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Vicomte A :  
l'aristo de la mode française
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Success story

La mode française de luxe a trouvé son dernier phénomène du moment : la marque Vicomte A qui joue la carte surprenante du sport, de l'aristocratie et de l'ironie. Mais son succès peut-il durer ?

Frédéric Godart

Frédéric Godart

Fréderic Godart est professeur à l'Insead où il enseigne la théorie des réseaux sociaux et la psychosociologie des organisations. Ses recherches se concentrent sur la mode et le luxe. Il est l’auteur de Sociologie de la mode (La Découverte 2010) et de Penser la mode (IFM/Regard 2011). 

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L’industrie française de la mode et du luxe se porte bien, comme le prouvent les résultats financiers tout à fait excellents des principaux acteurs du secteur LVMH, PPR, ou encore Hermès. Cette bonne santé n’est pourtant pas uniquement le fait des grands groupes et de nombreuses marques plus petites font aussi preuve d’un dynamisme exceptionnel. On peut citer par exemple Isabel Marant, qui a ouvert en fanfare il y a peu son premier magasin à New York, The Kooples qui a séduit les Britanniques (après les Français) avec une campagne marketing très créative autour des couples…

Parmi tous ces succès, une autre marque, Vicomte A., a récemment attiré l’attention de la presse et des acteurs de l’industrie avec, au bout de quelques années d’existence seulement, un chiffre d’affaires de plus de 11 millions d’euros, une vingtaine de boutiques en propre (à Paris, Deauville, Saint-Tropez, Palm Beach…) Comment expliquer ce succès ? C’est un exercice toujours difficile tant il y a d’éléments en jeu : image de marque, qualités intrinsèques du produit, stratégie marketing, efficacité organisationnelle, structure financière, relations des dirigeants… Dans la mode, l’image de marque étant cruciale, on peut se concentrer en priorité sur cet aspect du succès de Vicomte A., d’autant plus qu’on se trouve ici dans un cas assez riche. Deux éléments font la force de l’image de marque Vicomte A. Tout d’abord, une gestion réussie de toute une série de contradictions (imitation / distinction, travail / loisir…), et ensuite une mise en abyme de sa propre identité. 

Vicomte A. réussit à fusionner dans une même histoire de marque éthique du travail et glorification des loisirs

D’un point de vue stylistique, Vicomte A. se positionne dans une niche a priori assez occupée : la marque revendique une affiliation aux sports haut de gamme (polo, voile…) et ce faisant se retrouve à concurrencer des poids lourds de l’industrie comme la marque française Lacoste ou les marques américaines Tommy Hilfiger, Polo Ralph Lauren et Gant...
Pourtant, au-delà de cette imitation de certaines grandes marques, Vicomte A. apporte une touche d’originalité qui l’aide à se distinguer sans trop se distinguer : tout d’abord, l’identité coloristique de Vicomte A. est unique, avec une présence récurrente et étonnante du fuchsia ; ensuite, Vicomte A. est la seule marque à revendiquer une identité résolument aristocratique. Ni Ralph Lauren ni Tommy Hilfiger ne peuvent s’en targuer, et malgré leur style « preppy » les deux créateurs américains ont des origines populaires dont ils se sont d’ailleurs toujours enorgueillis.

Cette identité aristocratique est centrale pour Vicomte A. mais conduit à une seconde contradiction, qui elle aussi est jusqu’à présent habilement négociée. Le fondateur, Arthur de Soultrait, a réussi à construire une histoire convaincante autour de la fondation de son entreprise. Cette histoire (officielle et peut-être romancée) est la suivante : étudiant, il se rend aux États-Unis lors de sa troisième année d’école de commerce pour un stage et, son entreprise ayant fait faillite, il doit vendre des cravates pour survivre et rentrer chez lui, mais efficacité et bagout aidant, il fait un profit substantiel ce qui lui permet de lancer en 2005 sa propre marque, d’abord appelée Vicomte Arthur.

Tout en mettant en avant son énergie entrepreneuriale, et une certaine éthique du travail, Arthur de Soultrait signale aussi explicitement son affiliation à une aristocratie portée sur les loisirs. Pourtant, comme l’a si bien montré l’économiste et sociologue américano-norvégien Thorstein Veblen dans son étude classique « La Théorie de la classe de loisir » à la fin du 19ème siècle, au cœur de l’identité de la classe de loisirs, dont fait partie en Europe une frange importante de l’aristocratie, le travail et l’argent sont vus avec dédain, comme étant des valeurs bourgeoises dont il faudrait se protéger à tout prix. Vicomte A. réussit alors le tour de force de fusionner dans une même histoire de marque éthique du travail et glorification des loisirs.

Une autre réussite de la marque est d’être parvenue à se distancier d’elle-même, dans une mise en abyme marketing inédite. Une exclusivité toute aristocratique est au cœur du message porté par Vicomte A., et Arthur de Soultrait a pris récemment un certain nombre d’initiatives qui cadrent avec cette identité : le début d’une stratégie multimarques avec la reprise de Gastinne Renette, une marque centenaire associée à la chasse et aux armes, une volonté affichée de mettre en avant le « fabriqué en France » et la qualité, une affiliation avec des personnalités comme le Premier ministre français François Fillon, la présidente du Fonds Monétaire International Christine Lagarde, Pippa Midlleton (la sœur de la Duchesse de Cambridge Kate Middleton), les journalistes Stéphane Bern et Bernard de la Villardière etc.


Une ironie maitrisée, mais des faiblesses qui pourraient l'empêcher de connaitre un succès sur le long terme

En revanche, la couleur fuchsia, l’humour du nom de la marque où le « A. » nie le « Vicomte », la bonne humeur générale qui émane des créations (couleurs pastel…), tout cela va à l’encontre de l’image aristocratique qui, non contrôlée, pourrait être pompeuse et agressive… La mise en abyme qu’opère Vicomte A. en commentant avec ironie ses propres univers et positionnement est peut-être la clé principale de son succès… Tout en étant dans la mode, l’empire de l’apparence, Vicomte A. s’en détache consciemment avec une ironie maîtrisée.

Et pourtant… Malgré toutes ces réussites, Vicomte A. fait face à certaines faiblesses structurelles. La première question qui se pose est celle des réserves de croissance : la marque peut tenter de s’inspirer de Lacoste en essayant de convaincre de nouvelles couches de la population de l’adopter, ou elle peut poursuivre une stratégie internationale comme Polo Ralph Lauren ou Tommy Hilfiger (ou une combinaison des deux). Reste à savoir si l’image « sport, aristocratie et bonne humeur » peut convaincre au-delà de certains cercles de consommateurs.

Une seconde question, peut-être encore plus fondamentale, a un lien avec l’aspect créatif de la marque. On peut légitimement se demander si l’absence d’un créateur connu est potentiellement un handicap pour Vicomte A. La mode se nourrit de la créativité et des frasques des créateurs… Une marque de mode sans créateur identifié risque de vite se retrouver dans la catégorie « marché de masse » avec Zara ou H&M ce qui serait un coup fatal porté à une marque qui se veut au-dessus du panier... mais peut-être sans s’en donner pleinement les moyens.

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