Erreur judiciaire : faut-il rendre aussi possible la révision d’un acquittement ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Faits divers
Erreur judiciaire : faut-il rendre aussi possible la révision d’un acquittement ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Décryptage des affaires les plus emblématiques de l’année 2014, par Marcel Gay et Frédéric Crotta. Extrait de "Les dessous des affaires judiciaires", publié chez Max Milo.

Marcel Gay et Frédéric Crotta

Marcel Gay et Frédéric Crotta

Marcel Gay est un ancien grand-reporter de l'Est Républicain (Nancy) plus particulièrement chargé de la chronique judiciaire. Il a publié, notamment : Enquête chez les notaires (Stock, 1995), L'affaire Jeanne d'Arc avec Roger Senzig (Florent Massot 2007) et Le coup de Tarnac (Florent Massot 2008).

Frédéric Crotta est grand-reporter à France 2. Il est notamment chargé des affaires judiciaires au sein de la chaine.

Voir la bio »

Le vendredi 30 janvier 1987, Nelly Haderer se dispute avec son compagnon. Elle quitte le domicile et laisse là deux enfants en bas âge pour se rendre à Dombasle, chez son frère. Mais il n’est pas là. Elle attend quelques heures dans un café tout proche et revient sonner à la porte, une deuxième puis une troisième fois, vers minuit. En désespoir de cause, elle glisse un mot sous la porte, priant son frère de la rappeler le plus rapidement possible. Plus personne ne verra la jeune femme. Quelque temps plus tard, un témoin expliquera aux enquêteurs avoir vu une voiture blanche devant l’immeuble, ce jour-là, vers minuit. L’enquête permettra d’identifier la voiture de Jacques Maire. Jacques Maire comparaît en 2004 devant la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle à Nancy. Il écope de quinze années de réclusion pour l’enlèvement et la séquestration d’Odile Busset le 15 mars 1983 à Saint-Nicolas-de-Port. Mais il est acquitté du meurtre de Nelly Haderer. Le maçon de Dombasle fait appel.

Devant la cour d’assises des Vosges, à Épinal, le procès se déroule dans des conditions de tension extrême. Il faut dire que les avocats de Jacques Maire sont de brillants pénalistes, rompus aux arcanes de la procédure pénale : Mes Liliane Glock, Alexandre Bouthier, Luc Girard et Dominique Boh-Petit mènent la vie dure à la présidente. Mais ils ne parviendront pas à sortir leur client des griffes de la justice puisque Jacques Maire écope de vingt ans de réclusion. Il est reconnu coupable des deux crimes. Au terme de ce procès houleux, le soir du dernier jour d’audience, la greffière, épuisée, est hospitalisée. Elle oublie de signer les 32 pages du procès-verbal d’audience. Erreur fatale. La Cour de cassation ne peut pas laisser passer. En 2007, la haute juridiction casse et annule la condamnation d’Épinal pour vice de procédure et renvoie l’affaire devant la cour d’assises de la Moselle. Jacques Maire est donc jugé une troisième fois. Le 17 octobre 2008, au terme de six heures de délibération, l’accusé est purement et simplement acquitté.C’est un homme groggy, en pleurs, secoué de spasmes, qui reçoit le verdict auquel personne ne s’attendait. Jacques Maire vient d’être définitivement lavé des accusations qui pesaient sur lui dans les deux affaires. Il sera même indemnisé pour « détention injustifiée » et percevra à ce titre 200 000 euros. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Grâce aux progrès de la science, un rebondissement de taille va tout remettre en cause cinq ans et demi plus tard.

La science et le droit

La famille Haderer réclame de nouvelles analyses ADN sur les scellés. La justice rouvre le dossier le 27 juillet 2009. Les pièces à conviction sont confiées au laboratoire d’hématologie médico-légale du Pr Christian Doutremepuich à Bordeaux. Ce laboratoire, spécialisé uniquement dans les analyses génétiques destinées à l’identification humaine, est l’un des plus en pointe du monde. Ses techniciens parviennent à isoler un profil masculin. Cette empreinte génétique provient d’une tache de sang qui se trouvait sur le jean porté par la victime au moment du meurtre. Les avocats de la famille Haderer, Me Pierre-André Babel et Me Amandine Lagrange, demandent une comparaison avec ceux contenus dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Mais aussi avec les 16 protagonistes du dossier dont, bien entendu, celui de Jacques Maire. Le résultat est connu fin janvier 2014. L’échantillon d’ADN correspond à celui de Jacques Maire.

Le doute n’est pas permis. Reste à savoir comment l’empreinte génétique de Jacques Maire a pu se retrouver sur le pantalon de la victime qu’il prétend ne pas connaître et pourquoi ces recherches n’ont pas été effectuées plus tôt ? « Je maintiens que je suis innocent, hurle Jacques Maire. Je n’ai rien à me reprocher. Je ne la connais même pas cette fille, Nelly Haderer. » L’ancien maçon de Dombasle affirme qu’il avait lui-même demandé ces analyses ADN pour preuve de son innocence. L’un de ses avocats, Me Liliane Glock s’étonne dans le journal de Nancy : « Ce pantalon a été saisi il y a vingt-sept ans et on ne se serait pas aperçu pendant tout ce temps qu’il y avait une tache de sang à l’intérieur ? Nous les avions demandées, nous aussi, ces expertises, six mois après l’acquittement. Car les gens ont toujours un doute. Et l’on n’est jamais aussi innocent que quand on a trouvé le vrai coupable. » L’avocate ajoute : « Je n’y crois pas. Il y a un problème quelque part, une confusion, un mélange, un problème de manipulation des scellés. » Me Alexandre Bouthier, autre avocat de Jacques Maire, se demande s’il ne pourrait pas s’agir « d’une pollution des scellés » ? En effet, la question peut se poser. Si l’ADN est souvent présenté comme « la reine des preuves », celle qui peut accuser ou bien innocenter un suspect puisque, par définition, la science n’a ni amis ni ennemis, cette preuve n’est quand même pas infaillible. Une empreinte génétique peut circuler, être déplacée, volontairement ou non. Par exemple, un mégot de cigarette, un verre dans lequel une personne a bu, un vêtement que l’on a porté peuvent se trouver sur une scène de crime sans que celui ou celle à qui appartient l’empreinte n’y soit jamais allé. Dans certaines situations, l’ADN doit être considéré comme un indice, une présomption forte, pas comme une preuve absolue. Les commentaires sont évidemment tout autres du côté des parties civiles. « C’est énorme. Si l’information devait être confirmée ce serait un événement unique dans l’histoire judiciaire française » déclare à L’Est républicain Me Pierre-André Babel, avocat de la famille Haderer. « C’est l’élément matériel qui a manqué lors des procès » constate Me Olivier Nunge, conseil de la famille d’Odile Busset.

La déception est d’autant plus grande pour les familles des victimes qu’elles savent bien que, désormais, Jacques Maire ne peut plus être poursuivi. La loi est ainsi faite que le recours en révision d’un procès n’est pas possible pour les victimes et leurs familles. Faut-il changer la loi ? C’est ce que proposent un certain nombre de juristes parmi lesquels le député Georges Fenech, ancien juge d’instruction et corapporteur avec Alain Tourret de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales définitives. « Depuis 1945, il n’y a eu qu’une dizaine de révisions de condamnations en matière criminelle, déclare le parlementaire dans le Journal du dimanche. Avec Alain Tourret, nous avons voulu ouvrir la possibilité d’accéder à cette procédure. La question s’est posée : faut-il rendre aussi possible la révision d’un acquittement ? » Il ajoute : « Il me semble difficile de dire aux familles de victimes “circulez, il n’y a rien à voir” ! Aujourd’hui, l’ADN, mais aussi l’analyse des odeurs, des voix, des écritures fournissent de nouveaux moyens de toucher la vérité. Il faut les utiliser. La science a toujours fait évoluer le droit. »

Le député a présenté un projet de loi réformant cette procédure à l’Assemblée nationale le 27 février 2014. Il propose qu’un procureur puisse saisir un juge d’instruction pouvant rouvrir une nouvelle enquête pénale sur la base de charges nouvelles. Car, explique Georges Fenech : « Un innocent en prison, c’est une idée insupportable et un trouble à l’ordre public. Mais qu’un coupable d’un viol ou d’un assassinat dont on a la preuve de la culpabilité soit en liberté, c’en est un aussi. Il faut trouver un équilibre entre la vérité et l’autorité de la chose jugée. »

Extrait de Les dessous des affaires judiciaires, de Marcel Gay et Frédéric Crotta, publié chez Max Milo. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !