurer cette mission de contre-pouvoir démocratique. Ce sont les hackers - ainsi que les whistleblowers - qui de nos jours assurent cette fonction indispensable à la survie de l’espérance démocratique qui anime encore une très large partie de la population européenne.

Si les populations ont découvert l’existence et l’avancée considérable de la société de la surveillance grâce à Edward Snowden, où des entités étatiques traquent le moindre fait et geste des populations, il faut aussi réaliser qu’il existe un effet secondaire, un revers de la médaille, celui justement des hackers, qui sans avoir un accès aussi large que la NSA à l’information personnelle, étatique et corporate, ont tout de même des moyens qui hier encore semblaient impensables. Les hackers sont désormais dans une position qui était celle de la presse au XXe siècle, la presse est elle reléguée, pour l’essentiel, au rôle de commentateur et - pour les plus courageux - à celui de collaborateur. C’est très difficile pour une profession qui voyait arriver il y a à peine plus de dix ans internet comme étant à son service, et s’imaginait que la technique, comme au temps de la précédente "révolution technologique" qu’était la PAO (Publication Assisté par Ordinateur) allait lui être subordonnée.

Quelles améliorations pourraient-être apportées ?

Il ne faut pas s’attendre à ce que les politiques scient la branche sur laquelle ils sont assis, ce serait absurde et stupide de leur part. Si demain la population avait accès aux petits secrets du monde politique, ce dernier serait balayé par une vague de protestations qui remettrait Robespierre au goût du jour. Il est évident que les élus vont s’accrocher à leurs privilèges et défendre jusqu’au bout leurs secrets, quitte à faire des concessions importantes en matière de libertés publiques et individuelles, comme ce fut le cas récemment avec la loi antiterroriste qui vise bien au-delà de la simple lutte contre le terrorisme, et contient des amendements visant spécifiquement des phénomènes comme Wikileaks - les whistleblowers - ou Anonymous - les hackers. Le politique a instinctivement compris que les whistleblowers et les hackers étaient une menace mortelle et se met en position de pouvoir livrer bataille, quitte à remettre en question des fondamentaux démocratiques, comme la liberté d’expression ou - comme en Espagne - le droit de manifester. Certaines "démocraties" comme l’Espagne n’hésitent pas à sanctionner lourdement le fait de prendre en photo les actes de violence commis par les forces de l’ordre. Illusoire à l’heure ou chacun possède, dans la poche de son pantalon, un smartphone susceptible de prendre des photos, des vidéos, et de les transmettre, en temps réel au besoin, à la terre entière à travers les réseaux sociaux.

Il est également évident que les contre-pouvoirs qui luttent contre cela vont se structurer, diversifier leurs modes d’action, apprendre et devenir de plus en plus efficaces. Les hackers sont à l’avant poste de ces contre-pouvoirs, et ils disposent d’un avantage décisif dans la bataille qui s’annonce, celui d’être sur leur terrain, celui des technologies de l’information. Un territoire que politiques ne comprennent pas du tout, à l’image d’un Nicolas Sarkozy utilisant un téléphone sous un nom d’emprunt pour échapper aux écoutes - une technique qu’un dealer de banlieue jugerait hasardeuse - ou de François Hollande, prônant lors de son dernier fiasco télévisuel un grand programme informatique pour l’éducation nationale destiné à "coder" les "nouvelles technologies" avec des "tablettes". Un alignement de buzzwords destiné former une phrase qui pourrait sembler receler un sens aux oreilles d’un néophyte mais qui a suscité un éclat de rire général chez les spécialistes du sujet, suivi d’un découragement tant cela annonçait un ratage spectaculaire, à l’image des précédentes réformes qui étaient censées amener l’informatique à l’école depuis les années 80, et qui se sont toutes soldées par d’importants budgets alloués en pure perte aux entreprises proches du pouvoir, sans pour autant faire progresser l’éducation au numérique en quoi que ce soit.

Les seules améliorations que l’on peut imaginer apporter à ce stade sont de l’ordre de la protection des whistleblowers, et c’est un chantier important. Bien sûr, ce ne sont pas les politiques qui vont s’y atteler, mais les hackers, eux, peuvent faire beaucoup de choses pour cela et sont à l’œuvre depuis pas mal de temps. Sécurisation des échanges, dispositifs techniques destinés à protéger l’identité d’une source, et pour les organes de presse qui réalisent des investigations, comme le Canard Enchainé ou Mediapart en France, sécurisation de leurs archives de travail et de leurs travaux d’investigation de façon à les protéger de la surveillance d’Etat.

