Denis Tillinac : "Chirac était physiquement et spontanément chef de l'Etat, ce qui n'est pas le cas de François Hollande"<!-- --> | Atlantico.fr
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Jacques Chirac et François Hollande.
Jacques Chirac et François Hollande.
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Deux statures

Dans "Chirac-Hollande, une histoire corrézienne" (Plon), Denis Tillinac retrace le parcours des deux présidents. S'il reconnaît la stature d'homme d'Etat du premier, il se montre moins bienveillant à l'égard du second, qui, selon lui, n'a jamais "enfilé le costume".

Denis  Tillinac

Denis Tillinac

Denis Tillinac est écrivain, éditeur  et journaliste.

Il a dirigé la maison d'édition La Table Ronde de 1992 à 2007. Il est membre de l'Institut Thomas-More. Il fait partie, aux côtés de Claude Michelet, Michel Peyramaure et tant d'autres, de ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Brive. Il a publié en 2011 Dictionnaire amoureux du catholicisme.

 

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Atlantico : Comme vous le rappelez dans votre livre, Chirac-Hollande : une histoire corrézienne, Jacques Chirac et François Hollande ont fait leurs premières armes politiques à Ussel, en Corrèze, le premier à partir de 1966 et le second à partir de 1981. Quelles sont les similitudes dans le parcours politique de Jacques Chirac et de François Hollande ?

Denis Tillinac : Dans une sous-préfecture symbolique d’une ruralité un peu austère et excentrée qui s’appelle Ussel deux jeunes ambitieux qui ont fait Sciences Po, l’ENA et la Cour des comptes se retrouvent à 15 ans d’intervalle dans cette ville où ils n’avaient jamais mis les pieds. C’est la même implantation qui va durer 30 ans pour les deux hommes.

Le parcours politique de Jacques Chirac et de François Hollande présente des similitudes : ce sont deux garçons issus de la même classe moyenne provinciale. Ils ne sont pas des idéologues de leur camp. Jacques Chirac était dans la mouvance gaulliste dans les années 60 car c’est là qu’il fallait être à l’époque et c’est pareil pour François Hollande dans les années 80 chez les socialistes.

Les deux vont devenir Conseillers généraux et présidents du Conseil général de la Corrèze comme Henri Queuille avant. François Hollande comme Jacques Chirac ont aussi été élus députés puis présidents de la République. Ce parcours similaire se termine par la connivence lors de la fameuse phrase prononcée par Jacques Chirac en 2011 à l’égard de François Hollande : « Je voterai pour toi ».

Ils ont eu le même parcours mais il y a néanmoins quelques différences : Jacques Chirac a fonctionné en Corrèze en s’appuyant sur un réseau de notables et sur la bourgeoisie de campagne qui existaient encore à l’époque tandis que François Hollande s’est implanté sur une trame militante socialiste. Autre différence notable, Jacques Chirac a crée dès 1977 le premier parti de France c'est-à-dire le RPR qu’il a façonné à sa main et à sa botte. Il s’est assuré la protection d’une citadelle avec la mairie de Paris tandis que François Hollande a ramé petit à petit pour finalement conquérir politiquement la Corrèze.

Comment se fait-il que ces deux anciens rivaux politiques qui s’étaient affrontés lors des législatives de 1981 sont amenés à se rapprocher ? Dans quelle mesure peut-on dire que le rapprochement entre les deux hommes est aussi lié à l’inimitié commune envers Nicolas Sarkozy ?

Jacques Chirac se méfie au départ de François Hollande car il a été élu avec 200 voix d’avance face au candidat socialiste. François Hollande s’accroche et on va voir son ascension progressive même s’il reste toujours derrière Jacques Chirac.

C’est un rapprochement progressif. Il est passé de l’indifférence dédaigneuse de Jacques Chirac au début à la prise en considération du travail acharné de François Hollande et pour Jacques Chirac le travail est très important.

Petit à petit Jacques Chirac a pris conscience de ce qui le rapprochait de François Hollande. Cela s’est surtout joué lors du traité constitutionnel de 2005 sur l’Europe : François Hollande a apparemment donné un coup de main à Jacques Chirac en poussant le PS à voter pour lui. Ensuite le président de droite a considéré que le Premier secrétaire du PS avait l'étoffe d’un chef d’Etat. Rappelons aussi que même Bernadette Chirac qui est toujours Conseillère général en Corrèze a développé des rapports courtois avec François hollande…

Juste avant la présidentielle, Jacques Chirac donne des conseils à François hollande et lui a dit en substance : « Tu sais moi aussi j’étais dans les choux dans les sondages et pourtant j’ai été élu, accroche toi ».

L’inimité entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy joue sûrement un rôle dans le rapprochement avec François Hollande. L’histoire de Nicolas Sarkozy avec Jacques Chirac est celle d’un père exaspéré des frasques de son fils, tandis que pour Nicolas Sarkozy c’est celle d’un fils désespéré car le père lui préfère d’autres personnalités politiques. Rappelons aussi que la franche animosité entre les deux personnalités de droite a été nourrie par les entourages respectifs des deux hommes.

François Hollande était plutôt fasciné par Nicolas Sarkozy au début, ce sont des bébés médias et ils font partie de la même génération. Mais Nicolas Sarkozy a focalisé l’attention sur son style présidentiel qui est devenu plus anxiogène. Cela a favorisé le rapprochement de Jacques Chirac avec François Hollande.

