Toussaint 2.0 : transformés en diamants, en feux d’artifice ou dispersés dans la nature, tout ce qu’on peut faire aujourd’hui du corps des défunts<!-- --> | Atlantico.fr
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Les cimetières sont laïcs et ouverts à toute personne
Les cimetières sont laïcs et ouverts à toute personne
©Reuters

La mort selon votre goût

Si la plupart des funérailles semblent se dérouler selon des traditions assez ancrées, la loi encadre en réalité assez peu les questions relatives à la conservation des corps et aux funérailles. Le moyen, pour ceux qui le veulent, de se laisser aller à des pratiques jugées extravagantes mais légales.

Pierre Larribe

Pierre Larribe

Pierre Larribe est responsable juridique pour la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie (CPFM) et intervenant pour le diplôme universitaire de droit funéraire de l'université catholique de Lille.

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Dans les pays anglo-saxons, la "mort personnalisée" est un phénomène qui, s'il reste encore marginal, se développe de plus en plus. Urnes à l'effigie du défunt, petits monuments funéraires pour son jardin, ou utilisation des cendres pour fabriquer un bijou, une toile, voire un vinyle, les possibilités commencent à se multiplier, même si ces pratiques n'existent pas encore en France. 

Atlantico : Aux Etats-Unis, il est possible de servir des cendres d'un défunt pour fabriquer un bijou, un vinyle, ou de l'intégrer dans une toile pour en garder le souvenir... Est-ce possible en France ? Y a-t-il une demande pour cela ?

Pierre Larribe : Cela pouvait dans l'absolu se mettre en place en France avant 2008, quand il y avait un vide juridique sur la question des cendres. Aujourd'hui, en France, il n'y pas de demande pour ce genre de pratique un peu extrêmes comme celles que vous citez, ou d'autres comme envoyer ses cendres dans l'espace. De plus, on constate souvent qu'au pied du mur, les tentations extravagantes vont se trouver confronter au ressenti. Au moment de la mort, celui qui "consomme" les obsèques, ce n'est pas le défunt, c'est ceux qui vont rester ! Ce sont eux qui vont vouloir faire ce qu'il est nécessaire, et cela ne colle pas forcément avec la volonté du défunt, de son vivant. On constate par exemple un problème avec la crémation et la dispersion des cendres. Quand on ne demande pas l'avis à son entourage, il y a parfois une vraie souffrance chez ceux qui restent et qui ont l'impression que le défunt "n'est nulle part". C'est pour cela que dans le domaine funéraire, la demande est parfois compliquée entre des demandes atypiques et la réalité le moment venu.

Pouvez-vous nous rappelez quelles sont les obligations ou les interdictions explicites figurant dans la loi qui, en France, concernent le corps des défunts et la sépulture ?

La majorité de la législation sur cette question date de la Révolution française. Depuis cette époque, le cercueil est obligatoire, même pour une crémation. Seule l'inhumation ou la crémation sont possible. La crémation depuis 2008 a imposé des contraintes sur la destination des cendres : elles doivent être conservées ou dispersées, toujours en totalité dans les deux cas, soit inhumée dans un caveau de famille, dans une sépulture pour les urnes, dans un columbarium, et si on souhaite une dispersion, cela peut être dans un espace aménagé dans les cimetières, ou en pleine nature mais pas sur la voie publique. Et surtout, depuis 2008, il n'est plus possible de garder les cendres dans un domicile. La loi n'est cependant pas rétroactive : les personnes qui gardent des cendres d'un défunt mort avant 2008 peuvent continuer à le faire. Mais il est par exemple interdit si on veut s'en débarrasser de la mettre à la poubelle. Enfin, le cercueil doit respecter des critères techniques : il doit être en bois avec une épaisseur de 22mm (18mm dans certains cas). Outre le bois, d'autres matériaux sont possibles s'ils sont agréés et s'ils sont biodégradables. Il n'est par exemple pas possible d'avoir un cercueil en cristal.

Je rappelle aussi que chaque commune française doit avoir son propre cimetière. Peuvent y reposer toute personne décédant sur la commune même si elle n'y est pas résidente, ou toute personne domiciliée sur la commune même si elles résident ailleurs. Les cimetières sont laïcs et ouverts à toute personne, il y a un vrai principe d'universalité qui formate les cimetières tels que nous les connaissons aujourd'hui.

