Impôts, déficit, dépenses publiques… quand 2 ans et demi d’annonces gouvernementales ne résistent pas à la dure vérité des chiffres <!-- --> | Atlantico.fr
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Les annonces gouvernementales ne résistent pas à la dure vérité des chiffres ; le président joue-t-il l'avenir de la France à la roulette ?
Les annonces gouvernementales ne résistent pas à la dure vérité des chiffres ; le président joue-t-il l'avenir de la France à la roulette ?
©Reuters

On fait le bilan

Alors que François Hollande fêtera prochainement ses deux ans et demi à la tête du pays, la politique économique menée par le gouvernement connaît des échecs. Lourde fiscalité reposant sur les classes moyennes, objectifs intenables en matière de réduction des déficits, dépenses publiques toujours aussi élevées, le président n'a jusqu'à présent pas trouvé la clef pour sortir le pays du marasme économique dont il est chaque jour un peu plus englué.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Hausse des impôts, pression sur la protection sociale qui se traduit notamment par une baisse des actes médicaux… dans quelle mesure les Français ont-ils été mis à contribution depuis l'arrivée de François Hollande au pouvoir ? Quels montants ces efforts représentent-ils ?

Philippe Crevel : C’est évidemment l’impôt sur le revenu qui a le plus augmenté, la gauche doit faire machine-arrière. Il pèse aujourd’hui 70 milliards d’euros quand le gouvernement en prélevait une cinquantaine de milliards en 2010. Cette augmentation a touché les classes moyennes, surtout les familles et également les retraités qui ont été mis à contribution. L’autre aspect concerne les entreprises : on voit le débat sur les allègements dont bénéficient les entreprises mais quand François Hollande a augmenté les cotisations notamment les cotisations retraites pour financer le retour partiel à la retraite à 60 ans et également la réforme des retraites de 2014 financée par les entreprises et les retraités. C’était un choix politique qui a contribué à la détérioration des comptes des entreprises et fait peser un effort important sur les classes moyennes.

Il y a eu la généralisation des complémentaires santé négociée avec les partenaires sociaux. En contrepartie de ce geste le gouvernement a fiscalisé la contribution des employeurs à la prise en charge de la complémentaire santé. Ce sont donc les ménages qui ont financé cet accord qui n’est pas une bonne mesure pour les particuliers. Il ne faut pas oublier la fiscalisation des heures supplémentaires qui a pesé sur la situation économique et a dégradé les conditions des salariés, pas forcément les plus aisés. Il y a aussi des déremboursements et la montée en puissance des génériques. On a mis un couvercle important sur l’assurance maladie à défaut de la réformer et à terme les risques d’implosion seront avant ou après 2017.

L’effort demandé aux ménages depuis 2012 représente entre 10 à 20 milliards en fonction de ce que l’on met dedans : il y a la fois les familles, les retraités et les épargnants qui ont été frappés pendant les deux premières années et qui ont apporté l’ensemble des ressources à l’Etat. On est sur un effort qui représente des sommes aux alentours de 7 à 8 % du budget de l’Etat, sur les 300 milliards au total. Ce qui est effroyable c’est que l’effort demandé n’a pas abouti à réduire le déficit public à la hauteur des espoirs attendus et il y a de la fuite.

Qu'en est-il parallèlement de la trajectoire des comptes publics ? Comment les dépenses publiques ont-elles évolué depuis 2012 ? Que reste-t-il des promesses de réduction qui se chiffraient en milliards ? Et qu'en est-il du déficit ?

Philippe Crevel : On devrait être initialement cette année à 3.5 % de déficit public mais cela a été corrigé à 3.8 %. On sera finalement à 4.4 % à la fin de l’année donc moins bien que l’année dernière. Le gouvernement justifie cette augmentation du déficit par l’absence de croissance, mais sachant que les autres pays y arrivent mieux que nous cette explication est un peu étrange. Il y a un vrai problème spécifique à la France qui est cette incapacité à réduire le montant des dépenses publiques qui représentent 56 % du PIB. Nous sommes confrontés à une auto-alimentation de la dépense publique avec des frais de fonctionnement très lourds, avec une masse salariale importante, des pensions de retraites publiques qui vont s’accroître de 20 milliards d’euros. C’est un phénomène d’emballement de la dépense publique qu’aucun gouvernement n’arrive pas à circonvenir depuis une dizaine d’années. Concernant la dette publique, le dernier chiffre est de 95 % du PIB. Il est fort probable qu’on franchisse la barre des 100 % en 2016 voire en 2015 s’il y avait un dérapage.

