Valls a entamé la prise de pouvoir, les Hollandais finiront-ils le travail en débranchant le président pour sauver la gauche ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Les Hollandais vont-ils débrancher le président pour sauver la gauche ?
Les Hollandais vont-ils débrancher le président pour sauver la gauche ?
©wikipédia

Abandonner le navire

En dépit d'une baisse de sa cote de popularité dans les récents sondages, Manuel Valls maintient le cap de sa politique, donnant ainsi l'impression d'être aux commandes. Le vote de confiance à l'Assemblée nationale mardi et la conférence de presse du président jeudi pourraient renforcer davantage son pouvoir. Et amener certains à gauche à déjà songer, sans le révéler, à un rapprochement avec le Premier ministre en vue de 2017.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »
Hervé  Algalarrondo

Hervé Algalarrondo

Hervé Algalarrondo est journaliste politique et essayiste. A travaillé auparavant au Matin de Paris à France-Soir et au Nouvel Obs.

Auteur de plusieurs pamphlets contre le conformisme de gauche : « Les beaufs de gauche », éditions Lattès, "Insécurité : la gauche contre le peuple", éditions Robert Laffont, et "La gauche et la préférence immigrée", éditions Plon. Il vient de publier avec Daniel Conh-Bendit "Et si on arrêtait les conneries" (Fayard).

 

Voir la bio »

Atlantico : Le Premier ministre Manuel Valls se prépare à deux grands rendez-vous cette semaine, le vote de confiance de l'Assemblée nationale le 16 septembre, et la conférence de presse du 18 de François Hollande. Alors que le Président perd en crédibilité de jour en jour, Manuel Valls est-il en train de prendre la place de capitaine du bateau ?

Bruno Cautrès : On ne pourra complétement le dire qu’après ces deux échéances et surtout celle du vote de confiance. Selon les résultats de celui-ci, le nombre de voix favorables à Manuel Valls en termes de majorité des votes exprimés, l’autorité de celui-ci sur la majorité sortira renforcée ou atténuée. Mais en l’état et depuis sa nomination, on peut effectivement dire que Manuel Valls a su prendre toute sa place de Premier ministre, voire un peu plus. Il a opéré en cela une vraie rupture vis-à-vis de Jean-Marc Ayrault qui avait beaucoup de mal à trouver son espace politique et qui ne semblait pas s’imposer auprès de ses ministres. Manuel Valls est en cela cohérent avec le personnage politique qu’il s’est construit au sein de la vie politique française : quelqu’un qui parle fort et qui adopte un style de communication par l’action et la volonté.

Il faudrait néanmoins distinguer déjà deux périodes : sa nomination s’est traduite par un écart important de popularité vis-à-vis de François Hollande ; mais depuis, il semble que Manuel Valls soit entrainé dans la tourmente de popularité de l’exécutif même s’il reste nettement plus populaire que le Président. 

Comment le Premier ministre a-t-il progressivement gagné sa place de première figure de l'Etat ?

Bruno Cautrès : La nomination de Manuel Valls s’est imposée à François Hollande à double titre : tout d’abord, c’est la cuisante défaite de la gauche aux municipales de 2014  qui a imposé un changement de Premier ministre, cette défaite étant précédée d’une période de " couacs " et d’annonces contradictoires au niveau du couple exécutif (comme par exemple sur la date de la pause fiscale) ; mais une seconde raison explique la nomination de Manuel Valls : il était, de loin, le ministre le plus populaire (et l’un des seuls ministres populaires) du gouvernement Ayrault. Son image d’homme d’action tranchait avec celle de Jean-Marc Ayrault.

Enfin, la nomination de Manuel Valls permettait à François Hollande d’opérer son opération de reconquête de sa stature présidentielle : Jean-Marc Ayrault était, à tort ou à raison, considéré comme un " double " de François Hollande ; ce n’est pas le cas avec Manuel Valls bien que la cohérence politique semble très forte entre le Président et l’actuel hôte de Matignon. C’est donc à la fois par ses qualités, par contraste avec Jean-Marc Ayrault et par un fort soutien à ses orientations donné par François Hollande que Manuel Valls a imposé sa stature de Premier ministre. Il donne le sentiment qu’il y a un " pilote dans l’avion ", même si beaucoup d’électeurs se demandent où va exactement l’avion….

