A deux mois de la présidence de l'UMP mais deux ans et demi de la présidentielle : les délicats enjeux du double calendrier de Nicolas Sarkozy<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy au Parc des Princes le 2 avril 2014
Nicolas Sarkozy au Parc des Princes le 2 avril 2014
©Reuters

Si long, si court

Alors que Nicolas Sarkozy a officialisé vendredi son retour à la vie politique en se portant candidat à la présidence de l'UMP via une tribune publiée sur Facebook, l'ancien chef de l'Etat va désormais devoir trouver le bon tempo... et le bon message. Une gestion du temps qui sera aussi un élément important dans sa reconquête de l'Elysée.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : En officialisant son retour sur la scène politique, Nicolas Sarkozy va devoir gérer l’épineuse question de la gestion du calendrier. Comment le candidat à la présidence de l’UMP va-t-il pouvoir gérer la période comprise entre la campagne pour la présidence de l’UMP dans deux mois, et la présidentielle de 2017 plus de deux ans plus tard ?

Christelle Bertrand :La question du temps est essentielle pour lui depuis le 6 mai 2012. Nicolas Sarkozy étant à la fois un sanguin et un hyperactif il a dû gérer cette question depuis le soir de sa défaite. Son entourage a dû occuper son emploi du temps et réorganiser la rue de Miromesnil. Il a eu toute une réflexion sur la question de la gestion du stress et de son énergie. Il s’est imposé une grosse hygiène de vie et a souvent fait le parallèle avec un sportif de haut niveau. Aujourd’hui la question est pour lui de savoir comment séduire dans un premier temps les militants de l’UMP tout en devant aussi séduire plus largement l’électorat de droite. Ces proches me disaient fin mai que pour Nicolas Sarkozy le risque est de confondre l’envie des militants et l’envie du peuple. On voit que dans sa tribune publiée sur Facebook il a la tentation de s’adresser de nouveau aux militants de l’UMP. La question du temps est liée à celle de l’envie. Il a profondément envie de séduire les militants parce qu’ils lui sont acquis. Il ne va toutefois pas falloir qu’il descende à ce niveau-là pour rester dans la posture du futur candidat à la présidentielle et pour poursuivre l’œuvre qu’il a mis en place depuis juin 2012, c’est à dire la main tendue vers le centre et les plus modérés de l’UMP. Or on sait que les militants se situent plus à droite.

Jean Petaux : La seule chose dont on est à peu près sûr c’est que Nicolas Sarkozy va forcément nous surprendre pendant ces prochains 30 mois. La vraie difficulté pour lui va être d’occuper la scène en étant à la tête du principal parti d’opposition. Jusqu’à maintenant, depuis 2002, date de son retour en grâce (sinon auprès de Jacques Chirac du moins auprès de l’épouse de celui-ci) Nicolas Sarkozy jusqu’en 2012 était en situation de responsabilité : ministre de l’Intérieur, ministre de l’Economie et des Finances, de nouveau ministre de l’Intérieur, patron de l’UMP, candidat favori à la présidentielle de 2007 et, in fine, président de la République. Il pouvait alors donner libre-cours à sa passion favorite : le story-telling. Chaque micro-événement en France, chaque fait divers, pouvait être l’occasion de montrer l’hyper-président à l’œuvre. Sans parler des crises internationales (la crise géorgienne, la crise libyenne par exemple). Si, à partir de novembre 2012, le patron de l’UMP saute dans un avion et déboule sur les théâtres d’opérations extérieures chaque fois qu’il y a un conflit dans le monde, il va vite friser le ridicule… Une des questions centrales qui va se poser à son sujet est la suivante : va-t-il se caricaturer lui-même ou apparaître comme sage et enfin serein ?

Il parle dans sa tribune d'un vaste rassemblement mais dans un premier temps il doit conquérir le parti.  Comment peut-il parler à la fois à l'UMP et à l'ensemble des Français ? Comment être rassembleur dans une campagne pour la présidence de l'UMP ? 

Christelle Bertrand : C’est là où se joue la question de l’envie car la plupart des militants de l’UMP lui sont acquis. J’ai assisté dans les Vosges à une réunion militante de Bruno Le Maire  et une militante me disait "la raison me dirait de soutenir Bruno Le Maire mais le cœur m’emportera vers Nicolas Sarkozy". S’il mène une campagne raisonnable il n’essayera pas de séduire les militants car il sait que c’est acquis. L’aspect psychologique est important surtout chez Nicolas Sarkozy. Qu’est-ce qu’il a envie de faire ? Et qu’est-ce que lui imposera la raison ? Quel arbitrage fera-t-il entre les deux ?

Jean Petaux : Sa déclaration de candidature à la présidence de l’UMP est d’une facture classique et totalement convenue. Mais pouvait-il en être autrement ? Le vocabulaire choisit est important : "la famille politique". Cela veut dire qu’il souhaite être le "pater familias" de l’UMP. Il se positionne donc comme le patron (du latin "pater" : le père) mais aussi comme celui qui ouvre ses bras à tous ses enfants. A partir de là sa démarche n’a rien d’originale : 1) réunir les troupes dispersées et parcourues de tensions fratricides violentes / 2) proposer un objectif commun à toutes ces fractions antagonistes / 3) partir à la conquête du reste des Français. Il y a là de quoi donner du grain à moudre à des forces militantes qui n’attendent que cela et matière à occuper la scène en pratiquant le harcèlement permanent d’un gouvernement et de son parti parcouru de lézardes et au bord de l’explosion…

Dans sa tribune sur Facebook, où le mot "UMP" n'est pas cité, il évoque la possibilité d'un "nouveau et vaste rassemblement". Dans le cas où il voudrait partir à l’assaut de l'Elysée avec une nouvelle structure, avec quelle marge doit-il gagner la présidence du parti ?

