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Plus que 32% des ménages français imposés sur le revenu : analyse historique de la façon dont la fiscalité modèle les structures politiques
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Retour au censitaire ?

Si le projet du gouvernement de faire sortir 9 millions de foyers fiscaux de l'impôt sur le revenu devait se réaliser, ce ne se serait plus 57, mais 32 % des ménages qui s'en acquitteraient. De quoi alimenter frustrations et ressentiments.

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram est historien et spécialiste de la politique fiscale en France.

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Olivier Pluen

Olivier Pluen

Olivier Pluen est Maître de conférences en droit public à l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane). Prix de l'Ordre des avocats aux Conseils. Il est l’auteur de L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?

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Atlantico : Alors qu'en 2012, 10 % des ménages s’acquittaient déjà de 70% de l’impôt sur le revenu, le gouvernement a déclaré que 9 millions de foyers fiscaux seront concernés par la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu annoncée par le Premier ministre. Quels défis une telle répartition de la charge fiscale impose-t-elle au régime démocratique ?

Frédéric Tristram : D’abord, il faut tordre le cou à une idée reçue : tout le monde paie des impôts en France et beaucoup d’impôts, puisque le taux de prélèvement obligatoire atteint aujourd’hui entre 46 et 47%, ce qui constitue un record, le précédent pic se situant en 1999 autour de 45%. Et tout le monde ou presque paie des impôts sur le revenu, que ce soit au travers de la CSG, qui touche à peu près la totalité des revenus, y compris certains revenus de remplacement comme les retraites, au travers des cotisations sociales qui concernent les revenus d’activité et, on l’oublie parfois mais c’est important, au travers de la taxe d’habitation qui, par le biais d’un plafonnement à 3,44% du revenu imposable, est devenue, pour la moitié des contribuables locaux, un véritable impôt sur le revenu.

En revanche, c’est une spécificité française, seule une grosse moitié de foyers fiscaux (21 millions sur 37) acquittent l’impôt progressif sur le revenu. C’est en grande partie un héritage du passé. Cet impôt a été conçu en 1914 comme un impôt de superposition, un"impôt sur les riche", qui frappait une minorité de contribuables et était chargé de rééquilibrer un système fiscal reposant en grande partie sur des impôts proportionnels ou dégressifs, en particulier sur la consommation. L’IR a conservé jusqu’ici ces traits originels : forte concentration sur un petit nombre de contribuables et rendement relativement modeste, de l’ordre de 77 milliards d’euros en 2013 contre environ 90 milliards pour la CSG et presque 200 milliards pour la TVA. Il est vrai cependant que sur le court terme et sans que cela ne remette en cause la structure globale du prélèvement, le montant de l’IR a tendance à augmenter très vite, puisqu’il n’était encore que de 50 milliards en 2011 et 60 milliards en 2012, d’où sans doute un sentiment d’étranglement chez les contribuables des tranches moyennes et élevées.

Est-ce gênant que l’impôt progressif ne pèse que sur une partie des contribuables ? Dans l’absolu non si l’on tient compte de son caractère correctif : si l’objectif est de réintroduire de la progressivité dans le système, il n’est pas besoin de frapper tout le monde. Dans la pratique, oui. D’abord parce que cet impôt pose d’énormes problèmes techniques qui finissent par jouer sur sa répartition entre les contribuables. Ensuite et surtout parce que cette situation est de moins en moins acceptée par l’opinion publique et votre question en témoigne : une partie des contribuables a le sentiment de payer pour les autres. Or, en matière fiscale, les représentations ont au moins autant d’importance que la réalité.

Olivier Pluen : La France traverse une période de crise économique importante, caractérisée par la nécessité pour l’État de réduire les déficits, en procédant à des économies et en faisant contribuer les administrés à cet effort. Parmi ces efforts, la question des prélèvements obligatoires occupe une place importante et, de fait, la pression fiscale s’est accrue au cours de ces dernières années. Dans ce contexte, l’annonce faite par le Gouvernement est susceptible de créer un "sentiment de rupture d’égalité" au sein de la population, entre une partie qui se trouve contrainte de contribuer plus que par le passé à cet effort national, et une autre qui, malgré ce contexte, semble être déchargée de toute participation en la matière. La répartition de la charge fiscale soulève ainsi la question d’une remise en cause de cette pierre angulaire de la démocratie française qu’est l’égalité.

