Valls en tête à tête avec le budget : derrière les discours martiaux, la retraite sur les principes déjà bien entamée<!-- --> | Atlantico.fr
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Les renoncements de Manuel Valls ont été nombreux depuis 6 mois
Les renoncements de Manuel Valls ont été nombreux depuis 6 mois
©Reuters

Les renoncements c'est maintenant

Alors que se profile l'examen du budget 2015, qui permettra de nouveau aux frondeurs socialistes de faire entendre leur voix, Atlantico vous propose un tour d'horizon des renoncements déjà effectués sous le gouvernement de Manuel Valls.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Jacques Delpla

Jacques Delpla

Jacques Delpla est économiste, professeur associé à l'université de Toulouse. 

Il est l'auteur de Le partage des fruits de la croissance (La documentation française, 2009), et La fin des privilèges : payer pour réformer (Hachette Littérature 2007).

 

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Natacha Valla

Natacha Valla

Economiste, directrice adjointe du CEPII, think tank en économie internationale. 

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Atlantico : Quelles sont les mesures annoncées par François Hollande et Manuel Valls depuis le début de l'année que le budget 2015 doit mettre en musique ? 

Jacques Delpla : Il y a d’abord la baisse des dotations aux collectivités locales annoncée mardi 30 septembre. C’est une mesure très facile à prendre car les collectivités vont répercuter ça sur les taxes. L’impact sera nul sur la croissance et le gouvernement en portera la responsabilité, ça ne changera rien. Récemment, Bruno Le Roux a demandé au gouvernement d’inscrire au moins 50 000 aidés supplémentaires dans le projet de budget 2015. Je trouve ça "fascinant" car toutes les études économiques montrent que ça ne sert à rien… Le gouvernement n’a pas les moyens d’agir avec aussi peu d’opinions favorables donc s’il commence à vraiment s’attaquer aux dépenses il va terminer à 0 %. Déjà qu’il va terminer le mandat avec un déficit à 4 ou 5 % du PIB… Ils n’ont pas les moyens politiques.

Natacha Valla : L’exécutif s’est employé, depuis le début de l’année, à dessiner les contours d’une politique assez multidimensionnelle de réformes. L’agenda peut sembler parfois sporadique, mais ces réformes ont pour objectif de soutenir la croissance en agissant sur la compétitivité des entreprises et la transformation de l’environnement économique – une politique de l’offre assumée en tant que telle. Parmi les mesures annoncées – et pour certaines, en partie mises en œuvre – le Pacte de responsabilité et de solidarité est une pierre d’angle car c’est par lui que passe l’essentiel de la réduction des coûts du travail, et plus généralement de la fiscalité. Le budget devra l’orchestrer habilement.

Mais le budget 2015, qui sera au centre des débats ces prochaines semaines, ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel. D’autres réformes plus éloignées de la dynamique budgétaire de court terme peuvent avoir à moyen terme de réelles conséquences positives sur la croissance, sur la performance économique et la compétitivité. Et donc in fine sur la soutenabilité des comptes publics. Ces réformes concernent par exemple l’assouplissement des contraintes administratives qui pèsent sur les agents économiques – entreprises, ménages, voire sur les administrations elles-mêmes ! Un autre exemple concerne la formation professionnelle et plus généralement la fourniture d’une éducation et d’une formation sur l’ensemble du cycle de vie, trop souvent considérée comme une réforme de second rang, ce qui est une erreur.

Reste la question du CICE, qui est une clé de voûte de la politique du gouvernement pour relancer l’économie et l’emploi. La mesure ayant déjà été mise en place depuis plusieurs années, son influence sur le budget 2015 sera donc par définition "passive". Cependant, personne ne pourra ignorer au cours des discussions budgétaires que le bilan reste mitigé. D’après France Stratégie, la "consommation" en 2014 des droits au CICE par les entreprises devrait être plus faible que prévu – mais attention à l’effet en trompe-l’œil sur le budget. Il semblerait que la complexité du dispositif et les craintes qui lui sont associées (contrôles fiscaux) ont jusqu’à présent dissuadé les petites entreprises d’y avoir recours…

Gilles Saint-Paul : La principale mesure susceptible de porter ses fruits est le gel du point d'indice des fonctionnaires. Le gouvernement table sur l'inflation pour en fait réduire le salaire des fonctionnaires sans le dire explicitement. A ceci s'ajoutent des mesures frappant les retraités, combinant hausse de la fiscalité et report de la revalorisation des retraites. Ce qui revient à baisser les retraites sans le dire. Plutôt que de libérer les forces productives en réduisant le nombre de fonctionnaires et en allongeant la durée de cotisation, ce que le gouvernement précédent essayait de faire dans la douleur, le gouvernement a donc choisi l'appauvrissement généralisé de la population. C'est la contrepartie du mirage socialiste de la vie gratuite.