Christelle Bertrand :Il faut évidemment que ce soit un plébiscite. Depuis qu’il est tendu vers l’objectif de son retour il espère revenir comme un sauveur et se rend compte assez rapidement qu’une opposition est en train de se structurer contre lui au sein même de l’UMP. Nicolas Sarkozy a beaucoup calqué sa campagne sur celle de 1988 avec "Génération Mitterrand". Il se rend compte que ni l’électorat de droite ni les cadres du parti ne lui offriront un appel à son retour. Finalement, les péripéties de l’affaire Bygmalion correspondaient à ce qu’il espérait pour son retour. Il ne faut pas non plus que son élection à la tête de l’UMP se fasse avec un score 95 %, il faut que ça soit autour de 70 ou 80 %, que ça soit marquant. Il fallait aussi que sa déclaration de candidature occupe et sature  l’espace médiatique et soit un événement, de même il faut que son élection fin novembre soit un événement. Son idée de transformer l’UMP, il l’a depuis longtemps, ce n’est pas uniquement lié à l’affaire Bygmalion. Il est persuadé que les Français ne veulent plus des partis politiques et répète souvent à ses visiteurs : "Je ne veux pas de chapelles, je veux une cathédrale".

Jean Petaux : La présidence du parti il peut l’obtenir avec les trois-quarts des voix des adhérents. Ce sera moins que le plébiscite de 2004 et le fameux congrès du "Bonne chance mon Papa" mais ce sera un excellent score. Sauf que cela n’aura que peu d’impact sur l’opinion publique puisque cela portera sur 250 000 adhérents dont au moins un tiers de cartes sinon bidonnées du moins pré-payées… Le lancement d’une candidature élyséenne ne peut se faire aujourd’hui que par le biais de primaires ouvertes dont ce "nouveau et vaste rassemblement" doit être l’organisateur. Nicolas Sarkozy va avoir beaucoup de mal à échapper à cet impératif des primaires. Il sait aussi que dans cet exercice il est loin d’être sûr de l’emporter. D’où sans doute la tentation de créer une sorte de parti élargi qui serait une machine à gagner les primaires. Un peu à la manière avec laquelle Ségolène Royal avec "Désir d’avenir" a contourné et doublé les deux "caciques" du PS à l’époque en 2006, Fabius et DSK. C’est peut-être par ce détour du "vaste rassemblement" que Sarkozy cherche à prendre l’avantage sur son principal rival à droite désormais : Alain Juppé.

A quelles conditions pourrait-il s'affranchir de la primaire et qu'a-t-il à y gagner ? 

Christelle Bertrand : A mon avis il peut techniquement s’affranchir de la primaire en refaisant un nouveau parti avec un nouveau nom, des nouveaux locaux, des gens de la société civile et de l’UDI… Les statuts seront réécrits et la primaire ne sera plus obligatoire alors qu’elle était actée dans les statuts de l’UMP. Son entourage n’est pas d’accord sur la problématique. Certains disent que c’est une manière de se faire adouber par une partie de son électorat, d’autres pensent que cette élection à la présidence de l’UMP vaut primaire. Nicolas Sarkozy a dit ou fait fuiter que sa candidature à la présidence de l’UMP vaut candidature à la présidence de la République. Il va tout faire pour éviter la primaire car il sait qu’il n’est pas favori, mais après il faut voir quelle sera la force de persuasion d’Alain Juppé ou de François Fillon… les pressions sont très fortes autour de lui. Nicolas Sarkozy a un argument de poids en évoquant la question financière car une primaire coute très cher. 

Jean Petaux : Je viens de le dire : à mon sens il ne peut pas se permettre de "sauter" la case primaire. Ou alors il prend le risque d’apparaître comme lâche et refusant le débat interne et il peut alors susciter une candidature parallèle à la sienne au centre-droit (un remake du "VGE-Chirac", du "Barre-Chirac", du "Balladur-Chirac" de 1981, 1988 et 1995) avec une différence majeure : l’hypothèque Marine Le Pen. Donc la primaire doit lui permettre d’annihiler toute envie de candidature concurrente à droite et au centre-droit. Encore faut-il qu’il soit convaincu qu’il peut emporter cette "phase qualificative". Pour ce faire il peut tenter de "fermer" le corps électoral et de le limiter au strict fichier (« contrôlé »)  des adhérents. C’est contraire aux statuts actuels de l’UMP et cela fait « petit jeu ». Il peut aussi changer les statuts du parti en changeant le parti tout simplement : cela fait carrément "18 Brumaire" et plus "bonapartiste" que jamais : un nouveau parti = un nouveau chef qui sera automatiquement candidat à la présidentielle. Les primaires sont effacées d’un seul coup d’un seul. Il peut expliquer aux Français que dans une stricte lecture de la Constitution révisée en 1962, le premier tour de la présidentielle au suffrage universel tient lieu de primaire et permet de "filtrer" les candidatures. Mais encore une fois ce scénario fonctionne tant que Marine Le Pen ne risque pas d’être présente au second tour, devançant deux candidats de droite qui, tels les Curiaces, se seront littéralement neutralisés en s’éliminant mutuellement de la course lors du premier tour. A ce petit jeu il ne reste à Nicolas Sarkozy qu’une seule option, celle qu’il a engagé aujourd’hui : 1) prendre le contrôle de l’UMP / 2) faire la course en tête en cherchant à éliminer chacun de ses concurrents internes à chaque tour de piste / 3) aborder la ligne droite des primaires à l’automne 2016 "en pole-position" et apparaître comme le champion unique de la droite réunifiée pour affronter Marine Le Pen. Autant dire que le spectacle risque d’être assez décoiffant…

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