Pour autant, deux nuances doivent être ici apportées. La première tient au fait que les ruptures d’égalité "formelle" sont admises en droit français, notamment dès lors qu’elles visent à régir des situations différentes ou qu’elles cherchent à favoriser une égalité "réelle". D’ailleurs, l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui fait partie intégrante du droit positif, admet une telle rupture en matière fiscale : "Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". Saisi du projet de loi supprimant cette première tranche de l’impôt sur le revenu, le Conseil constitutionnel ne censurera cette mesure que s’il juge celle-ci disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, sachant qu’il estime ne pas disposer d’un pouvoir d’appréciation identique à celui du Parlement. La seconde nuance tient au fait que l’impôt sur le revenu n’est synonyme ni de prélèvement obligatoire ni d’impôt. Il en existe bien d’autres. Par exemple, non seulement les administrés exemptés restent soumis à des impôts indirects tels que la TVA, mais une partie contribue également d’une certaine façon, par l’exercice d’une activité professionnelle, à d’autres impôts directs comme l’impôt sur les sociétés.

Et plus précisément, comment jugez-vous l’annonce qui vient d’être faite de supprimer la première tranche du barème ?

Frédéric Tristram : Je pense que c’est une mauvaise mesure. Justement parce qu’elle vient encore renforcer ce sentiment de concentration de la charge fiscale pour les uns, d’assistance pour les autres. Elle divise là où il faudrait au contraire renforcer la cohésion sociale pour rendre l’impôt plus acceptable.

Ensuite parce qu’elle nous éloigne d’une réforme souhaitable de l’impôt sur le revenu dont il faudrait d’ailleurs préciser les contours mais qui passe indiscutablement par une prise en compte de la totalité des impôts sur le revenu et non pas seulement de l’impôt progressif. D’autant que François Hollande avait fait de cette grande réforme un des axes de sa campagne présidentielle et que le sujet, après avoir il est vrai été éclipsé pendant plus d’un an et demi, avait été relancé en grande pompe par Jean-Marc Ayrault en novembre 2013. Dès lors se pose un grave problème de lisibilité et de cohérence de l’action publique.

Enfin, si le projet du gouvernement avait été de redonner du pouvoir d’achat aux catégories modestes - objectif louable en soi - il aurait mieux fait de baisser le taux de la CSG qui pèse sur les petits revenus d’activité et qui est aujourd’hui de 7,5% sans aucun abattement. Et reste la question du coût de la mesure, estimé à 3,3 milliards d’euros et qui ne peut, compte tenu du taux de prélèvement déjà très élevé, être transféré à d’autres contribuables. Ici comme ailleurs, la solution passe par une baisse des dépenses publiques, malheureusement toujours promise et jamais acquise.

Dans le monde, et au cours de l'histoire, quels types de régimes ont tendance à privilégier des systèmes fiscaux auxquels une minorité de la population contribue ?

Frédéric Tristram : Je le répète : tout le monde paie des impôts et je ne connais aucun exemple à l’époque contemporaine où seule une minorité contribuerait. Reste à connaître la répartition du prélèvement entre les différentes couches de la population. En d’autre termes, le système de prélèvement est-il progressif, proportionnel ou dégressif ? En réalité, il n’y a pas de réponse simple à cette question. Dans leur ouvrage de 2011, Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez proposent un résultat intéressant mais qui repose sur certaines conditions peut-être discutables (par exemple, la prise en compte de cotisation sociales contributives comme les cotisations retraite).

Encore ne s’agit-il que d’un résultat partiel. Il faudrait encore élargir le débat et considérer, non seulement le prélèvements mais aussi ce qu’en fait l’Etat, c’est à dire de mesurer le caractère redistributif ou non des dépenses et des recettes publiques. Disons-le tout net, l’exercice est presque impossible. Appliqué à des politiques particulières, le calcul offrirait d’ailleurs des résultats surprenants : la gratuité de l’enseignement supérieur public est probablement contre-redistributive, compte tenu de la composition sociale des étudiants... Et que dire du ministère de la Culture !

Mais au-delà de ces exemples particuliers, il faut prendre en compte un phénomène général : l’augmentation du prélèvement a changé la signification de la progressivité : ce n’est pas la même chose d’avoir un système fiscal très progressif à 25% de taux de prélèvement obligatoire et à 57% comme en France. Dans ce dernier cas, un système très progressif deviendrait confiscatoire. Aussi le développement de la dépenses publique et en particulier de la dépense sociale s’est accompagné de financement de plus en plus proportionnels. C’est ce qu’a bien montré une politologue américaine, Junko Kato dans un ouvrage paru en 2010, Regressive Taxation and the Welfare State. On en a un bon exemple en France avec la CSG.

