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Témoignage d'un médecin de campagne : l'impossible succession dans les déserts médicaux
©Reuters

Bonnes feuilles

Le dernier médecin de campagne ? Au lendemain de son départ à la retraite, le docteur Vieilledent, médecin généraliste établi à Saugues dans la Haute-Loire, témoigne de sa vie consacrée au bien-être de cinq générations de patients dans un canton de la France rurale. Extrait de "Médecin de campagne, une vie", publié aux éditions Calmann-Levy (2/2).

Georges Vieilledent

Georges Vieilledent

Georges Vieilledent est né en 1939. Sa vocation se révèle à l’âge de quinze ans devant le film Il est minuit, docteur Schweitzer. Élève chez les jésuites, il rejoint la France après le bac et s’inscrit à la faculté de Montpellier. Sa mission, il la trouvera en Haute-Loire en mai 1968. Il sera le docteur Schweitzer de ce pays rural pendant quarante-quatre ans jusqu’à son départ en retraite en 2012. 

 

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Il faut bien le reconnaître : ma profession n’est plus attractive. C’est une vie de sacrifice, d’engagement. La satisfaction qu’on en tire n’est pas monétisable.

Elle est dans la reconnaissance, qui va jusqu’à l’affection, que l’on reçoit pour avoir été là quand il le fallait, pour avoir su comprendre un malade, pour avoir pris le temps d’accompagner une famille dans un moment délicat. Pour avoir su soigner, guérir. Il y a des liens qui se tissent, une humanité qui s’exprime qui valent tous les trésors du monde.

Est- ce que cela suffit aux jeunes médecins d’aujourd’hui ? Je comprends qu’ils rêvent de pouvoir prendre des vacances à Majorque ou Miami, d’offrir une belle maison à leurs enfants, de passer des weekends auprès d’eux et des nuits complètes dans leur lit. Tout le monde ne peut faire le choix de se dédier corps et âme à son métier. J’en suis conscient. Comme je suis très conscient, aussi, que dans une civilisation où tout va très vite, il est difficile pour des jeunes gens de se lancer dans des études qui ne les feront accéder à la vie professionnelle qu’à partir de leurs trente ans… Et encore. Entre- temps, c’est beaucoup d’énergie et d’argent dépensés pour se former, sans garantie réelle d’arriver au bout du cursus. Sans garantie non plus d’avoir au final un juste retour de leur investissement de départ. Dans la situation actuelle, je considère que les futurs médecins, ou les jeunes qui démarrent, sont autant victimes d’un système qui part à vau- l’eau que les patients eux- mêmes.

Face à l’indifférence de mes pairs, j’essaie de ne pas me laisser gagner par le découragement.

Je continue mon chemin. Si une porte claque, il y a peut- être une fenêtre ouverte quelque part. Profitant, un soir, d’un cocktail organisé à l’issue de je ne sais quelle inauguration au conseil général, où le préfet est présent, je manoeuvre pour avoir deux minutes en tête à tête avec lui afin de lui exposer mon problème. Il me renvoie immédiatement vers son directeur de cabinet pour prendre rendez- vous. Quelques jours plus tard, je suis au Puy dans le bureau du dit « dir cab », jeune énarque à la poignée de main ferme qui me reçoit obligeamment, mais en pensant à autre chose. L’entretien est assez bref ; il se défausse en me suggérant de m’adresser au sous- préfet à Brioude, « qui sera plus à même de vous soutenir. Du moins, espérons- le… ». Ce n’est pas tellement ce dernier mot qui me choque, mais celui qui vient après, au moment où nous nous quittons sur le pas de la porte : « Bon courage », me dit- il. Je reprends la route avec ça dans l’oreille, et un sentiment de grande solitude.

À Brioude, je me heurte, une fois encore, à un fonctionnaire qui ne m’accorde qu’une oreille distraite. Au fond, le message qu’on me fait passer au fur et à mesure de mes rencontres, c’est clairement : « Aide- toi, le Ciel t’aidera. » Je croise des gens qui n’ont en réalité pas la moindre idée de ce qu’est un médecin de campagne, de son quotidien et de son utilité.

En rentrant à Saugues, je me dis qu’en fait d’internes, ce sont les préfets, les sous- préfets et les doyens des facultés de médecine qu’on devrait envoyer en stage dans les cabinets des généralistes, surtout dans ceux des médecins ruraux !

Je réalise que personne ne s’intéresse réellement à la question de la désertification médicale qui n’est pourtant pas une préoccupation nouvelle. Déjà, en 1983, au moment où Paris Match m’avait suivi, le sujet était d’actualité.

Extrait de "Médecin de campagne, une vie", de Georges Vieilledent, publié aux éditions Calmann-Levy, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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