Alerte aux retraites : pourquoi les cadres pourraient bien être en train de cotiser pour rien <!-- --> | Atlantico.fr
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Les cadres pourraient bien être en train de cotiser pour rien.
Les cadres pourraient bien être en train de cotiser pour rien.
©Reuters

Au bord du gouffre

Si rien n'est fait, l'organisme qui gère les pensions de retraites des cadres n'aura en 2018 plus assez de réserves pour les payer intégralement.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Le régime des cadres est de plus en plus en difficulté. En juillet dernier, l'organisme gérant les retraites complémentaires des cadres, l'Agirc avait annoncé un déficit record de 1,4 milliards d'euros pour 2013. Comment expliquer cette situation ? Quelle en est la gravité ?

Philippe Crevel : La situation est d’une simplicité biblique. Le nombre de retraités augmente avec le vieillissement de la population. A cette évolution naturelle, il faut y adjoindre un effet de cohorte. Les retraités des plus anciennes générations avaient des pensions réduites car ils n’avaient peu cotisé, les régimes complémentaires ayant été institué en 1947 pour l’AGIRC et en 1961 pour l’ARRCO. Leur généralisation à tous les salariés est assez récente car elle date du début des années 70. Les retraités des générations 20 et 30 sont au fur et à mesure remplacés par de jeunes retraités issus du baby-boom qui ont, de ce fait, cotisé aux régimes complémentaires durant toute leur vie professionnelle et dont les pensions complémentaires sont donc plus importantes. Dans les années 50 le nombre de cadres était faible ; leur montée en puissance s’est réalisée à partir de la fin des années 60. Cette transformation démographique de la société française est également une des raisons de la dégradation des comptes de l’AGIRC.

Actuellement, les dépenses de l’AGIRC s’élèvent à plus de 21,7 milliards d’euros quand les recettes ne s’établissent qu’à 19,1 milliards d’euros. Le déficit s’accroit d’autant plus rapidement que le chômage augmente. Logiquement, Pôle Emploi est censé verser les cotisations des demandeurs d’emploi cadres ; or ce n’est pas le cas. L’arriéré de paiement est de plusieurs milliards d’euros.

L’aggravation de la situation financière est préoccupante pour les cadres car les pensions complémentaires représentent plus de 50 % du montant de leur pension. C’est donc une grande partie de leurs revenus qui est menacée.

Les réserves de l'organisme seront épuisées dès 2018. Quelles en seraient les conséquences concrètes pour les cadres ?

Les régimes complémentaires ne peuvent pas, en l’état actuel de la réglementation, être en déficit. Jusqu’à maintenant, l’AGIRC comme l’ARRCO ont puisé dans leurs réserves pour effacer leur déficit d’exploitation appelé technique. A partir du moment où il n’y aura plus de réserve, les deux régimes devront prendre des mesures radicales pour revenir à l’équilibre. Deux solutions existent, augmenter les cotisations et réduire les dépenses. Il s’agira plutôt d’amplifier un processus engagé depuis plus de 20 ans. Le rendement des régimes AGIRC et ARCCO a fortement baissé depuis 1993.

Les syndicats et le patronat qui dirigent l'Argic, avaient alors pris une série de mesures, dont le gel des pensions, pour rétablir les comptes. Mais l'Argic plonge toujours dans le rouge. Comment fonctionne ce régime spécifique de retraite ?

Les régimes complémentaires sont des régimes par points avec un prix d’acquisition et un prix de restitution au moment de la liquidation des pensions. Une fois liquidées, les pensions sont actualisées en fonction des règles décidées par les partenaires sociaux qui gèrent les régimes. L’acquisition des points par les salariés s’effectue à partir des cotisations salariales et employeurs sur les salaires. Avec la montée du chômage et avec la stagnation des salaires, les recettes des régimes de retraite complémentaire sont insuffisantes face à la montée inexorable des dépenses. L’absence d’inflation complique un peu plus la donne en réduisant le montant facial des cotisations. Les mesures prises par François Hollande de faciliter le départ à la retraite dès 60 ans n’a pas amélioré la situation. En l’état actuel, le déficit de l’AGIRC et de l’ARCCO est amené à se creuser assez fortement si la conjoncture ne s’améliore pas rapidement.

