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Alain Juppé a dévoilé dimanche soir les grandes lignes de son projet.
Alain Juppé a dévoilé dimanche soir les grandes lignes de son projet.
©Reuters

Echiquier politique

Candidat à la prochaine présidentielle, Alain Juppé a dévoilé dimanche soir les grandes lignes de son projet, évoquant notamment la politique économique.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Atlantico : Dans une interview accordée à l’Express en septembre 2013, Alain Juppé déclarait souhaiter en finir avec les 35 heures "par la négociation collective entre partenaires sociaux afin de fixer une durée conventionnelle par branches". En quoi cette déclaration prouve que tous les principaux dirigeants de la droite souhaitent désormais en finir avec ce marqueur de gauche ? De même, le maire de Bordeaux se dit favorable à un recul de l’âge à la retraite sans toutefois donner d’âge légal. Comment analyser cette déclaration ?

Jean-Marc Daniel : D’une manière générale, Alain Juppé, en bon inspecteur des finances, reprend les idées assez communément répandues sur les réformes à entreprendre. Si on prend un peu de recul sur ces deux mesures spécifiques, on doit faire deux réflexions. La première est le constat que la réserve de croissance de l’économie française, faute de réels progrès de productivité, est dans l’allongement du temps de travail. Ce constat ne concerne pas que l’économie française et tous les pays développés s’orientent de plus en plus vers cette voie. Cet allongement peut prendre divers modalités (vie active plus longue, semaine de travail plus longue...) La seconde tient justement à l’analyse de ces modalités. En effet, il faut bien comprendre que l’idée d’une durée du temps de travail hebdomadaire mais aussi d’une durée de vie active rigides est dépassée. Or comme cette seconde idée n’est pas vraiment partagée par les syndicats, renvoyer la réforme à la négociation collective est la renvoyer à des palabres sans fin. Sur les 35h, la droite ne cesse de les dénoncer mais quand elle est aux affaires, elle ne prend aucune mesure pour les remettre fondamentalement en cause et surtout pour aborder le problème de l’organisation du travail sous un angle différent.

Alexandre Delaigue :C’est une position que l’on retrouve dans les discours mais dans la pratique cela devient assez vite un cauchemar logistique. Nicolas Sarkozy voulait le faire et dans les faits il a vidé les 35 heures de sa substance avec la défiscalisation des heures supplémentaires. En pratique cela n’a pas changé grand-chose toutefois. C’est beaucoup plus un marqueur idéologique et une invocation symbolique. On peut faire aussi faire le parallèle avec l’autorisation administrative de licenciement crée en 1976 et interdite en 1987. La réalité, c’est que les entreprises françaises ne sont pas prêtes à prendre ce genre de mesures car nous n‘avons pas le système qui permette de le faire et les syndicats ne sont représentatifs comme en Allemagne. Si jamais Alain Juppé mettait fin aux 35 heures, il se heurterait très vite à des grandes difficultés et cela serait donc assoupli.

Sur les retraites, c’est là aussi une position bien plus consensuelle qu’on peut l’imaginer. Tout le monde pense que le système de retraite va nécessiter un relèvement de l’âge légal de départ. Tous les gouvernements sont confrontés à un moment donné à cette question et en fonction des perspectives ils peuvent augmenter ou diminuer l’âge légal de départ à la retraite. Ce qui est moins consensuel en revanche c’est de le dire à l’avance. La gauche le pense aussi mais a plus de mal à le dire que la droite. Il faut aussi rappeler que les personnes âgées constituent l’essentiel de l’électorat de droite. Remonter l’âge de départ à la retraite c’est bien car les futurs retraités seront touchés mais pas les actuels, donc le gouvernement qui met en place cette mesure n’a pas de possibilité d’aller extrêmement loin. La vraie réforme difficile à faire, c’est de s’attaquer aux régimes spéciaux.

