Quand les difficultés grandissantes rencontrées par les couples pour concevoir des enfants ruinent leurs vies sexuelles<!-- --> | Atlantico.fr
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La difficulté à concevoir peut se transformer en stress, voire en détresse, pour certains couples.
La difficulté à concevoir peut se transformer en stress, voire en détresse, pour certains couples.
©Reuters

Pas très envie

40 % des couples britanniques qui essayent d'avoir un enfant n'aiment plus faire l'amour, d'après une étude. Les mutations de notre société ont considérablement affecté la manière dont nous nous représentons la sexualité et la conception.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : Selon une étude menée dans le cadre de la semaine nationale à la sensibilisation aux problèmes liés à fertilité au Royaume Uni (du 27 octobre au 2 novembre) dévoilée par le Daily mail, 40 % des couples britanniques qui essayent d’avoir un enfant n’aiment plus faire l’amour et un cinquième le fait uniquement durant la période d’ovulation. Dans quelle mesure les difficultés à concevoir un enfant ont-elles des impacts négatifs sur la vie sexuelle de nombreuses personnes ?

Michelle Boiron : Un couple c’est avant tout une aventure sur un chemin que l’on dessine ensemble. Il y a des épreuves, des croisements et des directions à prendre, à décider. On n’est pas forcément d’accord sur tout mais on peut communiquer pour s’entendre sur une feuille de route. Ce n’est pas un GPS qui décide comment on y va ! Un couple, cela doit être un plaisir à partager d’abord à deux ; c’est pourquoi ils font l’amour, puis à trois si on décide de faire un premier enfant et construire une histoire commune voire une famille. Ce n’est plus lié au hasard.

Il est donc incontournable de s’interroger sur le fondement du couple. De la rencontre jusqu’au désir d’enfant. Sur quel contrat le couple s’est-il engagé ? Sur quel terreau a-t-il l’intention de faire germer la petite graine? Le couple que ses deux composantes formaient avant ce désir d’enfant était-il sexué ? Et enfin qu’en est-il pour chacun du désir d’enfant ? A cela s’ajoute cette question, essentielle : pourquoi a-t- il choisi l’autre ? Pour être un couple ? Pour devenir parent ? Pour les deux ?

Aujourd’hui, on décide le moment pour faire un enfant. "Un enfant quand je veux". Néanmoins les timing de l’homme et de la femme continuent de ne pas être en phase.

La femme y pense vers 30 ans, l’homme un peu plus tard. Elle est prise par l’horloge biologique ; lui toujours pas. A sa demande à elle, il finit parfois par accepter, un peu contraint, de faire un enfant à un moment où il n’est pas tout à fait prêt. Cela pouvait encore attendre un peu.

Le couple, au moment où il prend la décision de faire un enfant, se trouve confronté à une injonction de féconder. Aucun des deux ne s’était posé la question de savoir s’il était si facile que cela pour un homme et une femme de passer d’un couple fondé sur une relation sexuelle pour le plaisir, pour jouir, à un couple avec une relation sexuelle pour devenir père ou mère. Quand la sexualité était fondée sur les instincts, la question ne se posait pas. Aujourd’hui, on a si bien intégré la dichotomie sexualité/ reproduction qu’on ne peut plus faire marche arrière. Soit on jouit, soit on fait un enfant ! Sexualité ou reproduction ? Est-ce un choix cornélien ? En tout cas, c’est ce dont rend compte cette étude au Royaume Uni.  

Parmi les termes qui reviennent pour désigner le sentiment lié à l’impossibilité de concevoir, "stressé" et "déprimé" sont les plus couramment cités. Quelles sont les conséquences au niveau de la vie de couple ? Alors qu’un tiers des personnes interrogées dans cette étude disent qu’ils évitent de voir certaines personnes dont leurs amis, dans quelle mesure la vie sociale pâtit-elle aussi des difficultés à faire un enfant ?

Notre société s’articule aujourd’hui entre le visible et l’invisible. Ce que l’on donne à voir doit symboliser la réussite. La fécondité en est un stigmate. Les symboles que l’on affiche seul ou en couple étaient jusque-là recherchés, trouvés et exposés dans le monde extérieur.

Mais au moment de la conception, le couple se repositionne dans son "intérieur" et cherche dans l’entre deux du couple un espace qui pourra permettre de fabriquer un enfant parce qu’ils l’ont décidé, et évoqué devant les autres. Ce n’est plus magique aujourd’hui ; le possible technique fait loi. La fécondité devient aussi une affaire technique ; elle n’est plus un cadeau du ciel ou de je ne sais quelle divinité qui aurait permis que le miracle de la fécondité advienne. Or la sexualité, qui aujourd’hui ne se nourrit que de transgressions, d’interdictions, de fantasmes et de pulsions, se trouve fort dépourvue quand on lui demande de retrouver sa fonction primitive : se reproduire. Au lieu de redorer le blason des instincts, elle les a annihilés. Cela génère du stress et de l’angoisse !

