Ce malaise dans l’agriculture française qu’on a réduit aux Bonnets rouges et qui était en réalité bien plus profond<!-- --> | Atlantico.fr
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Il existe un profond malaise chez les agriculteurs.
Il existe un profond malaise chez les agriculteurs.
©Reuters

Les maux des agriculteurs

Il existe un profond malaise chez les agriculteurs, que l’on a trop souvent tendance à expliquer exclusivement par le facteur économique. Devant sans cesse justifier ce qu’ils font en termes réglementaires et administratifs, ils se sentent dépossédés de leur fonction première, qui est le travail de la terre.

Dominique Jacques-Jouvenot

Dominique Jacques-Jouvenot

Dominique Jacques-Jouvenot est professeur de sociologie à l’université de Franche-Comté. Elle est l’auteur de nombreuses publications portant sur le monde agricole, dont "Pauvreté sociale et  suicide collectif des agriculteurs  français" (en collaboration avec S. Guigon, 2009).

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Atlantico : Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a reçu aujourd'hui les producteurs de légumes, dont certains ont fait parler d'eux à Morlaix dans la nuit du vendredi 19 septembre en s'attaquant à des bâtiments publics. En quoi cet événement illustre-t-il la colère rampante des agriculteurs français ? Jusqu'à quel point se sentent-ils pris à la gorge au plan financier ?

Dominique Jacques-Jouvenot : C'est un mode de revendication devenu assez classique au sein de la paysannerie. Les répliques violentes ne sont pas étonnantes du point de vue des producteurs agricoles français. Cela traduit un sentiment d'impuissance, de ras-le-bol, que l’on rencontre peu dans les autres catégories socioprofessionnelles. Lorsqu’ils disent qu’ils éprouvent des difficultés à survivre à partir leur travail, on peut les croire, il suffit de regarder leurs niveaux de revenus. Je pense néanmoins que ce n’est pas le seul facteur explicatif de la revendication violente.

Les contraintes fiscales et administratives poussent les bonnets rouges bretons à "reprendre les armes". Peuvent-ils prétendre porter le message de l’ensemble des agriculteurs français ?

Tous les agriculteurs ne se trouvent pas dans la même situation, des différences de revenus importantes ont toujours existé entre les différents groupes d’agriculteurs, mais on sait aussi que le syndicat majoritaire FNSEA fait comme si ces différences n’existaient pas. Sans condamner les incidents de Morlaix, ils ont dit "comprendre" les réactions des producteurs de légumes. Ce type d’événement est toujours repris par le syndicalisme pour faire passer l’idée selon laquelle tous les agriculteurs sont dans la même situation.


Cela traduit autre chose que de simples difficultés économiques. Les rapports des agriculteurs à l’administration et aux institutions sont compliqués, ils ont l’impression de manière générale que les fonctionnaires de l’agriculture coûtent cher à la profession. C’est le sens à donner à l’attaque sur des bâtiments : ils en ont assez de payer des gens qui travaillent à leur faire passer plus de temps à remplir des tâches administratives qu’à cultiver la terre ou élever les bêtes.

La crise que traversent les agriculteurs français est-elle identitaire ?

La crise est identitaire, bien sûr. Ils ne savent plus ce qu’ils font, ne voient plus quel est le cœur de leur métier. Ils ont choisi ce métier parce qu’ils en ont hérité mais également parce qu’ils en ont la passion. Fatalement, ils constatent que le métier, entre leurs parents et eux, a considérablement changé : ils doivent passer un temps fou assis à leur bureau à remplir des papiers dont ils ne sont pas sûrs qu’ils soient complets, à craindre des pénalités si toutes les formalités ne sont pas remplies, etc. On constate cela à Morlaix comme ailleurs. Des exploitants qui ne connaissaient pas de problèmes économiques majeurs se sont suicidés, en partie parce qu’ils ne se reconnaissaient plus dans leur profession.

L’économie ne serait donc pas la seule raison de la colère des agriculteurs ?

J’émets l’hypothèse selon laquelle l’argument économique existe, certes, mais est utilisé comme un écran pour masquer autre chose. Il est difficile de reconnaître que l’on est débordé par les nouvelles technologies, que l’on ne sait plus où donner de la tête face à surabondance de formulaires. S’ils le reconnaissaient ouvertement, cela reviendrait à reconnaître un certain manque de compétence. Ils sont les champions de la production et de la technique, mais ce ne sont plus ces compétences qui aujourd’hui sont valorisées.


Le désenchantement par rapport au métier est très fort. Ils éprouvent un sentiment d’échec, renforcé par la crise des successions. Beaucoup sont issus de plusieurs générations d’agriculteurs, et ils resteront ceux qui n’auront pas transmis l’héritage. Le fait de se sentir comme le dernier maillon est particulièrement dure à vivre.

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