Olivier Pluen : Il existe des États caractérisés par l’absence d’impôt sur le revenu. Tel est le cas de plusieurs monarchies du golfe (Bahrain, Émirats Arabes Unis,…) et de "paradis fiscaux" (Anguilla, Bermudes,…). L’application d’autres impositions peut alors donner le sentiment que seule une minorité contribue sur le plan fiscal, même si, encore une fois, il convient de rappeler que l’ensemble des impôts et prélèvements obligatoires ne se résume pas dans le seul impôt sur le revenu.

Comment le lien entre citoyenneté et contribution aux finances publiques a-t-il évolué au cours du XXe siècle ?

Frédéric Tristram : Par une acceptation de plus en plus nette de l’impôt. Et particulièrement en France. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, notre pays passait pour particulièrement rétif à l’impôt : il suffit de rappeler la difficulté de créer un impôt progressif sur le revenu en 1914, alors que nos principaux voisins, allemands ou britanniques disposaient de ce type d’impôt depuis plusieurs décennies. Puis, après 1945, on entre dans une phase d’apaisement fiscal, tout juste troublé par quelques révoltes très circonscrites et aux conséquences de long terme réduites, comme le poujadisme. Cette acceptation est paradoxale parce que la période correspond justement à une hausse importante du prélèvement. Elle a des explications multiples : la croissance économique, le relatif consensus dans les forces politiques dominantes, du communisme au gaullisme, en faveur d’un Etat interventionniste, le sentiment diffus "d’en avoir pour son argent".

Nous arrivons probablement à la fin de ce cycle, en raison des niveaux atteints par les prélèvements obligatoires. A 46 ou 47% de taux de prélèvement, l’acceptation s’érode. On le constate à travers des phénomènes de refus très divers, de l’épisode des «pigeons» aux bonnets rouges bretons ou au développement d’une économie parallèle dans les services à la personne.

Ce refus n’a d’ailleurs pas que des conséquences négatives : depuis le début des années 1980, la très large acceptation de l’impôt a été un frein à une bonne maîtrise des dépenses publiques. Pour des gouvernements de droite comme de gauche, la facilité était d’augmenter les impôts, pas de moduler les dépenses : ce temps là est probablement fini.

Olivier Pluen : Il paraît ici difficile de faire l’économie d’un retour sur les siècles précédents. Le paiement de l’impôt est à l’origine de la démocratie parlementaire et plus largement du développement des parlements face à la figure du monarque héréditaire. Au Royaume-Uni, la Magna Carta de 1214 fut ainsi l’acte par lequel les barons vinrent imposer leur consentement aux prélèvements royaux. Quatre siècles plus tard, le Bill of Rights de 1689 vint consacrer le principe du consentement à l’impôt et surtout la souveraineté du Parlement britannique au détriment de la personne royale. Un nouveau siècle plus tard, dans les colonies américaines, la fameuse « Boston tea party » est justement survenue au nom du principe, applicable dans la métropole britannique : « No taxation without representation ». La suite est connue : Déclaration des droits de l’État de Virginie, puis Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique de 1776, et enfin Constitution des États-Unis de 1787. La France a suivi, en 1789, avec la transformation d’une partie des États généraux – lesquels avaient été convoqués pour la première fois depuis 1610 pour consentir de nouveaux impôts – en Assemblée nationale. La Constitution de 1791, et la plupart de celles qui ont suivi jusqu’à la chute de la Monarchie de Juillet, érigeait une démocratie censitaire. Mais 1848 marque en France l’avènement définitif du suffrage universel. Le XXe siècle a été, en France, celui de l’approfondissement, avec la reconnaissance du vote des femmes en 1945, l’abaissement du droit de vote de 21 à 18 ans en 1974,…Ainsi, le XXe siècle s’est inscrit dans le sillon du demi-siècle précédent, avec une conception de la citoyenneté et du droit de vote envisagée moins comme une contrepartie du paiement de l’impôt que comme un « droit et un devoir civiques ».

Existe-t-il des exemples de pays qui ont vu leurs structures politiques évoluer parallèlement à une contraction du nombre des personnes imposables ?

