Budget 2015 : derrière le courage de façade, une méthode gouvernementale condamnée à l'absence de résultats économiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Comme ce poisson rouge faussement téméraire, le gouvernement n'affiche qu'un courage de façade avec son nouveau budget.
Comme ce poisson rouge faussement téméraire, le gouvernement n'affiche qu'un courage de façade avec son nouveau budget.
©dziriya.net

Chiche !

Les économies budgétaires annoncées par le gouvernement sont pour le moins audacieuses : 21 milliards d'euros en 2015 et 50 milliards d'ici 2017. Dans les faits, elles risquent surtout de rester des effets d'annonce qui ne seront jamais suivis de réalisations concrètes. Ce volontarisme – au lieu d'être réaliste – finira même par avoir des conséquences néfastes.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le gouvernement annonce un budget qu'il qualifie de "courageux" avec ses 21 milliards d'euros d'économies planifiés en 2015 et 50 milliards d'euros sur 2015-2017. Quels objectifs d'amélioration des comptes publics le gouvernement lie-t-il à ces économies ? En quoi ces objectifs sont-ils de nature à relativiser le volontarisme gouvernemental ?

Philippe Crevel : L’objectif est de stabiliser le déficit public autour de son niveau actuel, à 4,3% du PIB. Sans ces 21 milliards annoncés, nous serions plutôt autour de 5%. L’effort est donc non négligeable, mais il est pensé pour éviter une dérive des comptes publics qui ferait mauvais genre au niveau européen. On voit que ces 21 milliards sont répartis entre un effort de l’Etat, mais aussi un effort demandé aux collectivités locales et les régimes sociaux notamment la branche famille), et ces deux derniers portent même les deux-tiers de l’effort annoncé. Et le risque est d’ailleurs que les collectivités locales augmentent finalement les impôts locaux. L’Etat en décidant de diminuer l’impôt sur le revenu pratique un classique "jeu de bonneteau" entre les efforts des uns et les cadeaux des autres. Plus grande monde ne sait donc à quel saint se vouer entre un affichage rigoureux, une réalité qui l’est beaucoup moins, et un dessous des cartes qui ressemblent à un complexe système de tuyauterie.

Jacques Bichot :C'est le troisième budget de ce gouvernement à être "courageux" ! Pour les deux précédents budgets, les réductions de déficit se sont révélées être des faux-semblants. Et justement, j’aimerais bien savoir quels objectifs d'amélioration des comptes publics le gouvernement lie à ces économies. On annonce 20 milliards d'économies mais personne ne dit de manière précise quelle dépense sera affectée, ni quelles recettes diminueront. C'est très difficile de porter une appréciation sérieuse sur des annonces et des plans qui ne sont pas crédibles et dans tous les domaines. Par exemple, le gouvernement s'engage sur la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim qui va coûter à peu près 5 milliards d'euros. Est-ce compris dans leur plan ? Je ne crois pas. 

La protection sociale sera le poste le plus mis à contribution avec 9,6 milliards d'économies, alors même que la sécurité sociale affiche pour 2014 un déficit 12,5 milliards. Quels risques le gouvernement prend-il à se fixer des objectifs si difficiles d'accès ? Ces 21 milliards d'économies ne se traduiraient que par une baisse de 0,1 point des prélèvements obligatoires. Les Français risquent-ils d'avoir l'impression de faire des efforts pour rien ?

Philippe Crevel : L’effort sur la protection sociale amène un risque évident de ciblage sur les familles. On a même vu Cécile Duflot monter au créneau en ayant quasiment un discours "de droite" de défense de la politique familiale. Il y a un vrai risque de voir le gouvernement faire marche arrière et donc renoncer, comme souvent, à une partie de son plan. Côté prélèvement, oui on baisse l’impôt sur le revenu, mais on va augmenter les taxes sur le diesel. Et comme il n’y a pas beaucoup de croissance, le rapport impôts/PIB évoluera peu. Les fortes évolutions de ce rapport ne seront qu’à la marge causées par les mesures fiscales.

Jacques Bichot :Si on faisait des efforts pour une réelle diminution des déficits, ce ne serait pas pour rien. Mais on ne peut pas diminuer les prélèvements obligatoires avant d'avoir diminué le déficit. Les Français se font peut-être des illusions et le gouvernement flatte ces illusions. Car le problème numéro 1, c'est le déficit public qui atteint les 80 milliards d'euros et qu'il faut résorber. Si vous tentez de réduire le déficit tout en diminuant les prélèvements obligatoires, nous resterons les mauvais élèves de la classe européenne. La dette qui s'accumule est pour l’instant financée à des taux intéressants mais on n'aura pas des financements sur 10 ans pour à peine plus de 1% ; un jour ou l'autre, les taux d'intérêt passeront à 3 ou 4%. La charge de la dette publique va augmenter considérablement. Nous avons une contrainte forte et qui ne peut pas se résumer simplement au mécontentement de Madame Merkel.

