Créations record d’emplois aux États-Unis et au Royaume-Uni : les leçons sur ce que pourrait être une France qui aurait renoncé au fatalisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Les courbes du chômage aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ressemblent désormais à leur niveau avant-crise de 2008.
Les courbes du chômage aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ressemblent désormais à leur niveau avant-crise de 2008.
©Reuters

Projection

Alors que les courbes du chômage aux États-Unis et en Grande-Bretagne ressemblent désormais à leur niveau avant-crise de 2008 (respectivement 5,9% et 6,4%), la France voit toujours le nombre de ses demandeurs d'emploi augmenter. Une situation qui n'est pas uniquement à mettre sur le dos de la faible croissance du pays.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Vous retrouverez en première page l'analyse de Nicolas Goetzmann sur les raisons (conjoncturelles comme structurelles) qui ont permis aux Etats-Unis d'une part, et à la Grande-Bretagne d'autre part, de diminuer sensiblement la courbe du chômage au sortir de la crise de 2008. En deuxième page, Jean-Charles Simon -économiste et entrepreneur- décrit le contexte de la dernière séquence favorable à l'emploi en France, les éléments nécessaires à une augmentation des offres d'emploi, ainsi que les secteurs économiques qui y joueraient un rôle important.

Nicolas Goetzmann : Bien que la zone euro soit encore enfermée dans son état de sidération économique, d’autres zones économiques parmi les plus développées s’en sont sorties, elles. Et les Etats Unis en sont l’exemple parfait avec plus de 10 millions d’emplois créés depuis le creux de la crise, c’est-à-dire depuis l’hiver 2009-2010. Evidemment, l’évolution des dynamiques de l’emploi a été mise à mal par ce choc économique mais les tendances de fond peuvent frapper par leur constance depuis 10 années.

Ainsi, dans un premier temps, il suffit de mesurer les dynamiques de création d’emploi aux Etats Unis dans le courant du dernier "cycle" haussier, c’est-à-dire entre janvier 2004 et décembre 2008. Au cours de cette période de 4 années, le pays est parvenu à créer 7 millions d’emplois.

Participation sectorielle à la création d’emplois. Etats Unis. 2004-2007. Source BLS

Cliquez sur les graphiques pour les agrandir

Le premier enseignement est que malgré le dynamisme ambiant, le secteur manufacturier (Manufacturing) et celui de l’information marquent déjà un fort déclin. La croissance ne suffit pas à les soutenir. Inversement, les emplois de service aux entreprises (Professional and business services)  fournissent la plus large part de la création d’emplois à l’économie américaine. Et ce dans des proportions quasi équivalentes à celles du secteur de la santé et de l’éducation. (Education & Health services). Les loisirs sont également bien représentés.

Puis, la crise intervient en 2008 et celle-ci va détruire près de 9 millions d’emplois en seulement deux années. Logiquement, les coupes claires ne vont pas se répartir équitablement dans l’ensemble de l’économie. Les secteurs qui étaient les plus fragiles avant crise vont être simplement brisés :

Solde création destruction emplois. Etats Unis 2007-2009. En milliers

Au cours de ces deux années, le secteur de la construction détruit 1.8 millions de postes, les emplois manufacturiers se réduisent de 2.2 millions d’unités, 1.2 millions dans la vente au détail, ou 1.5 millions pour les emplois de service aux entreprises. Un bain de sang social. Îlot de tranquillité pour les secteurs de l’éducation et de la santé car ici des postes sont encore crées. Et ce, totalement à rebours de l’ensemble.

Puis, suite aux différents programmes économiques de sortie de crise, les Etats-Unis vont repartir sur une dynamique de création d’emplois. Depuis la fin 2009, le pays en a d’ores et déjà créé 10  millions. Et les secteurs porteurs vont rester les mêmes :

Participation sectorielle à la création d’emplois. Etats Unis. 2009-2014. Source BLS

Si l’ensemble se porte bien, les secteurs les plus fragiles se contentent de rattraper leurs excès autoritaires du cœur de crise. Seul secteur ayant un solde négatif, le Gouvernement. Par contre, pour les emplois liés à la santé, à l’éducation, aux loisirs, les emplois de services aux entreprises (juristes, comptables, scientifiques etc…), c’est une croissance forte qui est bien de retour.