Le couple se renferme sur lui-même et  il travaille les exercices physiques et sexuels pour féconder. Cela devient une affaire sérieuse ! Il n’en ressortira que lorsque la mission sera accomplie ! L’homme et la femme se retrouvent un temps scellés dans une complicité secrète où l’amour s’absente pour cause de fertilité décidée. Où est passé le désir d’enfant ?    

Toujours selon cette étude, 40 % des personnes interrogées disent avoir retardé le moment de la conception d’un enfant, et 66 % d’entre elles le regrettent maintenant. Comment expliquer ce paradoxe ?

C’est toujours le même phénomène qui est en jeu : "Un enfant quand je veux". Cela a été un progrès fabuleux à l’époque où ce choix a pu voir le jour. Une véritable révolution. S’en est suivi un leurre : le choix du moment idéal pour le concevoir. La liste des conditions à respecter pour être dans le bon timing est sans fin : les études, l’argent, le bon boulot, le bel appartement, la crèche, pour ce qui est de "l’avoir" et puis dans le registre de l’être, presque oublié : trouver le bon père qui sera aussi le bon amant, la bonne mère qui sera aussi une vraie femme, etc. Cette liste est loin d’être exhaustive et permet de différer le moment où cela aurait pu avoir lieu un peu plus naturellement.    

En revanche, on constate que le désir d’enfant s’est parfois envolé avec le contexte rigoureux et imposé pour que la conception ait lieu, quand elle n’est pas devenue techniquement impossible pour cause de délais dépassés, pour cause d’infertilité.  

Pourquoi de plus en plus de jeunes couples hétéros souhaitent-ils avoir recours à la fécondation in vitro alors qu’ils ne sont pourtant pas infertiles ?

La société qui est assez anxiogène génère de plus en plus d’insécurité. Ainsi l’on voit se former des couples fondés sur un amour très sécurisant. Ils sont dans une inconditionnalité qui n’est pas ce qui caractérise la relation homme/femme mais plutôt dans une relation mère/enfant. Souvent en fusion, les membres du couple ne peuvent trouver la bonne distance pour vivre l’attraction nécessaire pour désirer l’autre. Ils sont à la limite d’une relation frère/sœur. Comme ils ont intégré l’interdit, ils ne passent pas à l’acte. Ils s’aiment d’un véritable amour et comme la sexualité est absente, les scènes de ménages sont rares et leur vie plus paisible que les couples sexués. Le problème les rattrape quelques années plus tard, au moment où ils décident de faire un enfant. Ils ne trouvent pas de terrain pour vivre leur sexualité et sont confrontés à leur limite. Le paradoxe c’est qu’ils ne sont pas infertiles. De la fécondation artisanale qui peut marcher pour certains à la FIV ils se trouvent in fine confrontés à leur désir d’enfant et sa fabrication sans différence de sexe.

La question de la transmission se pose pour eux. Qu’ont-ils à transmettre pour que ce soit si difficile pour eux ?

Le choix de l’abstinence au moment de la vie où les pulsions génèrent une sexualité forte, conjugué au besoin de se reproduire, pose une vraie question. Le couple de cet homme-là et de cette femme-là, qui se sont choisis par amour à un moment de leur histoire, se trouve  face à leur impuissance à créer seuls sans le recours d’un tiers. Cette constatation vient valider un choix inconscient d’un couple fusionnel qui ne peut exister individuellement que s’ils se séparent l’un de l’autre. Ensemble ils forment un nous/ on. Pour sortir de ce "on", ils doivent s’individualiser. Ce chemin-là est long ; peu le suivront. Il nécessite de "Se reprendre, secouer le joug du on, c’est-à-dire accomplir la modification existentielle pour passer du nous-on à l’être proprement soi-même, c’est admettre la nécessité de remonter jusqu’à un choix qui avait été escamoté" (Martin Heidegger, "Etre et Temps" Gallimard, Paris, 1976, page ).

Le possible de la technique fait loi et ce sont ces possibilités qui deviennent la normalité. Elles peuvent permettre à deux êtres de rester en couple dans une forme de déni, au lieu de se colleter avec la réalité des questions essentielles : avons-nous envie de donner la vie, de transmettre ?

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