Nicolas Goetzmann : Le constat est ici assez simple. Entre la fin 2011 et la fin 2013, les dépenses sont passées de 1151 à 1207 milliards d’euros, soit une progression de 56 milliards. Du côté des recettes, les hausses d’impôts sont venues compenser la faible croissance, de 1046.6 milliards d’euros en 2011 elles ont atteint 1120.4 milliards en 2013, pour un résultat de 73.8 milliards supplémentaires. Les dépenses progressent moins vite que les recettes, ce qui explique la baisse du déficit en relatif, mais une baisse insuffisante pour parvenir à tenir l’objectif de 3% des déficits publics. C’est ainsi que l’écart entre recettes et dépenses pour l’année 2013 atteint la somme de 87.1 milliards, ce qui représente le déficit de 4.3% du pays au titre de cette année. La progression des dépenses a donc atteint 4.86% entre 2011 et 2013, la progression des recettes atteint quant à elle 7.05%. Par contre, la croissance de l’économie n’a été que de 2.64% au total et en tenant compte de l’inflation, et de 0.62% en réel. Ce qui explique le déséquilibre. Les seuls éléments qui progressent dans les comptes sont les recettes et les dépenses publiques.

Quelles sont les principales politiques portées par les gouvernements successifs depuis 2012, quels étaient leur objectifs et quels résultats ces politiques ont-elles produit ?

Philippe Crevel : En 2012, le gouvernement demande deux ans supplémentaire pour permettre la réduction des déficits en espérant que la croissance sera de retour d’ici 2014, c’est son pari. Manque de chance on voit que la croissance n’est pas là en 2013, on essaie de serrer les vis avec le programme de 50 milliards d’euros d’économies qui vise à demi-mot à respecter l’objectif de 3 % de déficit en 2015. En septembre 2014 on change de braquet et on avoue qu’on ne tiendra pas l’objectif de 3 %. On maintient un objectif de réduction des dépenses de 50 milliards d’euros qui est un affichage. On constate une politique qui surfe sur les événements et qui essaye de gagner du temps. La ligne politique reste la même mais s’adapte aux circonstances. On dit que c’est la faute à l’Allemagne, à la conjoncture et à la déflation et que c’est pour ça que la France n’y arrive pas. Il y a de l’habillage, de l’affichage, de la communication et une gesticulation permanente parfois contradictoire.

Nicolas Goetzmann : Il est très facile de se perdre dans les discours, mais l’analyse des chiffres permet d’y voir plus clair. La seule politique menée depuis 2012 a consisté à tenter de résorber le déficit du pays par la voie de la hausse d’impôts. Le gouvernement comptait sur un retour cyclique de la croissance qui n’a pas eu lieu, ce qui est un peu normal étant donné le contexte macroéconomique, mais passons. Le résultat est que sans le retour de cette croissance, les impôts supplémentaires n’ont pas suffi à compenser le manque à gagner dû à la faible activité économique. Le constat est aussi simple que cela. Le tout peut être résumé en un coup d’épée dans l’eau, un PIB qui stagne et un nombre de chômeurs qui progresse de 500 000 personnes en catégorie A. Ce qui est le plus alarmant est la situation suivante. Le PIB est quasiment stable, comme cela est visible dans ce graphique :

En termes réels, la croissance atteint donc 0.79% au total pour les 8 trimestres concernés. (ici les chiffres utilisés sont trimestriels, du T2 2012 au T2 2014). Mais dans le détail, lorsque l’on prend en compte la consommation et l’investissement des ménages, on peut se rendre compte d’un léger recul  de l’ordre de 0.4%, c’est à dire d’une stagnation.  

Pour l’investissement des entreprises, c’est encore moins bien, la baisse est de 1%. Ensuite la balance commerciale, celle-ci s’est légèrement améliorée pour un montant de l’ordre de 500 millions d’euros (en trimestriel) , mais cela ne permet que de compenser la moitié de la baisse de l’investissement des entreprises. Au final, les seuls postes qui ont permis au PIB de progresser sont les dépenses de consommation et d’investissement des administrations publiques.

C’est à cela que se résume la "croissance" française depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. 

A quoi les efforts consentis par les Français ont-ils réellement été utilisés ? Où est passé l'argent ?