Ainsi, au cours des 10 dernières années, et malgré la crise, une tendance se dessine clairement :

Participation sectorielle à la création d’emplois. Etats Unis. 2004-2014. Source BLS

Pour trouver un emploi, mieux vaut faire attention au secteur manufacturier, à la construction, ou à l’information. Sans surprise, ce sont la santé et l’éducation qui décrochent la palme devant les emplois de services aux entreprises. Une tendance qui devrait se maintenir au cours des prochaines années, car selon les études produites par le Bureau of Labor Statistics (BLS), les secteurs les porteurs à échéance 2020 seront :

Les emplois de santé à domicile, avec une croissance annuelle de création de poste annuelle de 6.1%. Ce sera 5.5% de croissance pour les emplois de services aux personnes (assistance sociale, enfance…) et 4.7% pour les emplois de conseil scientifique, technique, et de management, c’est-à-dire l’industrie des services aux entreprises. Soit l’exacte poursuite de la tendance en cours.

Une tendance qui se vérifie aux Etats Unis mais qui est également en marche au Royaume-Uni. Ceci depuis que le pays s’est effectivement remis sur la voie de la croissance :

Variation en % des emplois par secteur d’activité. UK. 2009-2013 et 2012-2013

La santé, l’éducation, les services aux entreprises sont encore très bien représentés, marquant ainsi une tendance générale de fond. Une tendance qui devait également être à l’œuvre en France si la politique macroéconomique le permettait.

Atlantico : Quand est-ce que la France a créé des emplois pour la dernière fois ? A quoi cette séquence ressemblait-elle, et quels étaient les secteurs concernés ?

Jean-Charles Simon :La France a créé plus d'emplois qu'on ne l'imagine souvent entre fin 2004 et début 2008. Sans que la croissance soit vertigineuse, cette période a permis des créations nettes à un rythme d'environ 200 000 emplois par an. Soit exactement celui qu'il faudrait retrouver pour arriver au million d'emplois en cinq ans promis par le Medef... Qui est donc tout à fait atteignable, sans que la période en question ait été caractérisée par un train de mesures très favorables aux entreprises, notamment en matière de prélèvements obligatoires.

Un peu plus loin de nous, la période de référence est naturellement celle des années 1998-2001. A ce moment-là, le rythme de créations nettes d'emploi était d'environ 500 000 par an, une exception au cours des dernières décennies. Mais contrairement au milieu des années 2000, il s'agit là d'une période de croissance économique française et mondiale particulièrement soutenue.

A noter que même dans les meilleures périodes, le taux de chômage français ne recule pas vraiment sous les 7 à 7,5%, soit trois points de plus que celui observé dans des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni – et même maintenant l'Allemagne – lorsqu'ils sont au meilleur de leur forme. Il y a donc une différence de "taux de chômage d'équilibre" en notre défaveur, en particulier car le recours à l'activité très partielle et peu encadrée (comme les mini-jobs allemands ou les contrats zéro-heure au Royaume-Uni) n'est pas permis en France. Il y a bien eu une certaine flexibilisation de notre marché de l'emploi à partir des années 90, avec l'essor des CDD et de l'intérim, mais elle n'atteint pas celle des pays où le marché du travail est le plus fluide.

D'un point de vue sectoriel, il est intéressant d'observer que les périodes de forte création d'emploi bénéficient d'abord aux secteurs déjà les plus dynamiques. En l'occurrence, ce fut le cas pour des activités de service très créatrices d'emploi, comme les services à la personne ou certains services de support aux entreprises. A l'inverse, la baisse des emplois dans l'industrie n'a pas été stoppée par une conjoncture favorable sur le marché du travail au milieu des années 2000.

