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Quand la guerre des droites fait rage : Juppé et Sarkozy, le pas de deux.
Quand la guerre des droites fait rage : Juppé et Sarkozy, le pas de deux.
©Reuters

Bonnes feuilles

Philippe Reinhard emmène le lecteur de l'autre côté du miroir et nous révèle tout de cette guerre des chefs et sous-chefs qui consume la droite française. Extrait de "La guerre des droites, 2012-2014", publié chez first (2/2).

Philippe  Reinhard

Philippe Reinhard

Philippe Reinhard, journaliste, écrit depuis plus de 30 ans pour la presse nationale et régionale. Ancien élève de l'ENA, chargé des relations avec la presse à Matignon entre 1987 et 1988, il connaît parfaitement les rouages et les acteurs du microcosme politico-médiatique auquel il a déjà consacré de nombreux ouvrages, dont La Politique pour les Nuls (First, 2007).

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Si Alain Juppé a fait preuve d’une loyauté exemplaire envers Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat, sa défaite en 2012 ouvre au maire de Bordeaux de nouvelles perspectives de carrière. On lui a promis l’Élysée depuis quarante-cinq ans. Cette fois-ci il peut enfi n envisager de conquérir la plus haute fonction de la République. Qu’on l’apprécie ou non, il reste un des meilleurs, sinon le meilleur. Et son ambition est désormais légitimée par le fait qu’il a changé. Au moins en apparence. Il s’est humanisé, et semble avoir acquis, à l’occasion de son exil au Canada, le sens de l’humour qui lui faisait si cruellement défaut naguère. « Je suis comme une bonne bouteille de Pomerol, dit-il. On me trouvait un peu sec et je prends des notes plus vanillées et rondes. »

Même si les candidats de droite à la prochaine élection présidentielle ne manquent pas, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont indéniablement sur la short list. Sarkozy veut croire que l’affrontement avec le maire de Bordeaux n’aura pas lieu. L’entourage de l’ex-chef de l’État évoque un pacte Juppé-Sarkozy. Selon cet accord hypothétique, le mieux placé serait désigné, le moment venu, comme candidat à la présidence de la République. Les sarkozystes ne doutent pas que l’Élysée sera reconquis par le battu de 2012, et que Matignon devrait alors revenir à Alain Juppé. Tel n’est pas le sentiment du maire de Bordeaux. Pour lui, maintenant, c’est l’Élysée ou rien… Et, dit-il, « pour l’instant, j’en ai envie ». Mais il est trop tôt pour dévoiler ses intentions et ses espérances présidentielles. L’heure n’est pas venue de déclarer sa candidature.

Dans les deux années qui suivent la défaite du 6 mai 2012, Alain Juppé adopte la position du sage. Il multiplie les messages ambigus sur son blog : « Je ne vais pas m’exciter pour 2017. À cette date, j’aurai l’âge de John McCain (72 ans)52, et il a perdu ! » Il concède ainsi à ses rivaux que son âge pourrait constituer un handicap rédhibitoire dans la course à l’Élysée, mais il affi rme aussi qu’il « réfl échit » à une candidature éventuelle. Il s’y prépare avec d’autant plus de soin qu’il a deux atouts dans sa manche : l’expérience et la popularité.

Nicolas Sarkozy et les siens adoptent une attitude ambiguë à l’égard du maire de Bordeaux. À titre personnel, l’ancien président de la République ménage son éventuel rival pour 2017, il lui dit : « Il y a toi et moi, les autres ne comptent pas. » Sarkozy se méfi e pourtant de Juppé, dont il dit : « Qu’il se présente, il me rajeunit. » Les deux hommes se surveillent. Alain Juppé pense que Nicolas Sarkozy sera empêché de se porter candidat à cause des nombreuses affaires où son nom est cité. Sarkozy, de son côté, veut croire que Juppé calera. En l’occurrence, il commet une erreur psychologique grave. Loin de le dissuader, les allusions pesantes à son âge avancé agacent le maire de Bordeaux, « il vaut mieux, dit-il, un sexa en forme qu’un quinqua amorti53 ».

Au printemps 2014, les choses se tendent entre les eux hommes. Lasse de commenter, jour après jour, le retour toujours annoncé et toujours retardé de Nicolas Sarkozy, la presse évalue désormais les chances de Juppé. Pour Le Nouvel Observateur (27 mars r 2014), « l’opération Juppé a commencé ». Le 26 mars, L’Express titre « Juppé, l’homme qui peut sauver la droite », et Le Point évoque « Juppé superman ». L’homme que les Français avaient aimé détester devient la personnalité politique préférée de l’opinion. Dès lors, Juppé ne dissimule plus son envie de s’engager dans la reine des batailles. « J’ai eu la chance d’exercer d’importantes responsabilités. Si cette expérience peut être utile à l’avenir d’une manière ou d’une autre, je ne me déroberai pas. » Pour Philippe Briand, député UMP d’Indre-et-Loire : « Il ne laissera pas passer son tour. Il n’est pas comme Séguin, du genre à attendre sur son rocher qu’on vienne le chercher. Il attend le bon moment. »

Le 20 août, Alain Juppé juge que le moment est venu. Il publie sur son blog sa déclaration de candidature : « J’ai décidé d’être candidat, le moment venu, aux primaires de l’avenir. »

Pour Nicolas Sarkozy, c’est une double provocation. D’abord parce qu’il s’était convaincu que jamais Juppé n’oserait le défi er, ensuite parce qu’en se déclarant candidat dans le cadre d’une primaire il contraint l’ancien président à accepter cette procédure dont il ne veut à aucun prix. Comme le dit Dominique Bussereau, député et président du conseil général de Charente-Maritime, « cette candidature lance le processus des primaires et le rend incontournable ».

À partir de cette annonce de Juppé, la relation entre les deux favoris de la droite pour 2017 s’envenime rapidement. Le maire de Bordeaux, jusque-là réticent à participer aux batailles de boules puantes dont les politiques se sont fait une spécialité, demande à Nicolas Sarkozy de rembourser, de sa poche, les 360 000 euros de pénalité infl igée à l’ex-chef de l’État pour dépassement de ses comptes de campagne, payés par l’UMP. La réponse des sarkozystes ne tarde pas. Ils rappellent que c’est le parti et pas Juppé lui-même qui a réglé les honoraires d’avocats dans l’affaire des emplois fi ctifs de la Ville de Paris. On est ainsi passé de la paix armée à la guère ouverte. En témoigne cette réponse acide d’Henri Guaino après la déclaration d’Alain Juppé condamnant les critiques émises par Sarkozy contre les juges qui ont mis l’ancien président en examen. « Je croyais, dit Guaino, que les épreuves de la vie l’avaient enfi n débarrassé de cette épouvantable arrogance, de cet épouvantable mépris dont il accable depuis toujours tous ceux qui sont en désaccord avec lui54. » Le duel Sarkozy- Juppé ne s’arrêtera pas au premier sang. Les sarkozystes seront d’autant plus brutaux que les sondages d’opinion sont désormais favorables au maire de Bordeaux. Dans le sondage Ipsos publié par Le Point, le 28 août 2014, Alain Juppé est crédité de 55 % d’opinions favorables, contre 39 % pour Nicolas Sarkozy. L’ancien président, qui ne doutait pas de s’imposer à sa famille politique, doit désormais affronter l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac devenu, contre toute attente, la personnalité politique préférée des Français.

Extrait de "La guerre des droites, 2012-2014", de Philippe Reinhard, publié chez first (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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