Dans le cadre du dernier accord datant de 2011, les partenaires sociaux avaient prévu de ne plus actualiser le montant en fonction de l’inflation. Dans les faits, depuis 2013 et jusqu’en 2015, la valeur des points est gelée. Ils avaient prévu également de modifier les valeurs d’acquisition. Les décisions prises en 2011 portaient sur 5 milliards d’euros. Compte tenu de la situation économique, il faudrait doubler la mise.

Pour sauver le système, les partenaires sociaux s’orientent vers un recul de l'âge de la retraite à 65 ans. Le Medef recommande de réaliser des abattements sur les pensions complémentaires des assurés souhaitant partir à la retraite avant 67 ans. Cette mesure peut-elle être efficace ? Comment se mettrait-elle en place concrètement ?

Les partenaires sociaux doivent, d’ici la fin du mois de juin 2015, conclure un nouvel accord qui comportera plusieurs mesures d’ajustement. Comme pour les précédentes négociations, le MEDEF avancera l’idée de ne verser les pensions complémentaires qu’à partir de 65 voire 67 ans.

Les régimes AGIRC et ARRCO n’ont jamais réellement intégrés le principe de la retraite à 60 ans. En effet, en 1982, la décision d’avancer l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 60 ans pour les régimes de base s’est appliqué, par défaut et contre l’avis du CNPF de l’époque, aux régimes complémentaires qui ont dû prendre en charge le surcoût. A cet effet, il a été créé une contribution spéciale appelée AGFF qui permet de financer en partie les pensions versées entre 60 ans (progressivement 62 ans) et 65 ans (progressivement 67 ans). Ce système de compensation n’a jamais été pérennisé et fait l’objet de renégociation périodique. Le terme du précédent accord intervenu en 2011 est le 31 décembre 2017. A chaque renouvellement, le MEDEF menace de ne pas signer avec conséquence une chute potentielle des pensions de plus de 15 %.

Si l’accord AGFF était remis en cause partiellement ou totalement, cela signifierait que les salariés partant avant l’âge de la retraite (65 voire 67 ans) subirait une décote en fonction du nombre de trimestres manquant. Jusqu’à maintenant, les gouvernements ont toujours obtenu un accord en menaçant d’imposer par la loi le versement des retraites complémentaires à partir de 60 ans.

Quelles autres mesures permettraient de sortir du rouge ?

De nombreuses pistes sont à l’étude par les partenaires sociaux afin de réduire la dérive financière.

Au niveau de l’organisation, il est fort probable que l’AGIRC et l’ARRCO soient fusionnés à plus ou moins court terme. Cette fusion permettra quelques économies de gestion mais sans rapport avec les sommes à trouver.

Il est également évoqué la possibilité de faire cotiser à l’AGFF les cadres sur la tranche C de salaire, c’est-à-dire le montant de salaires dépassant 12 516 euros. Cette mesure ne peut à elle seule équilibrer les comptes de l’AGIRC mais devrait servir à atténuer des mesures impopulaires comme la hausse des cotisations, la remise en cause des droits à réversion ou l’augmentation du taux d’appel.

Les entreprises s’opposeront à l’augmentation des cotisations au nom du pacte de responsabilité. Les actifs salariés risquent de payer une grande partie de l’augmentation ce qui signifie une perte de pouvoir d’achat.

Le taux d’’appel de cotisation pourrait être modifié. Aujourd’hui, le taux d’appel est de 125, c’est à dire que 125 euros de payé, seulement 100 servent à acquérir des points. Le taux d’appel pourrait être porté à 130.

Les règles de la réversion pourraient être revues. L’âge de versement de la réversion pourrait être aligné à 60 ans pour les deux régimes. Le taux de la réversion pourrait être diminué à 50 % au lieu de 60 % actuellement.

A terme, la valeur du point de rachat, celui servant à calculer les pensions pourrait être diminuée. Par ailleurs, il est fort probable que l’arme du gel des pensions complémentaires soit fréquemment utilisée dans les prochaines années.

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