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Les couleurs des médicaments ont des effets spécifiques.
Les couleurs des médicaments ont des effets spécifiques.
©REUTERS/Srdjan Zivulovic

Neuro Magique

Des études comme celle de chercheurs néerlandais ou français ont démontré que nous associons des couleurs de médicament avec des effets spécifiques, bien au-delà de la notoriété de la marque. Les réponses d'un chercheur en neuromarketing.

Bernard Roullet

Bernard Roullet

Bernard Roullet a occupé divers postes marketing en entreprise et dans le conseil, avant de soutenir une thèse de doctorat en sciences de gestion affichant une vision résolument neuroscientifique. Il est l'auteur de Neuromarketing aux éditions Dunod.

Après quatre années passées à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne en tant que maître de conférences, où il créa un cours doctoral et de Master 2 en neuroscience du consommateur, il enseigne désormais à l’université de Bretagne Sud (UBS).

Ses thèmes de recherche, abordés sous l’angle neuroscientifique, incluent le marketing sensoriel et la couleur, les phénomènes émotionnels et les processus implicites de reconnaissance et de mémorisation. Il est chercheur à l’IREA et membre associé du PRISM.

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Atlantico : Comment peut-on expliquer que notre jugement sur l’efficacité d’un médicament varie en fonction des couleurs ou de leurs nuances ? Par quels mécanismes neurologiques sommes-nous plus enclins à choisir un médicament en fonction de sa couleur ?

Bernard Roullet : En premier lieu, il convient de distinguer en matière de couleurs, le médicament en tant que tel (comprendre gélule, comprimé, ou pastille) et le conditionnement (le packaging) qui le contient.

Les effets propres se cumulent ou se chevauchent, naturellement. Des études ont souvent porté sur la couleur du produit lui-même et peu sur son packaging. J’ai co-publié en 2005 une étude (ayant fait l’objet d’une communication aux USA) portant sur les effets de la couleur du conditionnement médical et de la typographie de son nom commercial [1].

L’article a montré que la clarté et la saturation d’une couleur – en plus de sa teinte – induisaient des perceptions différentes de potentialité (potency en anglais), c'est-à-dire des attitudes différentes envers la puissance perçue du médicament. Un indice composite à base de 8 items avait été conçu pour l’évaluer. De même, une fonte (typographie et graisse) plus épaisse induisait une force perçue plus grande de la part des sujets (cf. infra).

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On peut imaginer que des causes multiples expliquent ces effets. Des causes d’apprentissage (environnemental et éducatif) et de modes, qui associent couleur et signification (ou effet). Mais aussi, peut-être, des causes évolutives qui ont fait associer pour l’homo sapiens (et autres trichromates) des couleurs et des niveaux d’innocuité ou de danger. Il ne faut pas être grand clerc pour voir le lien ancien entre la couleur rouge et le crépuscule, l’incendie et le sang ; le bleu et l’eau pure, le ciel dégagé. Les teintes ont donc des valences déterminées, distinctes des facteurs culturels qui s’y greffent. Mais il existe deux autres dimensions à la couleur : sa clarté et sa saturation (pureté, « densité » de la couleur).

Pour les mêmes raisons évolutives, le sombre est inconnu et jugé plus menaçant que le clair, tandis que le « désaturé » est lointain et inoffensif (qu’on pense à un paysage de collines : les plus lointaines sont les plus désaturées).

La couleur des médicaments peut-elle aussi jouer sur l'effet placebo ?

Depuis l’apparition de la médicine, l’apparence d’un médicament a exercé un effet et joué un rôle dans la perception de sa force, de sa potentialité. L’effet placebo (« je plairai » en latin) est reconnu depuis Socrate. Le fait même de croire en son médecin ou au traitement prescrit, participe du processus de guérison.

Parmi les signes apparents, l’apparence du médicament, c'est-à-dire forme et couleur peuvent avoir une efficacité sur le traitement. Dès lors, si l’on est convaincu qu’une gélule noire est « très forte », les effets réels seront mieux potentialisés, voire amplifiés. Huskisson[2] a montré en 1974 qu’un placebo rouge était aussi efficace (pour des douleurs modérées) qu’un analgésique véritable. Des études de laboratoires plus récentes obtiennent des résultats similaires (cf. infra).

Par contre, des changements d’apparence (génériques) peuvent susciter des effets inverses...

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Quels sont les avantages et les inconvénients de la différenciation des pilules en fonction de leurs couleurs ? La couleur des médicaments impacte-t-elle aussi les usages et pratiques des professionnels de la santé (médecins, infirmières, etc.) ? Et si oui, comment ?

En effet, la couleur des médicaments est également une aide précieuse pour les équipes soignantes, ne serait-ce que pour identifier précisément la molécule prescrite.

