Surcoût des produits féminins, le combat féministe inutile : pourquoi la "taxe rose" est en général fondée économiquement…<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour un même produit ou service, les femmes payent plus cher que les hommes.
Pour un même produit ou service, les femmes payent plus cher que les hommes.
©Reuters

Ne la laisse pas tomber

Le ministère de l'Economie a annoncé avoir lancé, lundi 3 novembre, une enquête pour réaliser "une évaluation de relevés de prix" après la publication d'une étude montrant que pour un même produit ou service, les femmes payent plus cher que les hommes.

Noémie Vergier

Noémie Vergier

Noémie Vergier est sociologue à l’ObSoCo. Elève à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, agrégée de Sciences sociales de formation généraliste, ses domaines de compétence comprennent les traitements statistiques comme les études qualitatives.

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Le ministère de l'Economie a annoncé avoir lancé, lundi 3 novembre, une enquête pour réaliser "une évaluation de relevés de prix" après la publication d'une étude montrant que pour un même produit ou service, les femmes payent plus cher que les hommes. Ce qui prend déjà des allures de "scandale de la taxe rose" est-il une polémique réelle ou un combat féministe inutile ?

Erwan Le Noan : Qu’il y ait un scandale lié au sexe des consommateurs n’est pas réellement le sujet. Ce qui importe, c’est que les consommateurs (quel que soit leur sexe) paient le "juste" prix. Celui-ci incorpore de nombreuses informations : la qualité du produit, les coûts de fabrication, de marketing, de distribution, etc. La concurrence permet de rationaliser tout cela : si je peux trouver moins cher ailleurs, je change de fournisseur. Dans ce domaine, la concurrence est une solution féministe, en quelque sorte.

Quelle est la logique économique qui justifie cette discrimination par les prix ?

Erwan Le Noan : La différence de prix entre des produits peut être justifiée de plusieurs façons : les coûts de fabrication d’abord (peut-être est-il plus coûteux de fabriquer un produit destiné aux femmes qu’aux hommes ; peut-être un coiffeur pour femme a-t-il besoin d’une formation plus approfondie ou met-il en œuvre des techniques plus complexes), les coûts de marketing (les stratégies publicitaires peuvent être différentes), les coûts propres à chaque firme (un magasin de centre-ville n’a pas les mêmes coûts qu’un autre en milieu rural).

Par contre, si pour un produit parfaitement identique les femmes paient plus cher que les hommes, c’est probablement qu’elles sont victimes de stratégies en leur défaveur. La solution la plus simple pour elles est de faire jouer la concurrence et de changer de fournisseur.

Noémie Vergier : On peut mobiliser deux types d’éléments pour expliquer comment cette discrimination intervient. D’une part, c’est une discrimination statistique, au sens d’E. Phelps (1973). Si coiffer une femme implique, en moyenne, un coût plus élevé pour le coiffeur (en supposant que les femmes ont en moyenne les cheveux plus longs que les hommes, que les coupes sont plus complexes…), alors le coiffeur aura intérêt à faire payer les femmes plus cher : le genre est une caractéristique individuelle facilement identifiable, et le coiffeur se servirait donc de celle-ci comme approximation pour départager une catégorie de clients longs/coûteux à coiffer (les femmes) et une catégorie de clients moins coûteux (les hommes). Il faut noter toutefois que ce supposé coût supérieur pour coiffer une femme reste à démontrer : cette différence de coût est en fait un a priori qui n’est dû qu’à la représentation sociale selon laquelle les femmes ont les cheveux plus longs ou ont des demandes plus complexes que les hommes.

Le second élément que l’on peut mobiliser, c’est la disposition à payer plus élevée chez les femmes. En effet, les femmes sont éduquées, plus que les hommes, à prendre soin de leur corps, à le rendre beau, attirant, à porter une attention soutenue à leur apparence extérieure. Cette disposition à payer, sur laquelle repose cette discrimination, est donc le produit d’une socialisation genrée. L’effet en est que le prix d’équilibre des services de coiffure pour les femmes est augmenté par une hausse de la demande.