Toujours dans l’Express, Alain Juppé disait vouloir "transférer une partie de la fiscalité qui pèse sur la production et sur les autres entreprises vers d’autres impôts, comme la TVA". Lorsqu’il était Premier ministre, son gouvernement avait augmenté les impôts et les taxes de 8 milliards d’euros. Comment peut-on résumer sa politique en matière de fiscalité ?

Jean-Marc Daniel : On retrouve là encore une vieille idée visant à transférer des impôts sur la TVA avec en arrière pensée l’idée que ce transfert aurait un impact économique analogue à une dévaluation. Les rapports se sont multipliés pour souligner le caractère plutôt vain de ce genre de mesures. Il ne faut pas ignorer en effet que toute hausse de la TVA est une ponction sur le pouvoir d’achat. Et la faible inflation qui nous caractérise est contrairement au discours ambiant une bonne nouvelle car dans une période de régression économique, elle est le seul élément qui évite que les Français ne s’appauvrissent trop. Il faut baisser les impôts des entreprises mais en baissant les dépenses publiques.

Alexandre Delaigue : Là encore la TVA sociale est un vieux serpent de mer à droite mais aussi à gauche. Baisser les cotisations qui pèsent sur les salaires et augmenter la TVA en échange a une efficacité assez limitée ? C’est ce qu’a fait le gouvernement actuel et on ne peut pas dire que cela ait donné des résultats très brillants. Nous ne sommes pas l’Allemagne… La TVA sociale est une mesure qui ne mange pas de pain car elle est assez consensuelle dans l’électorat de droite et du centre.

A la veille de la réforme territoriale, le maire de Bordeaux souhaitait la suppression des départements pour la création d’un duo intercommunalités/ "régions performantes", comme le souhaite notamment Manuel Valls. Qu’est-ce que cela révèle de sa vision en matière de réduction des dépenses publiques ?

Jean-Marc Daniel : Rechercher l’efficacité administrative et une meilleure performance publique est évidemment plus que nécessaire. Cela dit, l’enjeu est moins la carte administrative en tant que telle que le contenu des responsabilités conférées à chaque échelon. Le bon mot en la matière est "subsidiarité" : que chaque échelon ait un champ de compétence bien défini et qu’il s’y cantonne.

Alexandre Delaigue : Cette proposition doit lui rappeler le bon vieux temps où il faisait des dissertations à l’Inspection des finances. La disparition des départements et la création de grandes régions modernes via un redécoupage, ce sont des "grandes idées" qui faisaient des bons sujets à l’Inspection des finances… Il faut plus voir les choses dans cet ordre-là.

Dans une interview croisée avec Michel Rocard accordée au Parisien Magazine en avril 2013, Alain Juppé se prononçait pour "investir massivement dans les filières susceptibles de créer des emplois" comme "la filière écologique, le numérique ou les services à la personne". Des propos confirmés sur son blog dimanche soir, où il évoque la question du "progrès scientifique et technique". L’ancien Premier ministre se démarque-t-il des autres leaders de droite sur ce sujet ? La question du "progrès" évoquée un moment par Nicolas Sarkozy peut-il être un thème de campagne en 2017 ?

Jean-Marc Daniel :Alain Juppé reprend là encore le discours dominant. L’enjeu en fait est de savoir qui doit investir dans ce genre d’activités. En Angleterre, David Cameron répète aux entreprises que ce qu’il va faire pour les aider à se développer et à investir, c’est de les oublier. On ne relancera l’investissement productif que si on laisse la liberté d’entreprendre avoir tout son sens. Ce sont les entreprises qui portent le progrès technique et la proposition de Juppé a du sens s’il envisage ces nouvelles activités hors du cadre public.

Alexandre Delaigue :Au risque de me répéter, ces propositions ne mangent pas beaucoup de pain… Rappelons que Nicolas Sarkozy avait fait le Grenelle de l’environnement même s’il s’en est un peu éloigné par la suite… Avec ce genre de mesures Alain Juppé est dans une vision qui se rapproche du gaullisme traditionnel, celui des grands projets et des grands investissements de l’Etat même si on est moins doué pour faire ça maintenant. Ce n’est pas sur ce genre de sujet qu’on peut être clivant, c’est très consensuel… Rappelons aussi qu’Alain Juppé a viré Alain Madelin quand il était à Matignon car il a jugé que son ministre était trop clivant. L’ancien Premier ministre garde cette idée qu’être trop libéral ça ne marche pas en France.