Du coté de la presse, il y a un effort considérable à mettre en œuvre, pour ceux qui ont d’autres ambitions que celle consistant à s’enfoncer dans cette confusion générale entre journalisme et communication. L’effort doit porter essentiellement dans le rapport à la chose technique en général et aux hackers en particulier. Il leur faut comprendre que si la chose technique, dans leur secteur d’activité, leur a été naturellement subordonnée durant la seconde partie du XXe siècle, elle est, au XXIe siècle, dans une position de domination totale. La domination des technologies dans la marche du monde, qu’elle soit économique ou sociale, c’est vrai pour Google, Amazon, Facebook et consort, mais il serait dommage de ne voir que cela, car la réalité est autrement plus vaste qu’un quarteron de géants de la Silicon Valley.

Dans cette révolution numérique que nous traversons, Amazon, Google et consorts sont l’arbre qui cache la forêt, et sont, du reste, utilisés comme tels par les politiques. Souvenez vous des discours grandiloquents de nos politiques nationaux, expliquant à qui voulait bien leur tendre un micro qu’Amazon et Google étaient diaboliques parce qu’il ne payaient pas l’impôt. A la lumière des LuxLeaks, il s’avère que non seulement ces mêmes politiques avaient « oublié » de préciser qu’il en était de même pour la quasi totalité des grandes multinationales - dont les Françaises - mais qu’ils avaient été quasi unanimes à recommander Junker comme président de la commission Européenne, lequel s’avère être le grand ordonnateur de cette gigantesque opération d’évasion fiscale à l’échelle du continent européen tout entier, ce qui, d’après les premiers témoignages émanant de Bruxelles, était un secret de polichinelle que nos dirigeants politiques ne pouvaient ignorer. Comble du cynisme, ces politiques qui hier hurlaient au loup à propos de l’évasion fiscale des géants de la Silicon Valley, ont non seulement profité de cela pour remettre en question la neutralité du net, garant d’une certaine forme de démocratie en ligne, mais sont aujourd’hui muets quant aux révélations des LuxLeaks, dont ils ne pouvaient ignorer l’existance.

Quels sont les outils à disposition des citoyens à la fois pour accéder aux données mais aussi pour informer eux-mêmes ces plateformes ?

Les outils qui ouvrent réellement des perspectives démocratiques sont le fruit d’initiatives citoyennes. On peut citer deux exemples qui sont particulièrement caractéristiques : celui de la Sunlight Foundation aux USA, qui développe des technologies destinées a apporter aux citoyens une transparence accrue sur la vie publique, et celui, en France, de Regards Citoyens.

Le dernier service mis en ligne par Regards Citoyens - la Fabrique de la Loi - permet par exemple de comprendre de façon graphique un parcours législatif. Ce sujet, jusqu’ici obscur et réservé aux politologues et aux élèves de Sciences Po., est désormais accessible à toute personne s’intéressant à la façon dont un projet de loi se transforme, à travers sa discussion et ses amendements à l’Assemblée Nationale comme au Sénat, en loi, pour finir en décrets d’application. Il permet de comprendre comment le texte de loi sur la transparence de la vie politique voté l’an dernier en France a été rendu parfaitement inopérant, comment cela a été fait, et qui est à l’origine de cela, choses qui demandaient auparavant l’analyse d’un spécialiste. C’est une avancée démocratique bienvenue. La même organisation - Regard Citoyen - avait marqué il y a quelques années son arrivée sur la scène politique par la mise en ligne d’un site - nosdeputes.fr - permettant à travers l’analyse de données publiques - discours, rédaction d’amendements, etc - de réaliser des fiches techniques sur chaque représentant à l’Assemblée Nationale permettant d’identifier d’un seul coup d’œil les domaines d’intervention de tel ou tel député, et de pouvoir évaluer la qualité et la quantité de travail fourni par chaque député.

La fiche de Jean-François Copé sur Nosdeputes.fr

Cet outil avait à l’époque été décrié par l’ensemble de la classe politique, mais celle-ci s’était résolue à accepter l’inévitable, quitte à voir certains députés trainés dans la boue tant l’outil permet d’identifier immédiatement ou presque des conflits d’intérêt ou une activité parlementaire inexistante au point de se demander si certains élus consacraient ne serait-ce qu’une heure par semaine à leurs travaux parlementaires, le cumul des mandats, parfois poussé à son paroxysme, mettant en évidence qu’il n’est pas humainement possible d’assumer en parallèle autant de postes à haute responsabilité.

Au regard des promesses de l'Open Data en matière de transparence de la vie publique, quel bilan peut-on en dresser ?

Un bilan mitigé. D’un coté nous avons en France une initiative - Regards Citoyens - qui fête en ce moment ses cinq ans d’existence, de l’autre… nous n’avons pas grand chose, si ce n’est des effets d’annonces accompagnés d’écrans de fumée.

Regards Citoyen a beau être une superbe initiative, elle reste fragile et repose sur la bonne volonté de ses fondateurs et de ses volontaires, et une capacité de financement très insuffisante au regard de la tâche à accomplir. Il est indispensable de sécuriser financièrement cette initiative, et il est indispensable que ce financement ne provienne pas de l’Etat, sous peine de se retrouver tôt ou tard dans une situation de conflit d’intêret. Or les Français n’ont pas dans leur culture - contrairement aux Américains - l’habitude de mettre la main au porte-monnaie pour soutenir de telles initiatives. C’est un problème critique qu’il faut adresser pour pérenniser Regards Citoyens.