Aujourd'hui à quoi pourrait ressembler une France qui crée de l'emploi, quels seraient les secteurs concernés, et quel contexte économique y serait favorable ?

La France devrait pouvoir créer de l'emploi même à des niveaux de croissance assez modestes. La croissance potentielle de la France a en effet plutôt baissé pendant la crise et son marché du travail a aussi gagné un peu en flexibilité au cours des dernières années. Avec par exemple un recours accru aux CDD à très court terme, donc un plus fort taux de rotation des emplois, quelques innovations en droit du travail comme la rupture conventionnelle, un peu moins de prélèvements sur le salaire grâce notamment au CICE (qui est un allégement de charge déguisé en crédit d'impôt sur les sociétés), etc. Autour de 1 à 1,5% de croissance, il y aura donc des créations nettes d'emploi en France, ce qui ne veut pas dire une baisse du chômage, et elles deviendront vraiment très significatives vers 2% de croissance.

Comme dans la phase actuelle où certains secteurs n'ont cessé de voir leurs emplois augmenter malgré la crise, il y a toute raison de penser que ce sont les mêmes qui seront les plus dynamiques en cas de reprise sur le marché du travail. Par exemple, l'informatique et les services d'information, les activités juridiques, comptables, d'ingénierie ou de conseil, des catégories qui ont connu une progression de l'emploi en période de crise seront aussi les plus gagnantes en cas de retour de la croissance. C'est vrai également dans le domaine des services à la personne, notamment dans le secteur de la santé et du social. Et de la même façon, il y a peu de chances que des secteurs en forte restructuration et aujourd'hui en décroissance deviennent réellement créateurs d'emploi demain. Les ajustements structurels, par exemple dans certaines activités industrielles, continueront de se produire même si la conjoncture s'améliore nettement. En revanche, des activités très affectées par la crise, mais de manière plus conjoncturelle, comme le secteur du bâtiment, devraient redevenir dynamiques dans un environnement plus favorable.

Ces tendances prévisibles sont naturellement importantes pour préparer notre appareil de formation. Il faut bien entendu utiliser le plus possible les besoins croissants et la demande de compétences déjà patente, comme c'est le cas avec l'engouement autour de l'apprentissage du code informatique. Mais il faut également ne pas sous-estimer les gisements d'emploi dans des secteurs moins technologiques, y compris la croissance vraisemblable de métiers pas nécessairement très qualifiés, en particulier dans le domaine des services à la personne, notamment à destination des plus âgés.

D'une manière générale, l'impact des nouvelles technologies et des activités les plus novatrices est souvent exagéré par rapport à la réalité. Il est ainsi frappant d'observer que les gains de productivité ont eu tendance à décroître au cours des dernières décennies de manière relativement régulière, malgré ce qui nous paraît être un âge extraordinaire d'innovation. En fait, celle-ci est pour une large part plus incrémentale que disruptive : le énième modèle de téléphone portable peut être beaucoup plus puissant que celui d'il y a cinq ans, l'usage n'est pas pour autant très différent. Beaucoup d'applications ou d'innovations bouleversent des activités, mais surtout en remplaçant des métiers par d'autres, sans création de richesses très significative. Par exemple, Amazon substitue des gestionnaires de stocks en entrepôt à des postes en grande distribution ou en commerce de proximité. Et on peut, à l'instar de l'économiste américain Robert Gordon, douter de la substance de la vague actuelle d'innovations sur la croissance. Ce qui bien sûr n'est pas particulier à la France mais signifie que la compétition mondiale pour l'emploi devrait rester intense, et ce qui suppose donc toujours plus d'efforts en matière de compétitivité de l'économie et de flexibilité du marché du travail.

Et n'oubliez pas : le A-book de Nicolas Goetzmann, Sortir l'Europe de la crise : le modèle japonais, est désormais disponible à la vente sur Atlantico éditions :

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