Outre ces dispositions, la loi encadre finalement assez peu la question des funérailles, laissant en théorie un vrai espace de liberté. Concrètement, qu'est-il possible de faire avec un défunt qui n'apparaît pas à l'esprit du grand public comme quelque chose de légal ?

Les gens imaginent qu'il n'est pas possible de garder le corps d'une personne décédée à domicile. Or, il n'y a aucune contre-indication à cela. Cette perception s'explique par le fait que 70% des décès ont aujourd'hui lieu dans des établissements socio-médicaux au sens large. Curieusement, c'est un peu le même principe à l'autre extrémité de la vie qu'est la naissance, puisque rien n'empêche d'accoucher à domicile. Pour ce qui est des corps à domicile, comme on dans la sphère privée, il n'y a pas de contraintes particulières : il n'y a aucun encadrement sur la toilette ou l'habillement qui peuvent être exercés librement par les particuliers. La seule contrainte sont les soins de conservations qui doivent être réalisés par des professionnels. On peut en tout cas conserver le corps comme on le souhaite, les seules obligations étant d'organiser des obsèques dans les six jours suivant le décès hors dimanche et jours fériés, et de ne pas déplacer le corps hors d'un cercueil à partir des 48 heures suivant la mort.

Pour ce qui est de la cérémonie, on est là dans la complète liberté, en accord évidemment avec les autorisations des lieux de cultes. Mais les autorités publiques n'ont pas leur mot à dire, le dernier mot appartient aux représentants religieux. Par exemple, un prêtre peut refuser que l'on joue du Johnny Halliday lors d'une cérémonie de funérailles, mais si un autre prêtre accepte de le faire dans son église, rien ne l'en empêche.

Concernant la présentation du corps, il n'y a pas non plus d'obligations particulières. Quand il reste dans un domicile ou une chambre funéraire, avant la fermeture du cercueil (car les cercueils sont fermés quand ils arrivent par exemple dans un lieu de culte) aucune consigne particulière n'est à respecter. Par exemple un motard peut tout à fait être présenté dans son cercueil habillé de sa combinaison et de son casque. Dans l'absolu, si on imagine le cas d'un naturiste militant, il est même tout à fait possible de présenter le corps entièrement nu.

Comment se situe la France par rapport aux principaux pays développés en termes de liberté laissée aux particuliers pour leurs défunts et leurs funérailles ?

La France est assez libérale notamment sur la question de la dispersion des cendres qui est chez nous encore possible en pleine nature. En Allemagne par exemple, les cendres doivent être répandues soit dans un cimetière, soit en pleine mer. Et avant la loi de 2008, il y avait même en France quasiment aucune contrainte. De manière générale sur la question de la crémation, les pays d'Europe du Sud sont plus ouverts : comme la crémation y est une pratique récente (en France dans les années 80, on était autour de 1% contre 30% aujourd'hui), les législations sont finalement peu développées. On avait donc une liberté de fait, qui a dû finalement être encadrée car s'il n'y a pas de risque biologique avec les cendres, il existe de vraies questions sur le plan symbolique nécessitant un encadrement.

Malgré cet espace de liberté, l'écrasante majorité des processus funéraires sont assez conventionnels. Pourquoi les Français ne font-ils pas dans l'extravagance ou l'originalité dans un secteur finalement peu encadré ?

Cela s'explique beaucoup par le rapport à la mort dans notre société, et même à titre individuel. La mort bouleverse nos repères, nos organisations, parfois nos façons de vivre, et quand on est fragilisé, on est plus rassuré par ce qui est conventionnel. Quand on est en deuil, on est souvent rassuré par des valeurs traditionnelles qui nous aident à nous raccrocher à des valeurs stables. Un autre signe : 70% des funérailles se font via une cérémonie religieuse, or la pratique religieuse (c’est-à-dire ceux qui vont à la messe au moins une fois par mois) touche environ 5% des personnes. Pourquoi ? Cela traduit de la volonté de se raccrocher à un pilier immuable, même si on ne le pratique pas vraiment en temps normal. On voit d'ailleurs, face à la baisse du nombre de prêtre, la forte inquiétude chez des personnes, y compris peu pratiquantes, de voire la cérémonie religieuse dirigée par des bénévoles laïcs. C'est un comportement à la fois irrationnel, mais très sincère : on ne veut pas plaisanter avec la mort, et on tient à faire "ce qu'il faut".

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