De l’autre, l’initiative d’Etat portant sur l’Open Data est intéressante, dirigée par quelqu’un - Henri Verdier - qui est très respecté dans le milieu des technologies mais qui doit faire avec des contraintes qui peuvent surgir de toutes parts.

Ainsi, si une petite partie du cadastre est aujourd’hui disponible sous la forme d’open data, des éléments critiques ne le seront jamais. Il est parfaitement invraisemblable de rendre disponible l’historique des autorisations de permis de construire sur le territoire Français sous la forme d’open data, sous peine de voir surgir un petit malin qui à l’aide d’un script informatique réalisé en quelques heures, mettra en évidence de curieuses corrélations entre, par exemple, l’augmentation des autorisations de permis de construire et les périodes correspondant aux élections municipales.

Barack Obama, qui est le précurseur de ce mouvement Open Data en a fait les frais en allant trop vite en besogne : une équipe de chercheurs avait montré, quelques mois après la mise à disposition par l’Etat Américain de données publiques sous forme d’open data, une étrange corrélation entre l’augmentation significative des peines d’incarcération aux Etats Unis dans les Etats ayant largement privatisé leurs établissements carcéraux, et le vote des sénateurs de ces mêmes Etats contre l’arrêt du programme de privatisation des prisons voulu par l’administration Obama. Quelques mois plus tard, une investigation journalistique avait montré à quel point le système judiciaire américain était dans certains Etats totalement corrompu, certains juges et politiques touchant des commissions versées par des établissements carcéraux privés calculées sur la base des revenus générés par les peines qu’ils prononçaient. Cette même étude avait permis de montrer une chute drastique des condamnations à mort dans certains Etats comme le Texas, car les bénéfices induits par une condamnation à mort pour une prison privée étaient bien moins importants que pour une condamnation à la réclusion à perpétuité. Comme quoi il existe des cas de figure où la corruption peut faire avancer les Droits de l’Homme, mais il ne sont pas nombreux. A ma connaissance, c’est d’ailleurs le seul exemple.

L’Open Data permet de mettre en évidence une myriade d’affaires de corruption, de détournement de fonds, d’appels d’offre truqués, d’abus de toutes sortes, à partir du moment où ces pratiques sont largement répandues au sein du corps politique, ce qui est bien souvent le cas. Non pas que les politiques soient tous corrompus, loin de là, il en existe beaucoup qui se contentent de regarder leurs collègues faire sans participer à cela pour autant, mais ces derniers sont en minorité à en juger par la façon dont la loi sur la transparence politique à été vidée de son sens. Le problème ici réside dans le fait que les techniques utilisées par les élus pour détourner de l’argent public, truquer un appel d’offre ou financer une campagne de façon illégale sont assez standardisées, et l’open data, combinée aux analyses rendues possibles par la Big Data, rendent tout cela visible comme un nez au milieu de la figure.

Au final, l’Open Data n’ira pas bien loin, car pousser ce type de programme ne peut que rendre encore plus évident la situation d’hyper-corruption de pays comme la France - Mediapart estimait dans un récent colloque le coût de la corruption en France à 60 milliards d’Euros, soit 3% du PIB, ou, rapporté à la proportion du PIB relative à la dépense publique - 57% - représente un "prélèvement" de l’ordre de 5%, soit une "marge" comparable à bien des industries, qui sont loin d’atteindre un tel chiffre d’affaire cependant. Ainsi, résoudre le problème de la corruption résoudrait de facto le problème de la croissance et par extension du chômage et de la compétitivité.

Le paradoxe étant que selon toute vraisemblance, la corruption n’est pas du tout en train de croitre de façon exponentielle, bien au contraire. C’est l’arrivée de technologies et d’usages liés aux technologies évoqués plus haut qui la rend particulièrement visible, et qui donne une fausse impression à la population d’un phénomène hors de tout contrôle, là où les politiques ont le sentiment probablement légitime d’un phénomène en nette diminution, ce qui est vraisemblable.

En ouvrant les portes de l’Open Data, on risque fort de démontrer qu’en effet, la corruption a toujours été présente et dans des proportions bien plus importantes encore, achevant ainsi de façon radicale et définitive tout espoir quant au rétablissement d’un lien de confiance entre élus et électeurs, et par la même, tout espoir démocratique. Le contrat social, comme tout contrat, ne vaut que si les deux parties - gouvernants et gouvernés - en respectent les clauses, faut de quoi, il est considéré comme caduque.  Nous sommes dans une situation démocratique d’injonction paradoxale vis à vis de l’Open Data : elle est indispensable à toute progression démocratique, mais elle tuera dans l’œuf tout espoir démocratique en liguant l’ensemble des populations contre un ennemi commun, le corps politique.

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