Il est courant et communément accepté que les femmes n'aient rien à payer en boîte de nuit, au contraire des hommes. Même logique pour les assureurs, qui déterminent le prix final sur un segment donné : les femmes, jugées moins dangereuses, payent moins cher. Cette stratégie mise en œuvre est-elle comparable à celle désignée plus tôt ? Pourquoi ?

Erwan Le Noan :  L’économie se fiche de l’idéologie liée au sexe du client (ou à son identité sexuelle, son genre ou tout autre terme à la mode qui semblera approprié). Sur le marché, il y a des fabricants qui proposent des produits à leurs clients ; ils fixent leurs prix en fonction d’une multitude d’informations et de données. Si les clients ne sont pas contents, ils font jouer la concurrence.

Si les assureurs ont des données qui leur permettent de faire payer les femmes moins cher (par exemple parce que les statistiques montrent qu’elles sont moins dangereuses), alors qu’ils le fassent. Pour faire baisser leurs primes, les hommes peuvent changer leurs comportements à risque. Si ce n’est pas le cas et que les hommes paient plus cher sans raison, ils devraient faire jouer la concurrence.

Noémie Vergier : Non, la logique est ici différente : il ne s’agit pas de profiter d’une disposition à payer supérieure chez les hommes, ni de répercuter des coûts différents selon le genre. Le statut de la femme est ici totalement différent : elle est moins considérée comme une consommatrice que comme un objet, qu’il s’agit d’inciter à venir pour attirer les consommateurs, les hommes hétérosexuels.

Ce sont bien eux la cible de ces politiques : il s’agit d’augmenter la demande masculine en assurant une présence féminine dans les lieux ; les gains sont attendus de ce côté bien plus que du côté de la consommation des femmes.

La justice européenne n'a pas toléré que les assureurs français fassent payer moins cher les assurances auto et décès des femmes au prétexte que celles-ci ont moins d'accidents et vivent plus longtemps. Dans quelle mesure cela était-il justifié sur le plan économique ?

Noémie Vergier : C’est encore une forme de discrimination statistique : on utilise une caractéristique facilement identifiable (le genre) pour inférer une information très difficile voire impossible à obtenir (la date de décès d’un individu précis, le degré de prudence ou l’expérience au volant d’une personne). Une caractéristique observée, statistiquement plus, dans une catégorie est supposée être détenue par chacun des individus composant cette catégorie.

Cela peut conduire à des erreurs (une femme précise peut très bien mourir jeune ou avoir une conduite dangereuse !) mais cette stratégie est, pour l’assureur, une manière de pallier l’incertitude devant laquelle il se trouve (il ne connaît pas les caractéristiques de l’assuré) : c’est le cas, classique en économie, du principal-agent.

Sur un plan éthique, est-il recevable de faire payer des prix différents aux hommes et aux femmes sur certains produits et services ? Pourquoi ?

Noémie Vergier : Il ne s’agit pas tant de se positionner sur le plan éthique ou moral que d’étudier, comme l’a fait l’ObSoCo dans sa dernière étude, comment les consommateurs, eux, se positionnent, élaborent des jugements éthiques, par rapport aux prix.

L’Observatoire du rapport au prix, qui vient de paraître, a en effet montré qu’une discrimination tarifaire est considérée comme juste à la condition que la raison qui est invoquée pour la justifier soit largement répandue et socialement acceptée. Si elle est considérée comme arbitraire ou comme uniquement motivée par la recherche d’un profit, la différence de prix sera jugée injuste.

Dans le cas des discriminations tarifaires selon le genre, pour prendre l’exemple des coiffeurs, la différence de prix s’appuie sur une supposée différence de coûts supportés par le coiffeur : les prestations seraient plus longues, les coupes plus élaborées, les femmes plus exigeantes…

Considérer ces éléments comme vrais et valables, c’est-à-dire supposer que les coûts des coiffeurs sont effectivement plus élevés pour coiffer une femme et considérer que les femmes sont réellement plus exigeantes en moyenne peut donc logiquement conduire à défendre ces tarifications.