Lors de son passage à Matignon entre 1995 et 1997, l’ancien Premier ministre gèle les prestations familiales pendant un an et échoue à supprimer les avantages des régimes spéciaux des retraites. Vingt ans après, Alain Juppé pourrait-il mener une politique similaire qui avait à l’époque suscité des rejets ? En quoi peut-on dire que le Alain Juppé des années 90 et celui des années 2010 est-il différent ?

Jean-Marc Daniel :Alain Juppé a courageusement assumé en tant que premier ministre une politique de redressement des comptes publics. C’est à souligner car c’est rare. Cette politique a certes suscité des rejets, mais elle a surtout été sabotée par les décisions et les reculades de Jacques Chirac, alors président de la République. Devenu président, Juppé n’aurait plus cette épée de Damoclès. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se leurrer. Vu la situation d’endettement de l’Etat et celle de la Sécurité sociale, tout président, quel qu’il soit, est et sera dans l’obligation de mener une politique d’austérité.

Alexandre Delaigue :La société française n’est plus la même qu’à l’époque en termes d’acceptation des réformes comme on le voit avec celle des retraites. Alain Juppé a vingt ans de plus, il a plus de bouteille aussi et de la prudence qui s’explique par son expérience du pouvoir. On peut aussi faire un parallèle entre le Jacques Chirac de 1986 et celui de 1995 avec un recentrage important qui lui a permis d’être élu et de gommer les aspérités.

Début septembre dernier, Alain Juppé se définissait comme "libéral, social et gaulliste". Où peut-on finalement le classer en matière de politique économique ? 

Jean-Marc Daniel : Il est clairement au centre droit. En France personne n’ose s’afficher libéral, malgré les échecs à répétition des politiques interventionnistes et des relances fondées sur la dépense publique. ll se targue en outre d’être gaulliste. On connaît la formule "Tout le monde a été, est ou sera gaulliste". Elle est toujours d’actualité car le mot ne veut plus rien dire. De Gaulle, Jaurès, autant de figures du passé dont on parle beaucoup pour mieux oublier le vide intellectuel du moment.

Alexandre Delaigue : En économie il existe une idée, il faut essayer de se placer chez l’électeur médian et cela tombe bien c’est cet électorat qu’Alain Juppé essaye de séduire ce qui n’est pas un positionnement stupide. Si vous êtes trop centriste en disant par exemple qu’on n’est pas contre des réformes sociétales vous allez vous aliénez les électeurs trop à droite alors que si vous êtes trop à droite vous allez vous aliénez les autres. C’est un peu comme lors de la primaire socialiste : François hollande a réussi à gagner car il était au milieu, entre d’un côté Manuel Valls à droite et Martine Aubry et Arnaud Montebourg plus à gauche.  

La stratégie d’Alain Juppé est un peu la même. Il a une image de vieux sage à l’UMP, il est relativement âgé et il veut se positionner sur ce côté consensuel. On voit avec ses propositions qu’il essaye de se placer sur ce qui fait consensus sans essayer de cliver. Il donne suffisamment de gages à la droite de l’UMP mais sans être trop engagé non plus. C’est une stratégie électorale bien définit et logique surtout face à Nicolas Sarkozy. C’est une logique de marketing électoral beaucoup plus qu’une logique de contenu. La règle de base de l’analyse économique de la politique c’est que les politiques choisissent un programme pour être élu au lieu de choisir d’être élu pour appliquer un programme. Alain Juppé est dans la très grande tradition de l’UMP chiraquienne qui consiste à vouloir apaiser la société française, à faire peu de mouvement et à tenter de mettre en place une politique industrielle. Il se positionne à la fois comme libéral et comme social, c’est la carpe et le lapin.

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