Surirradiés d’Epinal : l’un des plus grands scandales de santé publique rejugé en appel<!-- --> | Atlantico.fr
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Les dossiers composant le procès des surirradiés d’Epinal.
Les dossiers composant le procès des surirradiés d’Epinal.
©Reuters

Bavure médicale

C’est l’un des plus grands scandales de santé publique qui est rejugé en appel à partir du 12 novembre à Paris pour une durée d’un mois. Plus de 400 patients traités par radiothérapie, au début des années 2000, pour un cancer de la prostate ont été victimes de lésions sévères et irrémédiables. 12 sont morts. Deux médecins ont été condamnés à 4 ans prison dont 30 mois avec sursis - en première instance.… Retour sur un drame qui a ébranlé le monde médical.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Selon le docteur Jean-Marc Simon (CHU Pitié-Salpêtrière), plus de 5 000 patients, souffrant d’un cancer de la prostate, auraient été sur-irradiés entre 1987 et 2006, au centre hospitalier d’Epinal.
  • Deux médecins ont été condamnés en première instance à 4 ans de prison dont 30 mois de ferme
  • Ils sont à nouveau jugés en appel, ainsi qu’un radio-physicien à partir du 12 novembre. Le procès devrait durer un mois.
  • Plus de 400 personnes, souffrant de lésions sévères et invalidantes, figureront à nouveau parmi parties civiles. Douze personnes sont décédées.
  • Trois autres personnes mises en examen, dont la directrice du Centre hospitalier d’Epinal, ne seront pas rejugées en appel. Elles sont ont été relaxées en première instance.
  • Depuis la découverte de ce drame, les matériels des 180 centres de radiothérapie de France ont été vérifiés et re-paramétrés.

Il est rare en France que les affaires de Santé publique finissent devant les Tribunaux. Et si c’est le cas, la relaxe est souvent la sanction prononcée. Eh bien, il y a au moins un contre-exemple : le drame des sur-irradiés de centre hospitalier Jean Monnet à Epinal. En première instance, le 30 janvier 2013, la 31 ème chambre correctionnelle de Paris a condamné Jean-François Sztermer et Michel Aubertel, deux médecins du Centre à 4 ans de prison dont 30 mois avec sursis, et 20 000 euros d’amende, pour n’avoir pas suivi, en matière du traitement du cancer de la prostate, le protocole de radiothérapie en prônant des doses supérieures de 20% aux doses normales. Ils ont fait appel. Un radio-physicien, Joshua Anah lui aussi condamné le 30 janvier 2013, se retrouvera sur les bancs des prévenus. En revanche, ni Dominique Cappelli, l’ancien directrice du centre hospitalier d’Epinal, ni Francette Martin, l’ex-directrice de la DDASS des Vosges, ni Jacques Sans, l’ex-directeur de l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) de Lorraine, relaxés en première instance ne seront présents, le Parquet n’ayant pas interjeté appel.

Le procès des trois praticiens revient donc, à partir du 12 novembre pour une durée d’un mois devant la chambre de la Santé de la Cour d’appel de Paris présidée par Gérard Lohro. Une nouvelle fois, l’audience sera pénible pour les quelques 400 parties civiles qui toutes connaissent de très graves problèmes de santé. (En réalité, 5 300 personnes, entre 1987 et 2006, auraient été sur-irradiées à l’hôpital d’Epinal). Audience qui sera tout aussi angoissante pour les familles des douze victimes décédées des suites d’un traitement fait à la va comme je te pousse. Comme il l’avait fait en première instance, le redoutable Gérard Welzer, avocat de 200 parties civiles, ne se privera pas d’ironiser sur l’excellence de l’hôpital et sur les fautes et imprudences commises par les praticiens. Ce qu’une fois encore, Me Hervé Témime, conseil de Gérard Sztermer, l’un des deux médecins radiothérapeutes, contestera vigoureusement.