Quel est son but ?

Bruno CautrèsComme tout homme politique qui a atteint Matignon, Manuel Valls se demande sans doute si un jour il pourrait traverser la Seine et passer de l’autre côté….Mais plus fondamentalement, on a le sentiment que Manuel Valls veut contribuer fortement à faire évoluer le PS sur les questions économiques et son rapport au pouvoir. Il est porteur depuis longtemps de cette évolution : rappelons qu’il voulait, au moment de la primaire de l’automne 2011, débaptiser le PS, lui faire assumer sa social-démocratie. Le rapport critique à l’exercice du pouvoir politique au sein d’une économie capitaliste ouverte, internationalisée et globalisée n’est pas la " tasse de thé " de Manuel Valls. Est-ce exagéré que de dire que Manuel Valls est potentiellement porteur d’être " le Tony Blair " français ?

Sans anachronisme ou mauvaise comparaison, on peut voir quelques parallèles, et notamment la capacité à vouloir briser des tabous et d’assumer l’exercice du pouvoir. On se doute qu’au sein du PS et de la gauche, cette perspective est un épouvantail compte tenu de la mauvaise image de Tony Blair dans la gauche française. Mais on peut aussi remarquer que Tony Blair avait fait gagner son parti en 1997 après trois défaites consécutives d’un parti travailliste britannique qui semblait ne pouvoir enrayer la dynamique conservatrice de Margaret Thatcher. Récemment, Manuel Valls, répondant à distance à Martine Aubry, a fortement fait valoir que son objectif est de "sauver la gauche" ou encore d’enrayer la montée du Front national. Son analyse peut sans doute être contestée par ceux qui pensent que seul un "cap à gauche" permettra de réaliser cet objectif ; mais au moins, Manuel Valls a le mérite à la fois d’afficher clairement ses objectifs et ses choix, et d’être en cohérence avec sa ligne définie avant même d’être Premier ministre. 

Peut-il apparaître aussi comme le sauveur de la gauche ou risque-t-il de pâtir de l'impopularité du président ?

Bruno Cautrès : Le risque est certain pour lui de ne pouvoir maintenir son image d’homme d’action, qui fait bouger les choses, si les résultats économiques sont toujours aussi mauvais. 

Les soutiens du Président se font de plus en plus rares, certains comme Najat Vallaud Belkacem ou Stéphane le Foll tiennent encore le cap coûte que coûte. Jusqu'où sont-ils prêts à le suivre ? Ont-ils encore les moyens de sauver les apparences ?

Hervé AlgalarondoPour moi, tout ce débat est déjà plié : Hollande ne sera pas candidat en 2017. Les Hollandais raisonnables et sérieux appuieront Manuel Valls. Il y a peut-être encore, parmi les Hollandais, certains qui croient encore au miracle…Dans tous les cas, il leur est aujourd’hui très difficile politiquement d’affirmer que l’avenir politique de François Hollande pour 2017 est condamné.

En l’état des choses,Stéphane le Foll, porte-parole du gouvernement, ne peut pas se permettre de dire qu’il choisit Manuel Valls au détriment de François Hollande. Aucun ne pourra reconnaître Manuel Valls comme le candidat social-démocrate à la primaire du PS (bien que la plupart des Hollandais le feront) tant que François Hollande n’aura pas tiré les conséquences de son rejet profond par les Français, et y compris par les Français de gauche.

Najat Vallaud Belkacem soutenait Ségolène Royal il y a sept ans : on ne peut pas dire qu’elle soit spécialement hollandiste… Cependant, elle est aujourd’hui tenue par ses obligations au regard de sa fonction : imaginez un peu si elle ou d’autres ministres commençaient à dire aujourd’hui qu’ils souhaitent que le Premier ministre soit candidat à la présidentielle de 2017 à la place de l’actuel président.

