Indemnisation des chômeurs et chasse à la fraude : bien comprendre d’où viennent vraiment les déficits pour ne pas faire une réforme contre-productive<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a semé la stupeur au PS en souhaitant dimanche une réforme de l'assurance-chômage.
Emmanuel Macron a semé la stupeur au PS en souhaitant dimanche une réforme de l'assurance-chômage.
©Reuters

Mauvais calcul

Après Manuel Valls, c'est au tour d'Emmanuel Macron de semer la stupeur au PS. Dans le viseur : les 4 milliards d'euros de déficit de l'assurance-chômage et une nouvelle réforme souhaitée. Si "la question des devoirs des chômeurs" est posée, celle du taux de remplacement permettrait, elle, d'économiser quelques milliards d'euros par an...

Bruno  Coquet

Bruno Coquet

Bruno Coquet est docteur en Economie, Président de UNO - Etudes & Conseil.

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Atlantico : Après Manuel Valls, recadré il y a trois jours par le chef d'Etat, Emmanuel Macron a semé la stupeur au PS en souhaitant dimanche une réforme de l'assurance chômage. Dans le viseur, 4 milliards d'euros de déficit. Structurel ou conjoncturel, d'où vient vraiment ce dernier ?

Bruno Coquet : Le déficit actuel est conjoncturel. Et ce n’est pas une situation anormale : on serait en droit de s’interroger sur une assurance chômage qui ne dégagerait pas de déficit avec un chômage touchant 9,7% de la population, et indemnisant 1 chômeur sur 2. Comment espérer qu’elle joue son rôle de stabilisateur économique de l’activité si son solde est nul ou très faible, quelle que soit la conjoncture ?

Les règles assurent que le régime s’équilibre à un taux de chômage d’environ 9%, ce qui est déjà très élevé. En 2008 avec un chômage de 7,1% l’excédent était de 4,6 Md€, 6,7 Md€ pour le droit commun dont il  est question en ce moment. Il a fallu attendre 2013 pour enregistrer un déficit d’environ 2Md€ de ces règles de droit commun, après 5 années d’une crise sans précédent.

En clair les règles d’assurance chômage dégagent un excédent structurel, car les cotisations sont structurellement supérieures aux droits, et que –hors régimes spéciaux– le déficit actuel n’est dû qu’à l’élévation du nombre de chômeurs indemnisés et de la durée moyenne d’indemnisation sous l’effet de 6 années de crise.

Le présent gouvernement et les partenaires sociaux s'étaient pourtant accordés sur un texte commun il y a quelques mois de cela. Texte qui vient tout juste d'entrer en application début octobre. N'est-il pas trop tôt pour juger de son efficacité ?

Le débat actuel ne porte pas vraiment sur l’efficacité du texte qui vient d’entrer en vigueur. L’unification des règles d’activité réduite, la quasi suppression des règles spécifiques aux intérimaires, les droits rechargeables, la taxation des contrats courts sont des progrès qui prennent en compte des décennies d’évaluations économiques dans tous les pays du monde et rendent l’assurance beaucoup plus efficace qu’elle ne l’était. Ces principes doivent être conservés ; dorénavant il faut piloter ces règles de manière à ajuster au mieux leurs paramètres afin qu’ils ne soient pas excessivement rigoureux ou dispendieux.

Le débat semble plutôt axé sur la critique habituelle adressée au système français qui serait excessivement généreux. Or, ce diagnostic est erroné, car limité à quelques règles emblématiques prises isolément : une analyse complète des taux de remplacement nets moyens montre que nous sommes dans la norme de ce prescrit la théorie et de ce que pratiquent nos voisins, l’Allemagne notamment. En outre n’oublions pas que l’assurance chômage française est la plus chère du monde.

On peut aussi souligner que le texte de la Convention d’assurance chômage prévoyait la mise en place de groupes de travail thématiques avant la fin 2014, et qu’il n’est pas besoin de renégocier, mais simplement d’appliquer l’accord, pour explorer tous ces thèmes.