On peut également défendre le point de vue inverse : aucune étude n’a, à ma connaissance, été menée sur le coût moyen supporté pour coiffer les femmes et les hommes (ce qui n’est pas trivial : il y a des femmes à cheveux courts, des hommes à cheveux longs, couper les pointes sur une coupe longue peut prendre moins de temps que de réaliser une coupe courte propre…). Le fait de supposer que les femmes coûtent plus cher à coiffer que les hommes est donc la conséquence d’une représentation genrée, la femme à cheveux longs et l’homme à cheveux courts. La discrimination tarifaire apparaît, dans cette perspective, arbitraire et donc injuste.

Même chose pour les goûts féminins pour des coupes plus complexes, ou plus exigeantes : si l’on considère les goûts comme étant « naturels », alors la discrimination semble juste. Si, comme l’ont montré nombre d’études de sociologie du genre, ils sont issus d’une socialisation différenciée entre hommes et femmes, et répondent à des injonctions sociales qui construisent le corps féminin comme un corps nécessairement beau, soigné, apprêté, alors la demande plus forte de services de soin par les femmes apparaît comme la résultante de ces éléments. Et la discrimination tarifaire apparaît comme purement sexiste, donc injuste.

Le fait que ces discriminations tarifaires ne choquent pas reflète donc l’acceptation très large de différences de traitement fondées sur des distinctions de genre. Mais cette (supposée) acceptation des tarifs genrés, dans le cas des soins au corps, est aussi liée à la très grande diffusion de ce type de pratiques.

C’est, en somme, un signe de sexisme ordinaire.

N'achète toutefois le produit de son choix qui le veut bien... Les études sociologiques portant sur le rapport des récepteurs à la publicité ou au marketing ont d'ailleurs démontré depuis les années 70 que le récepteur n'est pas passif. Il existe d'ailleurs des tactiques et stratégies d'évitement mises en place par ce dernier. Faut-il en ce sens incriminé le "marketing genré" (en particulier si les femmes présentent une disposition à payer plus pour des produits donnés, tandis que les hommes payent davantage pour d'autres produits) ? La segmentation des marchés est-elle une pratique normale ?

Erwan Le Noan : Les divergences de prix peuvent montrer que les femmes (comme peut-être les hommes) sont victimes de discriminations tarifaires (que la concurrence, pas la loi, peut résoudre). Elles montrent peut-être également qu’économiquement les hommes et les femmes ont des comportements différents : ils achètent des produits différents et peut-être achètent-ils même différemment les mêmes produits.

Il va falloir cependant s’habituer, de manière générale, aux différences de prix entre consommateurs. Avec l’exploitation des datas et les nouvelles technologies, les prix sont appelés à varier pour chaque client dans un magasin. Vous avez une carte de réduction ? Le sucre est moins cher pour vous, mais pas pour votre vieille tante qui vient là pour la première fois. Vous avez déjà consommé 13 paquets de chips cette semaine ? Le magasin vous offre un 14e ; mais pas au client qui vous suit dans la queue et n’en consomme pas (lui, par contre, a bénéficié d’une réduction sur les couches parce qu’il a trois enfants en bas âge).

En ce sens, solliciter Bercy pour conduire une enquête approfondie est-il une perte de temps... Et d'argent public ?

Erwan Le Noan : Le ministère de l’Economie, qui cherche dans la parole politique des compensations à ce qu’il ne parvient pas à obtenir dans le monde réel, a certainement envie de montrer qu’il œuvre pour la cause des femmes et c’est tout à son honneur (mais il devrait se satisfaire qu’elles paient cher : cela lutte contre la déflation qui l’angoisse). La meilleure façon d’y répondre, c’est par la concurrence. Au lieu de perdre tout ce temps, il devrait libéraliser la France.

Où sont les véritables injustices à la consommation ? 

Erwan Le Noan : Dans les rentes et l’absence de concurrence !

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