Alors que Jacques Chirac soutient Alain Juppé dans la perspective de la prochaine présidentielle, ce soutien pourrait-il changer la relation avec François Hollande ?

Pour Jacques Chirac il n’y a jamais eu d’autre héritier qu’Alain Juppé. Je ne pense pas que ça changera grand-chose dans la relation entre Jacques Chirac et François Hollande. Jacques Chirac soutiendra à fond Alain Juppé pour 2017. C’est ce qui avait à l’époque tendu les relations avec Philippe Séguin un autre fils qui se considérait comme mal aimé par Jacques Chirac. Il n’y a qu’Alain Juppé que Jacques Chirac a sécurisé. Dominique de Villepin l’a fasciné à un moment sans toutefois le sécuriser.

En quoi peut-on dire que François Hollande et Jacques Chirac sont de centre-gauche ou « rad-soc » ? Quelle conception commune de la gestion de l’Etat et de la façon de mener les réformes partagent-ils ?

Ils ont tous les deux une approche minimaliste de la politique. Ce sont deux énarques qui idéalisent l’Etat, qui accordent de l’importance aux corps intermédiaires. Ils pensent qu’en démocratie on ne peut gouverner qu’à petit pas. Les deux considèrent qu’un grand chambardement entrainerait trop de risques pour un peuple vieux et dépressif. En fait Jacques Chirac et François sont des réformateurs prudents et ils sont pragmatiques. En Corrèze les deux ont travaillé sur des dossiers concrets sans dimension partisane en et en dépolitisant les choses.

Les deux personnalités politiques sont aussi des européens de raison et sont hostiles avant tout au FN. Jacques Chirac ne voulait pas faire entrer le FN sur la place publique d’où son refus du débat en 2002 face à Jean-Marie Le Pen. Ils ont une grande allergie à tout ce qui ressemble à idéologie et ont une approche complètement pragmatique des questions sociétales. Pour eux les politiques ne sont pas là pour imposer des valeurs mais pour refléter la sensibilité dominante d’un moment.

Jacques Chirac et François Hollande actuellement ne veulent pas de division. Ce dernier serait à l’aise dans la frange modérée et réformiste d’une UMP pro-européenne et Jacques Chirac ne serait pas déshérité chez des héritiers de Jacques Delors comme Emmanuel Macron et Jean-Pierre Jouyet.

Rappelons que Jacques Chirac s’est installé dans une position plus à gauche sur la fin de son second mandat. On le voit notamment par rapport aux lois sur la repentance qui faisaient plaisir à la gauche, sur des approches qui se rapprochent du « care » cher à Martine Aubry comme le plan cancer et la loi sur le handicap ou encore sur l’écologie.

Jacques Chirac devient à la fin ce qu’il était en catimini au début de sa carrière politique c’est à dire le petit-fils son grand père qui était directeur d’école radical et franc-maçon .

Alors que François Hollande a été élu président il y a deux ans et demi, quels points communs voyez-vous entre l’actuel chef d’Etat et l’ancien ?

Il y a une différence importante : le caractère et la différence de génération. Pour Jacques Chirac, j’ai eu en 1995 l’impression qu’il était déjà installé dans le bureau du Général de Gaulle depuis 20 ans. Il était physiquement et spontanément chef de l’Etat.

Ce n’est pas le cas de François Hollande qui cherche son rôle. Il n’a pas été préparé, il n’a pas été ministre il ne donne pas l’impression de maîtriser toutes les strates collectives comme on l’a vu lors du Mariage pour tous. François Hollande n’est pas servi par son physique aussi alors qu’avec Jacques Chirac on ne voyait que lui quand il arrivait. Idem pour Nicolas Sarkozy, qui avait comme Jacques Chirac du charisme, et ça compte. C’est plus difficile pour François hollande qui donne l’impression de chercher le costar présidentiel.

De l’ancien président du Conseil sous la IVe République Henri Queuille à François Hollande en passant par Jacques Chirac, la Corrèze a fourni un contingent important de chefs d’Etat.  Juste à côté de ce département, VGE dans le Puy de Dôme et Pompidou issu du Cantal ont eux aussi été chefs d’Etat. Comment expliquer que dans ces terres fertiles du Massif central poussent des cèpes et des Présidents ?

C’est surtout l’Ouest du Massif Central. Plus au Sud ce sont des radicaux alors qu’à l’Est de la zone ce sont des démocrates chrétiens catholiques comme Jacques Barrot.En fait pour les Corréziens c’est un mélange de nécessité d’immigration : on monte à Paris pour gagner sa vie.

Il y a là-bas un mélange d’égalitarisme chez les villageois qui se serrent les coudes mais aussi le culte du chef et une passion pour la politique avec une très grande allergie pour les agressions de l’Etat depuis l’époque de Napoléon.

En Corrèze il y a eu une douzaine de ministres depuis la IV e République dont Jean Charbonnel l’ennemi intime de Jacques Chirac. Cela donne des débats d’une certaine altitude pour un département rural et pauvre de 240 000 habitants.

Il faut être humble et faire ses preuves. Les Corréziens s’en foutent de savoir si on est droite ou de gauche mais ils veulent que les élus amènent des subventions de Paris et il ya toujours eu un élu puissant pour apporter des subventions de Paris.

Finalement, pour comprendre Jacques Chirac et François Hollande il faut aller à Neuvic les Ussel dans la maison natale d’Henri Queuille dont ils sont tous les deux des héritiers.

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