Frédéric Tristram : Il faut parler, plutôt que de contraction du nombre des personnes, d’une concentration forte du prélèvement. Il y a des exemples en effet, dans les pays nordiques, de système fiscaux très progressifs et redistributifs. L’expérience suédoise est souvent citée. Il convient cependant de faire deux remarques sur la Suède. D’abord, le niveau élevé de la dépense et de la recette publique a pour corollaire une forme de discipline collective, en particulier en matière de protection sociale, qui jusqu’ici n’a pas été introduite en France. Surtout la Suède s’est engagée, depuis les début des années 1990, à l’initiative d’ailleurs des socio-démocrates, dans une réforme profonde de leur système, qui a conduit une baisse très sensible de la dépense publique et du niveau de prélèvement obligatoire... qui est aujourd’hui passé en dessous du taux français.

Olivier Pluen : Pour en rester à l’exemple français, le fait que le Tiers état supportait en 1788-1789 la réalité de l’impôt « pécuniaire », à l’inverse notamment de la Noblesse dont l’« impôt du sang » était devenu de plus en plus symbolique avec le temps, a précipité la fin de l’Ancien Régime et entraîné le bouleversement des structures politiques que l’on sait.

Ces changements dans les structures politiques sont-ils toujours visibles et assumés ou davantage insidieux ?

Frédéric Tristram : Votre question fait référence à un principe essentiel qui est la clarté et la lisibilité des systèmes de prélèvement. Il est d’ailleurs consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui précise que «tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée». Le Conseil constitutionnel a fait plusieurs fois application de ce texte pour censurer des dispositions fiscales trop compliquées, par exemple en 2005, pour le plafonnement des niches fiscales.

Pourtant, ce principe de base de nos démocraties libérales n’est pas bien respecté en France. C’est le cas en particulier pour l’impôt progressif sur le revenu, en raison justement des niches fiscales qui rendent totalement illisible sa répartition.

Olivier Pluen : La contraction du nombre des personnes imposables constitue généralement un phénomène progressif, susceptible de fluctuer selon la situation économique du pays concerné. Dans ces conditions, celui-ci va a priori d’abord se traduire par la montée en puissance de mouvements politiques désireux d’en tirer les conséquences sur les structures politiques. Le mouvement Tea Party aux États-Unis offre une illustration en ce sens.

En quoi l'exemple américain fournit-il à cet égard un éclairage intéressant ? Quelles formes de "privilèges" la participation accrue à l'effort national y confère-t-elle ?

Frédéric Tristram : Le meilleur exemple que l’on peut tirer des Etats-Unis, c’est celui de la réforme de l’impôt sur le revenu opéré par Ronald Reagan en 1986. Le président républicain a radicalement simplifié l’IR en supprimant les niches fiscales, très nombreuses aux Etats-Unis, et en réorganisant l’impôt autour de deux tranches à la progressivité modérée.

On peut toujours discuter sur le niveau du taux marginal, mais un grand impôt sur le revenu, intégrant l’ensemble de la population, avec une assiette très large et une progressivité modérée me semble le meilleur système, à la fois pour des raisons d’efficacité économique et de clarté démocratique. Quant au niches fiscales, elles sont un des facteurs principaux d’inégalité devant l’impôt et conduisent notamment à une dégressivité de l’IR, maintenant bien établie, pour quelques très hauts revenus. Mais si on peine tant à les supprimer en France, c’est qu’elles sont l’un des instruments privilégiés d’un interventionnisme tous azimuts de l’Etat dans l’économie... En réalité, une réforme libérale pourrait tout à fait être synonyme de justice fiscale.

Olivier Pluen : Aux États-Unis, l’imbrication entre politique et finance est très importante, et ce notamment lors des différents processus de désignation des candidats et élus politiques. Ainsi, la campagne présidentielle de 2012 aurait coûté 2,6 milliards aux camps du président démocrate sortant, Barack Obama, et de son concurrent républicain, Mitt Romney. Ce nombre est sans comparaison avec le coût de la campagne présidentielle en France la même année. La capacité des candidats et de leurs camps à lever des fonds constitue donc un atout majeur dans la perspective de l’accès à un mandat politique. En sens inverse, les contributions financières sous forme de dons constituent un moyen pour les électeurs d’influer sur cette désignation, sachant que ces dons font l’objet de mesures fiscales incitatives qui expliquent leur importance au regard du PIB des États-Unis (2,2% en 2008, toutes causes confondues) et le poids que pèse en la matière la minorité de très grands contribuables.