Philippe Crevel : Une partie de l’argent file entre les doigts du gouvernement car quand il n’y a pas de croissance il n’y a pas de recette et il y a donc un manque à gagner.La suppression du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, l’embauche de 50 000 profs, l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire en 2012 sont des mesures qui ont accru les dépenses publiques et pompé une partie des ressources collectées sur les Français. De même, le retour partiel de la retraite à 60 ans a coûté 1.2 milliards d’euros qu’il a fallu financer.

Nicolas Goetzmann : Depuis 2012, Le surplus d’impôts qui a été payé par les français a servi à financer la baisse relative des déficits et la progression des dépenses publiques. Même si les dépenses ont effectivement progressé sur un rythme moindre. Cet effort réalisé revient en fait à financer le manque de croissance économique. L’Etat a besoin de croissance, et si celle-ci ne se matérialise pas, il vient la chercher par la voie des recettes fiscales.La question qui se pose alors est celle de la croissance. Pourquoi ne revient elle pas ? Et là, il suffit de se tourner vers la BCE pour comprendre. Les erreurs qui ont été commises par la Banque centrale européenne sont nombreuses depuis l’entrée en crise. Elle agit comme un étau sur la croissance. Ce qui signifie, au bout du compte, que les erreurs de gestion monétaire de la Banque centrale européenne ont été compensées (en partie seulement) par la hausse de la fiscalité, la hausse des déficits, et l’augmentation du poids de la dette. Si la BCE avait tenu son rôle, la croissance européenne aurait été de 4% en termes nominaux. Et avec une telle croissance les déficits seraient contenus et les impôts pourraient enfin baisser. Il n’y a aucun mystère, aussi longtemps que la BCE n’agira pas de façon massive, la situation perdurera.  Parce que compenser une erreur monétaire par le pouvoir budgétaire, c’est exactement ce qui passe au sein de la zone euro depuis 2008. La dette sur PIB En zone euro était de 67% au T2 2008, elle atteint aujourd’hui près de 94%. Ce qui représente un écart de 2500 milliards d’euros. Et on ne parle pas du coût social des 11.5% de chômeurs au sein de la zone euro. Une erreur monétaire se paye très très cher, et là, on atteint des sommets.

La fraude aux cotisations sociales a dépassé les 20 milliards d'euros en 2012. Le caractère contre-productif des choix de politiques économiques privilégiés par François Hollande depuis son arrivée au pouvoir explique-t-il aussi en partie leur absence de résultat ? En quoi ont-ils favorisé les stratégies d'évitement ?

Philippe Crevel :La fiscalité des prélèvements obligatoires relève également de la communication et de la psychologie. Le responsable de l’entreprise a le sentiment que son travail n’est pas suffisamment reconnu et rémunéré. Il a donc soit la tentation de frauder soit de ne pas travailler. Il est évident qu’on le paie par une moindre croissance et cela va à l’encontre des rentrées fiscales. La France a pénalisé l’activité, la fiscalisation des heures supplémentaires a entraîné le travail au noir et cela n’a pas créée d’emploi contrairement à ce qu’espérait le gouvernement. La psychologie fiscale est donc très importante. Avec la taxe à 75 %, l’impact à l’extérieur a été extrêmement contre-productif et a dissuadé les investisseurs étrangers de venir en France. De même l’imposition sur les plus-values pour  les entrepreneurs a contribué au départ des fortunes vers la Belgique : 17 milliards d’euros sont partis dans ce pays. On voit bien l’impact direct que les messages et les mesures peuvent avoir.

Lors de son discours de politique générale, Manuel Valls a indiqué ce que réformer n'était pas, sans préciser pour autant ce que ce devrait être. En quoi cette absence de résultat tient-elle à l'absence d'un cap clair ? François Hollande avait-il réellement une trajectoire et un plan ? Quels éléments permettent d'en douter ?

Philippe Crevel : François Hollande est un keynésien au fond de lui. Il a vraiment cru au retour de la croissance qui lui permettrait d’avoir des marges de manœuvre. Il a été très influencé par Lionel Jospin et son passage à Matignon quand il y avait à l’époque une croissance forte. En fait, François Hollande a cru qu’il suffisait d’attendre un rebond économique pour mettre en œuvre sa politique. C’est une erreur et depuis il fait une politique de yoyo en voulant un jour favoriser la demande, un autre jour l’offre, et d’autres fois les deux. Il n’ a du coup aucun cap.

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