Pôle emploi doit dévoiler mercredi 15 octobre le bilan d'un contrôle renforcé des demandeurs d'emploi dans quatre régions françaises. D'après les équipes en charge, 20% des 2 600 chômeurs contrôlés à Toulon et à Manosque ne cherchaient pas d'emploi. Mais cette étude portait à la fois sur les chômeurs indemnisés et non indemnisés... Que représente réellement la part de la fraude sur ces 4 milliards d'euros de déficit ?

Certainement très peu. D’une part il faut distinguer fraude et découragement, en particulier quand le chômage est élevé, et puis la fraude est toujours trop élevée mais généralement bien moins qu’on ne le croit. L’immense majorité des chômeurs ne joue pas avec l’assurance chômage et veut reprendre un emploi : sinon comment expliquerait-t-on que plus de 50% des chômeurs indemnisés pratique une activité réduite, alors que celle-ci ne leur offre pas l’emploi dont ils rêvent ou ont besoin ?

Dans ce cas, pourquoi pointer du doigt "la question des devoirs des chômeurs" ? Peut-on s'attendre à une amélioration des pratiques pour le suivi de ces derniers ou doit-on craindre des radiations massives et un abaissement artificiel des chiffres du chômage ? 

Il est indispensable pour un assureur de se prémunir contre "l’alea moral" des chômeurs. La survie du régime en dépend, ainsi que la minimisation des contributions payées. Il s’agit donc d’éviter que les bénéficiaires de l’assurance ne se soustraient à leurs obligations, notamment de recherche d’emploi, ou même d’acceptation d’emplois disponibles correspondant à leurs compétences. D’un point de vue théorique n’y a aucune ambigüité sur cet aspect.

La littérature et les évaluations économiques montrent cependant aussi que trop de contrôles peut tuer le contrôle : si le phénomène est marginal contrôler coûte plus cher et rapporte peu, surtout quand les emplois sont rares ; d’autre part les chômeurs excessivement contrôlés finissent par renoncer à leurs droits ce qui conduit à ce que l’assurance soit contestée car elle ne rend plus le service attendu.

Il faut avant tout se féliciter que les chômeurs puissent être mieux suivis, afin de maximiser leurs chances de reprise d’emploi ; si à cette occasion si démasque des fraudeurs et qu’ils sont sanctionnés, c’est une règles de bonne gestion.

D'autres problèmes structurels, comme le régime spécifique des intermittents du spectacle, sont-ils des problèmes plus coûteux pour les caisses de l'assurance chômage ? La question du régime des intermittents du spectacle aurait-elle du être tranchée ?

Une assurance chômage doit privilégier l’équité des droits entre les assurés. C’est une question d’efficacité, d’équité et de survie du régime. Aucune profession ne devrait faire exception à ce principe fondamental, ce qui n’exclut pas de mieux prendre en compte des précarités spécifiques, mais sans en restreindre l’accès à une profession, une industrie, une région, etc.

Quels sont les autres postes spécifiques de dépense (de l'assurance chômage) que le gouvernement pourrait viser ? Quels pièges doit-il éviter ? Dans quelles tentations ne doit-il pas tomber ?

Clairement l’heure n’est pas à la réduction de la durée des droits : la théorie comme les évaluations prescrivent qu’elle doit être longue quand le chômage est élevé et se réduire avec lui, et le chômage est en France actuellement près de deux fois plus élevé qu’outre Rhin, par exemple. Le taux de remplacement est certainement le sujet le plus fertile à travailler, car derrière un taux moyen bien positionné certains paramétrages actuels sont extrêmement inefficaces, et coûtent probablement quelques milliards par an, qui pourraient être mieux utilisés. Enfin, des questions cruciales de mise en œuvre des règles se posent, la réalité pouvant être très différente de ce que croient avoir agréé par les partenaires sociaux.

Notre régime est uniquement financé par le secteur privé, comme si ces seuls agents étaient responsables du chômage et devaient payer pour l’indemniser : c’est contraire à la théorie économique sur les causes du chômage, et cela affaiblit le caractère solidaire de notre système. Pratiquement partout ailleurs, en Allemagne en particulier, la fonction publique cotise à l’assurance, quel que soit le statut de ses agents, l’Etat verse des subventions d’équilibre au régime, et les prestations sociales réservées aux chômeurs sont plus élevées qu’en France. Toutes ces inefficiences structurelles pèsent lourdement sur l’efficacité de notre assurance chômage.

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