Le "poids" des prélèvements obligatoires, pourtant très inférieur à celui de pays comme la France ou les pays scandinaves caractérisés par une philosophie du service public, a eu une autre conséquence sur le plan politique. Il s’agit de l’essor du mouvement Tea Party, marqué par des figures politiques telles que l’ancien gouverneur de l’Alaska, Sarah Palin. "T.E.A" comme "Taxed Enough Already" ("Déjà suffisamment taxés"). Ce mouvement, situé à la droite du Parti républicain, prône à la fois : "Moins de taxes et moins de gouvernement".

Finalement de telles configurations politiques sont-elles  si éloignées des démocraties censitaires ?

Frédéric Tristram : Avec un niveau élevé de prélèvements, une efficacité très discutable de la dépense publique et un système fiscal complexe et peu lisible, il y a en effet un risque de rupture du lien contributif.

Pour l’éviter, les politiques devraient répondre à quelques règles précises : fixer un objectif crédible, chiffré et progressif (par exemple sur un quinquennat) de réduction de la dépense publique et du taux de prélèvement obligatoire ; allez vers un système d’imposition, en particulier en matière d’IR, à large assiette et à progressivité modérée ; concentrer les mécanismes redistributifs mais non pas sur la recette mais sur la dépense, qui doit être davantage ciblée en direction des plus fragiles.

Olivier Pluen : Ces phénomènes ne sont pas sans rappeler les "démocraties censitaires", dans la mesure où ils lient l’exercice des droits politiques à la participation sur le plan fiscal. Cependant, ce lien n’est pas formellement institutionnalisé comme dans ces régimes que l’Abbé Sieyès, père de la notion de "souveraineté nationale" opposée à la "souveraineté populaire", avait conceptualisé de la manière suivante : "Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif : tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, mais tous n’ont pas à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics…Ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs" (discours sur premier projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il avait présenté au Comité de Constitution, les 20 et 21 juillet 1789).

Une telle évolution est-elle envisageable en France ?

Olivier Pluen : En se fondant notamment sur la Constitution de la Ve République, cela paraît difficile.

Premier élément : celle-ci consacre une souveraineté à la fois nationale et populaire. Son article 2 dispose que le principe de la République est : "gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple". Et l’article suivant prévoit que : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum".

Deuxième élément : le principe d’égalité constitue une pierre angulaire de la conception française de la démocratie depuis 1789. Or, comme cela a été dit, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – qui fait partie du droit positif - admettait déjà une prise en compte des facultés contributives. Par la suite, se fondant sur le Préambule de la Constitution de la IVe République, qui énonce des droits économiques et sociaux, et s’inspirant d’une longue jurisprudence du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a assez largement admis à partir de 1973 que des situations différentes puissent être réglées de manière différente, que ce soit en matière d’égalité devant la loi fiscale ou d’égalité devant les charges publiques. L’idée, qui est d’ailleurs intrinsèquement liée à l’ancrage progressif de la démocratie en France depuis la Révolution, est précisément d’atténuer l’égalité "formelle", au profit d’un renforcement d’une égalité "réelle", et ainsi permettre à une partie de la population qui s’en trouvait privée jusqu’alors dans les faits, de pouvoir exercer effectivement ses droits politiques.

Troisième élément : conditionner l’exercice des droits politiques au niveau des contributions fiscales constituerait à juste titre un argument supplémentaire en faveur du droit de vote des étrangers, dont les soutiens soulignent qu’ils payent des impôts. En l’état actuel, d’après la Constitution, seul les citoyens de l’Union européenne résidant en France bénéficient du droit de vote aux élections municipales.

Quatrième élément, plus anecdotique : les électeurs ayant déménagé d’une commune et ne s’étant pas inscrits sur les listes électorales de leur nouvelle commune de résidence peuvent, du fait d’une tolérance administrative, continuer à voter et à être candidats dans cette première, dès lors qu’ils n’ont pas été radiés des listes électorales. Pourtant, ils n’y payent le plus souvent aucun d’impôt. Dernier élément : les "démocraties censitaires" n’ont, en France, pas résisté. La Monarchie constitutionnelle a chuté en 1792, trois ans après le début de la Révolution, le Directoire en 1799 (quatre ans), la Restauration en 1830 (seize ans) et la Monarchie de Juillet en 1848 (dix-huit ans). Pour les deux derniers régimes, le système censitaire a été l’une des causes des "Trois glorieuse" et de la "Révolution de février", qui ont entraîné l’abdication et l’exil de Charles X et de Louis-Philippe Ier.

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