Alors que Manuel Valls a réaffirmé avec force sa volonté de tenir les engagements du budget 2015 lors de son deuxième discours de politique générale, dans quelle mesure un certain nombre de ces engagements ont-ils déjà été concrètement remis en cause via les gages qu'il a offert aux frondeurs notamment pour obtenir la confiance ?

Jacques Delpla : Manuel Valls va ralentir la feuille de route des frondeurs. Les frondeurs savent que le gouvernement ne va pas toucher au service public, au statut de la fonction publique… Il faudrait pourtant embaucher moins de fonctionnaires, faire une réforme des retraites à la suédoise, s’occuper du statut de la fonction publique… Même s’il ne l’a pas fait dans les mots, dans la pratique le Premier ministre a donné des gages aux frondeurs.

Natacha Valla : Le grand compromis assumé par le gouvernement actuel est celui, très général, des objectifs bruxellois de consolidation budgétaire. Certes, les circonstances macroéconomiques ne sont favorables ni à la croissance, ni aux comptes publics. Mais la France cherche à exploiter de façon opportuniste la notion de "circonstances macroéconomiques exceptionnelles" qui donne plus de temps aux pays membres en difficulté pour redresser leurs comptes. Cette notion, prévue dans le cadre de la gouvernance macroéconomique européenne actuelle, avait été implicitement invoquée en filigrane par la Banque Centrale Européenne pour inciter à plus de clémence budgétaire de la part des pays européens qui en ont  les moyens. Mais il est fort douteux que celle-ci ait eu la France en tête !

De façon plus concrète, le dérapage des comptes sociaux est un leitmotiv qui revient chaque automne avec les discussions budgétaires. Le gouvernement a d’ailleurs présenté en début de semaine le projet de financement de la sécurité sociale. Celui-ci prévoit de limiter le dérapage de la branche maladie. Sont aussi annoncés 700 millions d’économies sur la branche famille. Certains ne seront sans doute pas favorables à la remise en cause de prestations familiales telles que la prime de naissance ou le congé parental, ce qui est compréhensible. Il y aura certainement des arbitrages contestés dans la branche maladie. Mais il faudra bien savoir trancher.  Il semble que le gouvernement cherche aujourd’hui à neutraliser en amont les risques de dérapage lors des discussions parlementaires. Mais comme tous les ans, les batailles seront rudes.

Gilles Saint-Paul :Je ne pense pas que les frondeurs pèsent beaucoup sur le gouvernement. En effet, l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête est une dissolution, après laquelle ils risquent fort de perdre leur siège de député. Cela souligne l'inutilité du Parlement sous la Vème république. Par contre, le gouvernement fait ses petits calculs électoraux pour 2017, et il est probable que si économies il y a, elles seront dilapidées en cadeaux catégoriels afin de réunir une coalition pour (au moins) sauver les meubles lors des prochaines élections. La suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu en est un symptôme marquant. Lors des derniers tours de vis fiscaux, des millions de ménages qui croyaient vivre avec l'argent des autres ont été cruellement déçus car ils ont entrevu la facture en étant désormais imposables. Le gouvernement essaye de récupérer ces électeurs en les ramenant à l'illusion qu'ils profitent du système (au détriment des classes moyennes), bien qu'ils contribuent des sommes considérables sous la forme de charges sociales, TVA, CSG, TIPP, etc. De même que l'on table sur la stupidité des fonctionnaires et des retraités en érodant leurs revenus grâce à l'inflation, on table sur la stupidité des contribuables en les taxant de manière indirecte ou opaque. 

Concrètement, que reste-t-il des 50 milliards d'économies qu'on nous annonce depuis janvier 2014 ? Comment devaient-ils être financés et à quelles mesures indispensables pour y parvenir Manuel Valls a-t-il d'ores-et-déjà renoncé ? Quelles ont été les grandes étapes de ce renoncement ?

Jacques Delpla :Il ne reste que quelques petits milliards… Je pense que le gouvernement n’a pas mesuré le choc politique de ces annonces. Avec 15 % de popularité et une majorité divisée il n’y aucune condition politique pour réaliser une baisse massive des dépenses. Rappelons que dans le programme politique de François Hollande cette question n’était pas évoquée.