Bruno CautrèsIl n’y a pas que ces deux noms ; même critiques sur certaines orientations économiques, une majorité des députés PS soutient les efforts de l’exécutif. Beaucoup savent de toute façon qu’il n’y a pas d’alternative : les électeurs sanctionnent souvent la division, la majorité n’a pas les moyens politiques d’une nouvelle crise, la dissolution se traduirait par une hécatombe de députés socialistes. Et au fond, nombreux sont ceux qui pensent sans doute que mieux vaut Hollande-Valls que le retour de la droite aux affaires.

L’idée de tirer contre son camp n’est en fait pas majoritaire au sein de la gauche malgré l’ampleur inégalée des critiques en son sein.Le Président continuera donc d’être soutenu par les ministres ; n’oublions pas que lors de leur nomination, les ministres du gouvernement " Valls 2 ", ont dû expliciter leur accord avec les orientations économiques de l’exécutif.

J’apporterais néanmoins une nuance : nous venons d’assister à une spirale infernale pour François Hollande ; tel un glissement de terrain. Or, on ne sait pas bien aujourd’hui si un mur (bonnes nouvelles économiques ? clarification de la ligne directrice de François Hollande ?) va stopper ce glissement de terrain ou s’il est trop tard. Cela semble quand même très mal engagé pour la séquence des sénatoriales 2014, puis des régionales 2015, et au-delà pour 2017. L’image de François Hollande est durement atteinte et changer la manière dont les électeurs vous perçoivent est presque une mission impossible. S’il est trop tard et que le glissement de terrain continue, on ne peut pas dire aujourd’hui quelles en seraient les conséquences en termes de soutien dont François Hollande disposerait. En termes de popularité, il est au bord du gouffre et il est temps pour lui qu’il trouve le frein à main….

Quels risques courent-ils à le soutenir jusqu'au bout ? 

Hervé Algalarondo : Le coup de grâce a été porté par le sondage dans lequel François Hollande est battu par Marine le Pen au 1er tour de la présidentielle. Comment voulez-vous que la gauche se lance dans la bataille pour 2017 quand son candidat potentiel n’est même pas capable de battre Marine le Pen ?

A la prochaine primaire du PS, je pense que nous retrouverons les mêmes, sans compter François Hollande : Martine Aubry, Manuel Valls, Ségolène Royal et Arnaud Montebourg.

Les Hollandais seront conduits naturellement à soutenir le Premier ministre qui aura été loyal, et avec lequel ils sont en phase pour l’essentiel. Ce qui est sûr, c’est que François Hollande n’est plus dans la course pour la présidentielle de 2017, et que les Hollandais ne peuvent pas encore affirmer leur ralliement à Manuel Valls, ou à d’autres prétendants.

https://ssl.gstatic.com/ui/v1/icons/mail/images/cleardot.gif

Bruno Cautrès : C’est l’après Hollande qui se joue ici en fait. Les " frondeurs " ont pris date pour l’après Hollande ; ils pourront toujours dire qu’ils l’avaient bien dit. Si le scénario négatif se prolongeait par une défaite humiliante en 2017 (non-qualification du candidat du PS pour le second tour), ceux qui auront largement soutenus les orientations de l’actuel exécutif auront du mal au sein du PS.

Pour Manuel Valls, une douloureuse équation va se poser : rester jusqu’au bout ? Mais comment ne pourrait-il pas rester alors même que ce sont ses choix qui sont aujourd’hui mis en œuvre ? Il ne pourra pas, comme François Fillion essaie de le faire vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, essayer d’expliquer qu’il a été empêché de déployer ses choix ; et l’on voit que François Fillion est à la peine pour convaincre les électeurs, et même les militants UMP qu’il était empêché dans ses choix tout en étant resté jusqu’au bout. Manuel Valls a sans doute intégrer un agenda de plus longue durée que 2017 pour lui, à moins que l’opération de reconquête des classes moyennes et que le pacte de compétitivité ne finissent par payer. Néanmoins, il n’est pas rare que les choix des gouvernants se révèlent payant pour le pays mais après leur défaite….

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !