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Il faut que les banques comprennent qu'être saines est plus important qu'être très profitables
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(Not) bankable

BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale menacés d'une dégradation de leur note par l'agence Moody's. L'inquiétude des marchés relève de la sur-réaction mais il y a des leçons à en tirer.

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie à l'université Paris I, où elle dirige le Master 2 Professionnel "Contrôle des risques bancaires, sécurité financière et conformité". Elle est l'auteure de Blablabanque. Le discours de l'inaction. Ed. Michalon, sept. 2015.

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Depuis l’été dernier, les grandes banques françaises n’en finissent pas de voir leurs cours boursier chuter sous le feu des attaques spéculatives. Ces attaques témoignent de la défiance des investisseurs envers le secteur bancaire face à la crise de la dette grecque. A n’en pas douter, il y a dans ces attaques un fond de rationalité mais manifestement aussi de la sur-réaction. En proie aux prophéties auto-réalisatrices, les marchés ne sont-ils pas en train de rendre probable ce qu’ils considèrent eux-mêmes comme la pire des sanctions : une nationalisation des établissements bancaires ?

Un peu de rationalité …

Il serait commode de ne voir qu’exubérance irrationnelle derrière les attaques spéculatives dont font l’objet les banques depuis plusieurs mois déjà. Commode mais peu éclairant, sans compter que ceux qui nourrissent ces attaques ne sont sans doute pas ceux qui entendent faire payer les banquiers !

Tout d’abord, pourquoi un tel climat de défiance sur les marchés boursiers ? D’une part, parce que les signes de reprise qu’on croyait percevoir outre Atlantique au printemps dernier ont laissé place à une crainte de récession, rapprochant les Etats-Unis de la perspective d’une décennie perdue à la japonaise. D’autre part, parce que l’Europe s’est enfoncée dans une crise de la dette qui révèle les failles institutionnelles de sa construction, fragilise sa monnaie et rend de nouveau probable une crise systémique. Autant de sources de fragilité et d’inquiétude que les marchés ne peuvent pas ne pas prendre en compte.

Ensuite, pourquoi les banques françaises cristallisent-elles autant les inquiétudes ? L’explication, rationnelle elle-aussi, réside très vraisemblablement dans l’exposition des banques françaises à la dette grecque. Si l’on retient l’exposition globale à la dette grecque (privée et publique), la France est effectivement le pays le plus exposé (avec une exposition globale de 92 milliards de dollars contre 69 milliards pour l’Allemagne, 20 milliards pour la Grande-Bretagne, ou encore 43 milliards pour les Etats-Unis, selon le dernier rapport trimestriel de la BRI).

... mais beaucoup de sur-réaction

Cela étant dit, les marchés ne font pas dans la dentelle ! Dans la course aux valeurs refuges qui a démarré avec la crise des subprimes à l’automne 2007 et qui s’est ensuite intensifiée en 2008, partout les banques ont privilégié les titres de dette publique. C’était à ce moment là la stratégie perçue comme la plus sûre et les spreads ne marquaient guère de différence entre la qualité de signature de l’État allemand et celle de l’État grec ! Les banques françaises n’ont fait ni plus ni moins que les autres. Sans doute moins d’ailleurs que les banques allemandes. L’exposition des banques françaises sur le secteur public grec (un peu moins de 20 milliards de dollars) est inférieure à celle de l’Allemagne (plus de 26 milliards de dollars).

En outre, les marchés procèdent de manière très (trop) séquentielle, au sens où ils ont pour l’instant les yeux rivés sur le risque de défaut de l’État grec sans regarder au-delà. Or, quid de l’exposition des banques allemandes à la dette espagnole (242 milliards) ? Quid de l’exposition des banques anglaises à la dette irlandaise (224 milliards) ? Quid de l’exposition des banques espagnoles à la dette portugaise (108 milliards), etc. ?

Quant aux banques françaises plus spécifiquement, celles qui ont vu leur cours chuter le plus sont certes les trois (Société générale, Crédit Agricole, BNP Paribas) qui prises globalement concentrent la majeure partie de l’exposition à la dette grecque. Mais pourquoi la Société générale, prise individuellement, a-t-elle été la plus attaquée alors qu’elle n’est pas la plus exposée des trois ? Au-delà d’un simple effet de taille (la Société générale est la plus petite des trois), on peut être tenté de voir ici le spectre de l’affaire Kerviel.

Vers une nationalisation du secteur bancaire ?

Par ces attaques, les marchés qui ont toujours les yeux rivés vers l’avenir (« forward looking » comme disent les experts) sanctionnent la moindre profitabilité à venir du secteur bancaire. Oui, les banques feront moins de profit s’il leur faut être plus capitalisées et plus prudentes dans l’octroi de crédit. Mais est-ce un mal pour la collectivité ? La réponse est non. La collectivité a bien moins besoin de banques profitables (dont les profits sont par définition un bien privé !) que de banques saines (dont la stabilité est un bien public qui profite à tous !).

Ces attaques rendront cependant plus difficile la recapitalisation les banques si celles-ci continuent d’être perçues comme des valeurs de plus en plus fragiles. Elles donnent corps à une idée, qui même au plus fort de la crise financière en 2008 ne s’était guère imposée en France, celle d’une nationalisation nécessaire du secteur. Il n’est pas sûr pourtant que ce soit là l’issue souhaitée par les marchés, ni même au-delà celle qui garantirait la stabilité du secteur bancaire.

Indéniablement, la crise a révélé la nécessité d’une intervention publique plus forte dans le secteur bancaire. Mais les formes que celle-ci peut prendre ne se limitent pas à la nationalisation (réglementation mieux conçue, une supervision plus intrusive au niveau individuel et plus globale). C’est bien moins la propriété du capital des banques qui doit changer que le cadre réglementaire et institutionnel dans lequel celles-ci opèrent.

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