Natacha Valla : Dans le texte, le gouvernement n’a pas cédé sur les dépenses. Sur les fameux 50 milliards d’économies, une bonne vingtaine se concentre sur l’exercice 2015, répartis pour moitié sur les régimes sociaux, et pour le reste sur des moindres dépenses de l’Etat, des opérateurs et des collectivités locales. L’effort n’est pas révolutionnaire, mais il est incontestablement conséquent. Il y a finalement une certaine habileté à rester inflexible sur les économies : si les recettes prévues sont au rendez-vous, les économies devraient dégager des marges de manœuvre pour réduire la pression fiscale bien trop élevée en France. La plupart des économistes considèrent que le pays aurait beaucoup à gagner si celle-ci était ramenée à la moyenne des pays de l’OCDE. Et pourtant, même si le cap est tenu sur les dépenses, le gouvernement risque de se retrouver assez démuni face aux risques qui pèsent du côté de ses recettes : avec une conjoncture atone, un emploi du secteur privé mal en point, et une inflation limitée, les rentrées fiscales – cotisations, CSG – seront très probablement trop faibles pour éviter de laisser filer les déficits des régimes sociaux. Et il en va de même pour les recettes qui financent les dépenses de l’Etat.

Gilles Saint-Paul : Je pense que la logique qui va prévaloir consistera à réutiliser dans une certaine mesure les économies qui sont faites au profit de ce que le PS considère comme son électorat. Le gouvernement essaye donc de ménager la chèvre et le chou pour faire des cadeaux à sa clientèle dans un contexte fiscal tendu : on ne touche pas à l'AME pour ne pas froisser le milieu associatif et les Verts, et on réduit les congés de maternité qui profitent aux classes moyennes laborieuses. On gèle les rémunérations des fonctionnaires, mais on supprime la première tranche de l'IR. Je doute que cette stratégie soit suffisamment lisible pour récupérer des voix. On peut d'ailleurs s'interroger sur la capacité du PS à récupérer "l'électorat populaire", qui est par ailleurs affecté négativement par de nombreuses mesures implémentées depuis 2012, de la suppression de l'abattement fiscal sur les heures supplémentaires aux nouvelles rigidités qui concernent le logement, les CDD ou le travail à temps partiel, en passant par la hausse de la TVA et celle prochaine de la fiscalité sur le gazole.

En ce qui concerne l'impact de ces renoncements sur les finances publiques, il est probable que les cadeaux catégoriels vont se multiplier au fur et à mesure que 2017 approche. Si l'inflation redémarre comme le souhaite le gouvernement, il devra sans doute affronter une grogne des fonctionnaires et on peut penser qu'il finira par lâcher sur leur pouvoir d'achat avant les élections de 2017. Au total il y aura sans doute fort peu d'économies, comme en témoigne la persistance de déficits élevés depuis 2012, ceci malgré la hausse considérable de la fiscalité. 

Manuel Valls, qui veut se laisser encore un peu de temps, ne peut pas se permettre d'aller au clash avec les frondeurs. Que réclament-ils et quelles conséquences sur le budget s'il cède au moins en partie ?

Jacques Delpla : Il va céder. Les frondeurs ont tort sur le fond de croire qu’on peut financer l’Etat providence sur les déficits. S’ils ne veulent pas d’austérité à moyen terme il faut qu’ils deviennent sociaux-démocrates comme les Scandinaves. Ils travaillent paradoxalement à la destruction de l’Etat providence et ils font le lit de la privatisation du système social. 

Natacha Valla :Les frondeurs ont souhaité un nouveau contrat de majorité. De façon strictement budgétaire, celui-ci semble signifier une réorientation européenne mettant fin aux politiques d’austérité. Ce point-là semble être acquis – en tous cas la France a clairement signifié ses intentions à Bruxelles. Nous verrons quelles en seront les conséquences.Quant à concentrer les marges de manœuvre de la France sur l’emploi, l’investissement, la formation : autant de réformes structurelles qui font de plus en plus consensus sur la scène européenne. Mais ne mélangeons pas tous les débats : elles peuvent être menées à bien dans le respect d’une saine gestion des comptes publics.

Gilles Saint-Paul : Je ne crois pas que les frondeurs iront au clash, et même si cela est le cas il y aura suffisamment de défections dans leurs rangs pour conserver au gouvernement sa majorité. Mon impression est que les frondeurs sont en désaccord avec la politique conjoncturelle du gouvernement, qu'ils considèrent comme dictée par Bruxelles et Berlin et comme un facteur de récession. Ils veulent donc un nouveau round de hausse des dépenses publiques fondée sur une logique keynésienne. Avec une soi-disant austérité qui nous place à 4.3 % de déficit au moins et des dépenses publiques qui augmentent quasiment de un point par an et atteignent le niveau record de 57 % du PIB, on peut affirmer que le gouvernement ne dispose d'aucune marge de manoeuvre pour relancer l'économie au moyen de la politique budgétaire. La politique prônée par les frondeurs conduirait à une catastrophe rapide.

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