Nous sommes en 2005. A la suite d’un surdosage d’intensité d’irradiation, dû à un changement du logiciel de dosimétrie, quelques patients soignés par radio-thérapie au Centre hospitalier d’Epinal, éprouvent de graves douleurs. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) délèguent alors chacune un enquêteur pour en connaître les raisons. D’abord, les deux fonctionnaires examinent l’environnement. Rien ou presque rien à dire. Sauf que le bâtiment abritant le centre hospitalier a été bâti sur un terrain trop étroit. Sauf que, encore les relations entre médecins et direction n’ont rien idyllique. Sauf que, enfin, ne travaille dans le service de radiothérapie qu’un seul radio-physicien, et encore, puisqu’il est également mis à disposition de la Polyclinique de la ville, la Ligne Bleue.

Sur le plan purement médical, notent les enquêteurs, 5 malades porteurs de lésions sévères sont répertoriés dès le mois de mai 2005 ; 7 vont l’être en juin 2005 et 10 en août 2005. Au cours de l’été de la même année, l’un des médecins et le radio-physicien, inquiets de la situation retrouvent les erreurs dans les dosages. Le 15 septembre, ils se décident à alerter la directrice du centre hospitalier... qui à son tour informe la DDASS, et l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) de Lorraine. Petit à petit, les malades commencent à être informés du dysfonctionnement de la radiothérapie. Certains le sont par des tiers, d’autres par la presse, d’autres encore par leur médecin traitant. 16 patients ne seront jamais contactés par la direction du Centre hospitalier au prétexte qu’ils ne se sont pas manifestés. Preuve, à ses yeux, qu’ils ne souffraient d’aucune affection. Ce qui était ridicule… Le temps passant et devant l’absence totale d’informations, les malades victimes de ce surdosage ne sont pas soignés. Et quand ils le sont, ce n’est pas le bon traitement qui leur est appliqué. Ajoutez à cela, des autorités nationales, notamment l’Institut de sûreté nucléaire qui n’est informé qu’en juillet 2006, et l’on n’a aucun mal à deviner que couve un drame. Entre septembre 2005 et septembre 2006, quatre patients décèdent. Dix malades présentent une complication radique sévère avec des hémorragies nécessitant des transfusions répétées. Ils éprouvent toutes les peines du monde à rester assis. Ils ne peuvent se déplacer. Dormir. Leur vie est dévastée. Galopent les semaines. Epouvantables pour les familles. Elles ne bénéficient d’aucun soutien psychologique, social ou économique, même si des provisions ont été versées à certaines victimes par l’assurance du Centre hospitalier. 7 plaintes sont déposées auprès du Procureur de la République d’Epinal. D’autres suivent. Le dossier est transféré au pôle Santé du tribunal de grande instance de Paris. Deux juges, Anne-Marie Bellot et Patrick Gand sont désignés pour instruire une affaire qui a déjà pris les allures d’un énorme scandale de santé publique.

Plus les semaines passent, plus il prend de l’ampleur. Regroupées en deux catégories, ou cohortes, selon les termes employés par les experts. Primo, la cohorte 1 : elle concerne 24 patients sur-irradiés à hauteur de 20% lors de leur traitement de radiothérapie pour un cancer de la prostate. Deuxio, la cohorte 2 : elle concerne plus de 400 patients également sur-irradiés lors du traitement pour leur cancer de la prostate. Ils ont été victimes d’un surdosage beaucoup plus faible – 8%- que les patients de la cohorte 2.

Qui est responsable de ce surdosage ? Toutes les précautions ont-elles été prises afin d’éviter tout risque de détérioration de la santé des patients ? Pourquoi les autorités nationales de sûreté nucléaire ont-elles été prévenues avec retard ? Les docteurs Sztermer et Aubertel, à tour de rôle chefs de service de la radio-thérapie à l’hôpital d’Epinal ainsi que le radio-physicien Joshua Anah, n’ont-ils pas manqué de prudence ? Ces mêmes médecins ont-ils bien respecté le nouveau protocole de radiothérapie ? Ont-ils respecté les règles de sécurité ? Quand ont-ils su que le surdosage pouvait avoir des conséquences désastreuses pour les patients ? Voilà, en une dizaine de questions, la tâche qui attend les deux juges d’instruction parisiens.

Certes, ils ont l’habitude des dossiers délicats. Délicats non seulement par l’aspect purement technique mais par la dimension humaine qu’ils sous-tendent… Car les magistrats ne perdent pas de vue que ce drame, à ce moment–là, a déjà causé la mort de 6 personnes. En quelques mois, Anne-Marie Bellot et Patrick Gand accomplissent un travail de titan. Recueillant le témoignage des personnels de l’hôpital. De la DDASS. Des experts aussi. Et bien sûr des patients, parties civiles qui vont être environ 400. Un peu avant le début de l’été 2008, les deux magistrats semblent s’être fait une religion sur ce drame. Oui, il y a bien eu imprudence et négligence dans le traitement des patients. Oui, les patients ont bien été victimes de blessures involontaires… Ce n’est pas tout : au niveau des autorités de tutelle, des fautes semblent bien avoir été commises. La principale étant d’avoir manqué au devoir d’informer les patients sur la réalité de leur sur-irradiation. C’est ainsi que Dominique Cappelli, la directrice du Centre hospitalier Jean Monnet, sera mise en examen la première, fin mai. Le même sort sera réservé le 5 juin, à Francette Martin, directrice de la DDASS des Vosges et Jacques Sans, directeur de l’Agence régionale d’hospitalisation de Lorraine... Quelques jours auparavant, fin mai, les docteurs Jean-François Sztermer, Michel Aubertel et le radio-physicien Joshua Anah avaient été convoqués au pôle Santé pour être mis en examen. Avec des motifs autrement plus lourds. C’est ainsi que Sztermer et Aubertel se voient reprocher de ne pas s’être assuré de la sécurité du nouveau protocole de radiothérapie. D’avoir contribué à créer des dommages consécutifs à la sur-irradiation de 20%. De s’être volontairement abstenu de porter assistance à des patients sur-irradiés. D’avoir violé manifestement et de façon délibérée des obligations particulières de sécurité et de prudence imposées par le code de Santé publique. Autant d’incriminations graves pour des médecins. Quant à Joshua Anah, il se voit reprocher de ne pas s’être assuré de la formation suffisante des manipulateurs. D’avoir changé le protocole de radiothérapie sans prendre de précautions suffisantes. Et surtout d’avoir contribué "à créer des dommages consécutifs à une sur irradiation de 20% par rapport à la dose prescrite causant involontairement la mort de six personnes."

Aussi, sans surprise, les deux juges d’instruction renvoient ce trio devant le Tribunal correctionnel. Ils font de même pour les administratifs, qui on l’a vu, seront relaxés. Lors du procès qui se déroule devant le Tribunal correctionnel de Paris, du 24 septembre au 31 octobre 2012, dans une ambiance lourde, en présence des parties civiles secouées, les trois prévenus passent de mauvais moments. C’est ainsi que le Parquet et les avocats des victimes, notamment le pugnace Gérard Welzer ont des mots très durs à l’égard des deux médecins et du radio-physicien, tour à tour qualifiés "d’orgueilleux, de désinvoltes", davantage préoccupés de sauver "leur peau" que de la santé de leurs patients."Orgueil, vanité, quand tu nous tiens !" martèle Me Welzer.  En face, l’avocat du docteur Sztermer, Me Hervé Témime, a cette réponse :"Mon client est accablé, dévasté. Après ce drame, il est tombé dans une dépression très profonde et a dû être hospitalisé quinze mois. (…) A trois reprises, il a tenté de mettre fin à ses jours. "Me Thierry Mudry, conseil de Michel Aubertel est sur une ligne de défense identique : "Le docteur Aubertel n’est pas très expansif, ni loquace.(…) Mais derrière cette carapace, se cache un homme rongé par le sentiment d’avoir failli. "Quant à Me Eric Le François, conseil de Joshua Anah, il rappelle que son client "a travaillé plus de quinze ans à l’hôpital d’Epinal, souvent après ses heures de service"… Le 30 janvier 2013, le tribunal rend son verdict. Visiblement, les avocats des docteurs Aubertel, Sztermer et du radio-physicien n’ont pas du tout été entendus. Le seront-ils en appel ?

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