Par ailleurs, les accords de Bâle permettent aux banques d'engranger de la dette publique sans avoir besoin de fonds propres. En facilitant cette émission de dette publique, c'est la possibilité des banques de prêter aux entreprises que l'on assèche. Ce qui pourrait amener un regain d'activité d'économie, on le rend plus difficile par cette facilitation de la dette publique. Tant que nous ne sortirons pas de ce cercle vicieux, il n'y aura pas grand espoir. Car c'est là le vrai enjeu du déficit, de l'endettement.

Même les diminutions de cotisations sociales pour les entreprises s'accompagnent de l'introduction de nouveaux prélèvements. Je pense notamment à la contribution transports pour des entreprises qui n'y étaient jusqu'alors pas assujetties, les cotisations pénibilité se sont ajoutées. Pour relancer la machine économique, il faut miser sur des mesures qui ne coûtent rien. C'est ce que le patronat a appelé le choc de simplification. Par exemple, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le patron d'une petite entreprise d'informatique dont les  centres se trouvaient à Bordeaux et à Lille. Ils ont décidé avec l'accord des salariés de Lille qui ne voulaient pas être mutés à Bordeaux de se séparer à l'amiable. Tout le monde était d'accord mais leur plan n'a pas été accepté par la direction régionale du travail et de l'emploi. Le chef d'entreprise en question a alors essayé de contacter cette administration mais il est absolument impossible de les joindre car leur standard n'est accessible que deux heures par semaine. Cela ne coûterait pourtant pas grande chose de faire fonctionner cette administration correctement.

Un objectif de 21 milliards d'économies sur un an est-il atteignable ? Y a-t-il des exemples de pays qui, dans une situation et un contexte comparables à la France, et sans l'outil monétaire, seraient parvenus à réaliser de telles économies dans un laps de temps similaire ? 

Philippe Crevel : Méfions-nous d’une part, car on parle de 21 milliards d’euros basés sur une évolution normale des dépenses. Certains pays ont fait d’importants efforts, je pense à deux d’entre eux notamment : le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Suède dans une moindre mesure. Ces pays ont redéfini en profondeur les contours du service public et une diminution notable du nombre de fonctionnaires (ce qui n’est pas dans le plan français). Plus généralement, tous les gouvernements qui ont réussi à réduire leur déficit sont passés par la diminution de la dépense publique. Au Canada, les choses ont même été assez radicales, puisque la réduction de la dépense publique a porté sur 4 à 6 points de PIB. L’effort est conséquent, il n’est pas non plus extraordinaire. Je rappelle que dans ce que propose le gouvernement, on est aussi sur le risque d’une augmentation de la fiscalité locale puisque l’Etat n’augmentera pas (voire diminuera) les dotations à ces mêmes collectivités. A charge pour elles de trouver une solution. J’attends donc de voir le résultat final, et mieux ne vaut pas s’emballer devant la présentation comptable a priori alléchante faite par le gouvernement…  

Jacques Bichot :Le Canada a fait cela, la Suède a fait cela, c'est possible mais il fait y aller à la hache. A partir du moment où vous vous dites, "les pauvres on ne peut pas leur faire ça"… ça ne marche plus.  Si on veut prendre des mesures efficaces, on est obligé de faire du tort à un certain nombre de personnes. Mais je ne crois pas que ce soit la bonne méthode, à vrai dire. La bonne méthode consisterait à essayer d'améliorer les performances des administrations. Il faut en amont des lois, par exemple, penser aux conséquences de ce que l'on fait, se demander ce que cela va coûter. Par exemple, le ministre de l'Intérieur avait dénoncé les conséquences de la loi Taubira sur les fonctionnaires de police. Les conséquences de la loi, en termes de conséquences sur les services, n'ont pas été réfléchies.

C'est une habitude des hommes politiques, ils n'imaginent pas que l'Etat ne soit pas tout puissant et infiniment riche. Je pense que d'annoncer des économies ne sert à rien, il faut revoir dans un premier temps tous les dysfonctionnements administratifs qui nous coûtent de l'argent. Sur l'affaire des djihadistes qui n'ont pas été interceptés, on s'est aperçu que le logiciel qui permet de regarder si quelqu'un de suspect passe la frontière ne fonctionne pas plusieurs heures par jour. Le logiciel de gestion des salaires dans l'armée ne fonctionne, lui non plus, pas correctement. C'est une gabegie absolument invraisemblable. Il faudrait des ministres qui savent "faire le boulot". C'est un impensable qu'on ait un nombre de dysfonctionnements pareil. 

Si le gouvernement voulait rester crédible, quelle serait la fourchette d'économies qui serait "raisonnable" (c'est à dire vraiment réalisable) que le gouvernement pourrait annoncer ? Et quels sont les domaines où ces économies seraient réalisables sur une année ? 

Philippe Crevel : De manière générale, on va trop lentement dans la question de la réduction de la dépense publique (c’est même le moins que l’on puisse dire quand on est encore à 4,3% de déficit). Il est certain qu’il y a un effort à faire sur la fonction publique, pour ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, du moins pendant deux ou trois ans.  Il faudra réfléchir sur le périmètre de l’Etat et des collectivités locales, et la création d’agences publiques qui pourraient à terme être privatisables. Mais cela ne peut pas se faire à très court terme, même s’il faut bien l’engager à un moment ou un autre. La réalité à court terme, c’est la baisse de la création d’emplois publics, car on ne peut pas aller plus loin sur le point d’indice des fonctionnaires qui est déjà gelé, ni sur les investissements, qui sont même plutôt faibles dans le secteur public.

Et surtout, il faut bien comprendre qu’il ne peut pas y avoir de marges de manoeuvre populaires à court terme. Le plus efficace en effet pour réduire immédiatement les dépenses, c’est de taper dans les prestations sociales qui représentent un tiers du PIB. C’est là où à court terme il y a quelque chose à aller chercher, mais c’est quelque chose de particulièrement violent, comme on le voit avec les premières réductions faites sur la branche "famille".   

Jacques Bichot: Il ne faut surtout pas annoncer des fourchettes d'économies. C'est la dernière chose à faire. Le volontarisme n'a aucun intérêt en la matière. Il faut prendre des mesures au sein de chaque service. Mais combien cela va-t-il générer d'économies ? On ne peut pas le dire. Il faut serrer les boulons dans tous les domaines. Pour pouvoir estimer ce qu'une meilleure gestion quotidienne aurait pour effet, il faudrait réaliser une mesure d'impact, mais vous ne réformez pas avec une planification pareille. Les gens doivent avoir une initiative personnelle. Il faut en fait les amener à prendre des mesures inintelligentes à leur échelle. Cette transformation n'est pas aisée à produire. Je vois les choses par le petit bout de la lorgnette mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Il y a 5 milliards de fonctionnaires, et si la réorganisation devait être planifiée, ce serait impossible. Il faut faire jouer le principe de subsidiarité où chacun dans son coin est responsable

Ce budget "courageux" a le don de remonter les députés "frondeurs", et risque de décevoir ceux qui y croient, soit parce qu'il ne sera pas tenu, soit parce qu'il n'aura finalement qu'un impact plus faible que les effets d'annonce. Le budget "courageux" n'est-il donc pas une évidente faute politique ? 

Philippe Crevel : Le gouvernement est pris entre le marteau et l’enclume. La France fait partie d’une équipe qui s’appelle la zone euro, et ses coéquipiers ont fait des efforts et ont des finances publiques aujourd’hui en meilleur état. Et quand un joueur joue mal, c’est l’ensemble de l’équipe qui joue mal. Or, on ne peut pas "sortir" le joueur français, il est donc forcé de se mettre à niveau. Et comme on a été très lent à se mettre à niveau, les demandes deviennent aujourd’hui très pressantes. Il est évident que le gouvernement devait montrer sa détermination à Bruxelles. D’un autre côté, il y a eu la volonté d’envoyer un signal à sa base avec l’impôt sur le revenu. Mais il n’est pas forcément très pertinent de vouloir envoyer ces signes contradictoires. Et on sait très bien que la voie de la dérive des comptes publics va mener directement dans un mur, avec des impôts supplémentaires et des entreprises moins compétitives. Et le gouvernement le sait bien, mais comme il faut ménager la base malgré tout, la communication semble parfois floue. Manuel Valls essaie d’afficher la couleur, François Hollande temporise, on a donc une politique "pâle" là où elle pourrait être beaucoup plus directe.  

Jacques Bichot: Un budget ne peut pas être "courageux". Un budget courageux, c'est un budget restreint qui ne sera pas tenu. En revanche, on peut prendre des décisions courageuses. Ce que le gouvernement appelle courageux, c'est du volontarisme, et c'est de la grande démagogie.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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