Des études américaines (Institut de Médecine, 1999) ont découvert que des milliers de décès interviennent à la suite d’erreurs médicales de posologie, du fait de la faible discrimination entre dosages[3]. Par exemple, certains produits appliqués en intraveineuse ne se distinguent que par la mention de leur quantité de produit actif. Un produit de Pfizer (Zithromax®) a pu susciter un moment des problèmes, du fait de la ressemblance des flacons de deux dosages différents. La couleur du comprimé lui-même est aussi à prendre en compte, au-delà de sa taille.

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Les formes, textures et couleurs (en plus des marques ou symboles imprimés) permettent aussi aux patients de « s’y retrouver » dans leur traitement, en particulier pour les seniors et les déficients visuels.
Le problème est que parfois, les génériques recourent à des codes-couleurs différents (raisons juridiques ou techniques), ce qui augmente alors la confusion. Une étude récente de Kesselheim et ses collègues [4] montre qu’en matière d’antiépileptiques, le changement de couleur, plus que de forme, provoque de dangereux manquements à l’observance.

Bleu, rouge, orange, jaune, vert, blanc… A quelles caractéristiques médicales sont associées chacune de ces couleurs ? En quoi l'appartenance géographique et la culture sont des facteurs déterminants ?

Classiquement, chaque culture, chaque ethnie ou langue, associe des couleurs à des concepts ou des symboles. L’orange est sans doute apprécié en Hollande et vilipendé en Ulster catholique. De même, un bleu outremer pourra apparaître « chic » en Europe mais méprisable en Inde (vana en hindi signifie à la fois « caste » et « couleur » ; le bleu foncé ou le noir sont associés aux « intouchables », la plus basse caste).

Au-delà des associations évolutionnistes déjà évoquées, il peut exister des classifications par couleur de classes thérapeutiques (tonicardiaques, antihypertenseurs, anxiolytiques etc.). De Craen et ses collègues [5] avaient trouvé en 1996 que des couleurs « chaudes » (rouge, orange, jaune) étaient associées à des médicaments stimulants, tandis que des couleurs « froides » étaient associées à des médicaments tranquillisants.

Notre propre étude de 2005 n’avait trouvé aucune relation significative entre couleur (teinte) et classe thérapeutique. Tout au plus pourrait-on imaginer des associations d’idées (hépatique et jaune ; digestion et brun, cœur et rouge etc.). De fait, peu d’études ont porté sur l’impact culturel des couleurs sur l’observance (respect de la prescription médicale).

Le viagra est traditionnellement appelé « la pilule bleu », le Nexium est commercialisé comme "la pilule pourpre»... La couleur a-t-elle un impact marketing sur la vente de médicament ? Les laboratoires ont-ils intégré l'impact de la couleur pour booster la vente de certains médicaments ?

Parlera-t-on autant de la « pilule orange » de Bayer (Levitra®) qui traite les mêmes affections que Viagra® ? On voit que la communication média spécialisée et les RP pharmaceutiques (visites médicales etc.) contribuent largement à la notoriété de certains produits et de leur couleur.

Les pays qui autorisent la publicité médicale télévisée regorgent de ce type d’offres. La Commission Européenne avait à un moment envisagé l’expérimentation de la publicité pour certains médicaments, sans succès.

Dans ce cadre plus commercial, ce sont les règles du marchandisage (merchandising) qui priment : dans un contexte d’offres parapharmaceutiques ou pharmaceutiques grandissantes en libre-service, les packagings (forme, taille, couleur, marque, logo, graphisme, texture) deviennent stratégiques dans l’achat prémédité ou spontané du consommateur en officine, en attendant peut-être les grandes surfaces…


Propos recueillis parFranck Michel



[1] Roullet B. & Droulers O. (2005), “Pharmaceutical Packaging Color and Drug Expectancy”, Advances in Consumer Research, Volume 32, pp. 164-171.



[2] Huskisson, E.C. (1974), “Simple Analgesics for Arthritis,” British Medical Journal, 4, 196-200.



[3]Packaging and labeling issues were cited as the primary cause of 33 percent of medication errors, and 30 percent of resulting fatalities, in research published by U.S. Pharmacopeia (USP)”. (Epson White Paper, 2011).



[4] Kesselheim A.S. et al (2012), “Variations in Pill Appearance of Antiepileptic Drugs and the Risk of Nonadherence”, Archives of Internal Med., Published online December 31, 2012. doi:10.1001/2013.jamainternmed.997



[5] De Craen AJM et al (1996), “Effect of colour of drugs: systematic review of perceived effect of drugs and of their effectiveness”, BMJ, British Medical Journal, 313, pp. 1624-1626.

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