Pourquoi ce qui a marché avec l’Iran en Irak ne marchera pas en Syrie <!-- --> | Atlantico.fr
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Bachar al-Assad.
Bachar al-Assad.
©Reuters

Dors tranquille Bachar

Alors que les relations entre les États-Unis et l'Iran semblaient s'améliorer, il se pourrait qu'elles se détériorent à nouveau, étant donné le refus persistant de l'Iran à abandonner Bachar Al-Assad. Et pour cause, le pays y trouve nombre d'intérêts.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'Iran figure parmi les alliés clés des Etats-Unis concernant la lutte contre l'Etat islamique en Irak. En revanche, si les deux pays ont réussi à s'entendre sur la lutte contre l'EI en Irak, une alliance dans la lutte contre l'EI en Syrie semble difficilement envisageable. Quelles en sont les raisons ? Quels sont les intérêts de l'Iran en Syrie ?

Alain Rodier : En fait, Washington ne s'est pas entendu avec Téhéran pour mener des opérations militaires communes en Irak. Les deux pays se sont retrouvés en Irak face au même adversaire mais ont combattu indépendamment. La rencontre des deux "intérêts" a été fortuite. L'armée américaine soutient les forces de sécurité normales (armée, police) alors que les pasdaran sont derrière les milices chiites. Au centre du pays, le long de la frontière irako-iranienne, des forces classiques iraniennes seraient également intervenues pour repousser Daesh car il est intolérable pour Téhéran d'avoir des activistes sunnites extrémistes à portée de canon. On parle beaucoup de l'intervention des forces aériennes US mais on oublie les opérations menées par les Su-25 de  la composante aérienne des pasdaran. 

En Syrie, beaucoup de choses opposent les Etats-Unis et l'Iran. A savoir que Téhéran soutient le régime de Bashar el-Assad alors que Washington souhaite son départ.    

Par ailleurs, en quoi l'arrivée d'un nouveau gouvernement syrien peut-il représenter une menace pour l'Iran ?

L'Iran[1] n'est pas attaché à la personne même (ni à la famille) de Bashar el Assad. Son but est de préserver un pouvoir dominé par les Alaouites (une secte descendant du chiisme). Il convient de replacer le conflit syrien dans la lutte d'influence qui déchire le Proche-Orient entre sunnites (emmenés par l'Arabie Saoudite) contre les chiites (sous l'égide de l'Iran). Le plus terrible réside dans le fait que les deux parties se sentent agressées. La Syrie est un conflit par contournement car, bien sûr, l'Arabie saoudite ne peut pas attaquer frontalement l'Iran. Dans le passé, le monde a connu cela du temps du communisme, par exemple avec le conflit vietnamien.

Dans le sens inverse, l'Iran n'a pas perdu ses velléités de dominer la région en se posant en défenseur de la cause musulmane en général (avec une vision très anti-occidentale et anti-sioniste) et palestinienne en particulier. Ce n'est pas un hasard si Téhéran a renoué avec le Hamas après une période de brouille due à l'appui du Hamas de ce mouvement à la rébellion syrienne. A noter que le Hamas et le Jihad Islamique Palestinien, deux mouvements anti-sionistes appuyé par Téhéran sont sunnites. Cela démontre le "pragmatisme" des dirigeants iraniens. L'inverse est rarement vrai.  

Concernant les accords sur le nucléaire, dans quelle mesure Assad est-il une carte maîtresse pour l'Iran ?

Assad ne constitue pas une carte maitresse pour l'Iran dans les négociations sur le nucléaire. Comme cela a été dit plus avant, les Iraniens peuvent le "sacrifier", mais pas son régime. Son départ permettrait de proclamer haut et fort que les "démocraties ont gagné sur l'empire du mal". Dans les faits, cela ne changerait pas grand chose. Le nouveau pouvoir en place à Damas deviendrait "présentable" d'autant que beaucoup attendent ce moment pour l'intégrer. Leur exil dans des hôtels 5 étoiles turcs payés par le contribuable occidental commence à les lasser. 

Quels intérêts pour les Etats-Unis à ce que l'Iran accepte d'abandonner Bachar Al-Assad ?

Les Américains, à mon avis, se trompent une fois de plus. Les Iraniens ne vont pas sacrifier El-Assad (à moins de mener une habile politique à l'orientale décrite plus avant -ils sont passés experts dans ce domaine-). Washington imagine que tous les pays et leurs dirigeants doivent se plier aux volontés de l'Oncle Sam. Le comble, c'est que les Américains sont sincères. Ils sont persuadés d'être le camp du "bien" et ne comprennent pas que l'on ne puisse pas leur obéir. Il est vrai qu'ils sont une immense démocratie à qui l'Europe doit sa liberté. Mais, ces dernières années, ils ont tendance à en rajouter en employant des moyens douteux : écoutes généralisées, opérations homo à grande échelle, intimidations financières, non respect du droit international qui est uniquement réservé aux autres, humiliations diverses et variées, etc. Après, ils s'étonnent de pas être aimés !

Ces désaccords peuvent-ils plomber les relations américano-iranienne qui pourtant sembler s'arranger ces derniers mois ?

Il semblait qu'il y avait du mieux. L'administration du président Obama souhaitait solder les comptes au Proche-Orient pour se retourner vers l'Extrême-Orient considéré comme l'enjeu central de l'avenir. Mais Téhéran joue son avantage pour profiter de la situation. L'Iran sait que la RII (République Islamique d'Iran) est incontournable pour la résolution de la crise actuelle. Téhéran se délecte littéralement des contradictions de la politique américaine qui, il y a un an, voulait bombarder les positions gouvernementales syriennes. Washington, l'allié de Téhéran et, objectivement de Damas pour écraser Daesh... On aura tout vu. A moins qu'une nouvelle alliance ne se dessine avec la Corée du Nord pour bouleverser la situation en Extrême-Orient ? Au train où vont les choses, il ne faut plus s'étonner de rien...



[1] Ni Moscou non plus. La rumeur court depuis des mois qu'une retraite paisible serait proposée au dirigeant syrien en Russie par Vladimir Poutine.

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