Vers un grand incendie européen ? Et si l’indépendance de l’Écosse se transformait en étincelle qui donnait le signal pour se débarrasser de structures historiques décrédibilisées par la crise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'indépendance de l'Ecosse va-t-elle déclencher un grand incendie européen ?
L'indépendance de l'Ecosse va-t-elle déclencher un grand incendie européen ?
©Reuters

Domino

D'après un sondage Yougov pour le Times et le Sun, 52 % des électeurs écossais disent vouloir voter pour l'indépendance le 18 septembre prochain, menaçant ainsi de mettre fin à une structure étatique vieille de plus de trois siècles. Une possibilité qui, si elle se réalise, pourrait avoir des conséquences allant bien au-delà de la remise en cause des États-nations.

David Engels

David Engels

David Engels est historien et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, Paris, éditions du Toucan, 2013.

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Atlantico : Au-delà du Royaume-Uni, si le "oui" l'emporte, quelle en sera la portée dans l'esprit collectif européen ? Cela pourrait-il entraîner une remise en cause plus profonde des institutions et des systèmes de valeurs, comparable au Printemps des peuples en 1848 ou à Mai 68 ?

David Engels : Visitant l’Écosse depuis de nombreuses années déjà, je crois que le scrutin risque d’être très serré, car contrairement aux Basques ou aux Catalans, la plus grande majorité des Écossais a abandonné sa langue au profit de l’anglais et sera donc plus influencée par le contexte économique ou politique du moment que par des questions vraiment identitaires. Néanmoins, le fait déjà que ce référendum ait lieu est un signe fort que l’Europe est rentrée dans une nouvelle phase de son histoire et que des structures nationales considérées comme immuables depuis au moins un siècle seront de plus en plus violemment remises en question. Le résultat du référendum écossais a, finalement, peu d’importance en tant que tel : mais sa simple tenue sera un argument décisif en faveur de tous les autres irrédentismes ou régionalismes. Et les conséquences nous affecteront tous. Imaginez, dans la conjoncture actuelle, une sécession de la Catalogne, région la plus riche de l’Espagne : les bourses et les agences de notation ne manqueront pas de faire chuter la crédibilité de ce qui restera de l’Espagne ; avec des suites catastrophiques sur la stabilité de la zone euro tout entière...

Dès lors, aussi longtemps que l’Union européenne n’aura pas trouvé le courage de construire un véritable État à la fois proche du citoyen et soucieux de l’identité culturelle spécifiquement européenne, le morcellement potentiel d’États comme le Royaume Uni, l’Espagne, la Belgique ou même la France (pensez aux Bretons) ne se résumera pas à une simple question d’arithmétique du nombre des États membres de l’UE, mais représentera un danger vital pour tout son équilibre interne. Ceci dit, vu la situation actuelle, un tel chamboulement risque d’avoir, à la longue, plus de conséquences positives que néfastes...

Ce qui pouvait apparaître comme immuable ne l'étant plus tout à fait, les peuples pourraient-ils être davantage tentés de remettre en question les schémas existants ? Une sorte de complexe, qui jusqu'ici empêchait de pleinement remettre en cause l'existence de certaines institutions ou certains systèmes de valeur à tous les niveaux, pourrait-il voler en éclats ?

Je crois que la remise en question des anciens États-nations témoigne de deux motivations et réalités assez différentes, bien qu’elles aient conclus, du moins pour le moment, une alliance un peu contre-nature. D’un côté, nous constatons, comme conséquence de l’idéologie ultra-matérialiste qui régit notre société et de l’ambiance de crise et de défaitisme qui caractérise notre vieux continent, un égoïsme croissant de la part de tous ceux qui ne s’en tirent pas (encore) trop mal et qui sont prêts à couper tous les liens de culture, de langue, d’histoire ou de sang afin de devoir partager aussi peu que possible leurs richesses avec leurs voisins immédiats. Ceci ne s’applique pas uniquement aux individus, mais aussi aux régions, et ainsi, sans surprise, ce sont la Flandre, l’Écosse, la plaine du Po ou la Catalogne qui veulent se débarrasser, sous le prétexte cynique de la "subsidiarité", de leurs pauvres parents méridionaux, et non l’inverse.

Mais d’un autre côté, et cela me paraît bien plus positif, ces régionalismes sont aussi le témoignage que l’esprit régional avec tout l’attachement au terroir et au passé qu’il implique n’a pas encore entièrement disparu, alors que les États-nations et ses politiciens se sont totalement discrédités en trahissant la solidarité sociale au profit d’un capitalisme outrancier, la spécificité de la culture européenne au profit d’un mondialisme à l’américaine, et les intérêts de leurs populations au profit d’une immigration qui échappe désormais à tout contrôle. Peut-être que le retour à une politique plus régionaliste constituerait à la fois un bain de jouvence déontologique et culturel pour notre caste politique et un renouveau pour la construction identitaire européenne ? On peut toujours rêver...

Sommes-nous en train d'entrer dans une ère plus "relativisante" quant à ce qui fait les appartenances ? Quels avantages, mais aussi quelles dangers une telle évolution présenterait-elle ?

Certes, ne nous faisons pas d’illusions sur la triste réalité : les anciennes valeurs traditionnelles de l’Europe perdent pied face aux diktats "politiquement corrects" d’une élite politique composée essentiellement de managers opportunistes favorisant, sous couverture d’idéaux universalistes, l’atomisation des individus et la création d’un énorme marché mondial entièrement dominé par un capitalisme financier rapace. La relativisation de l’État-nation en est la conséquence directe, ce qui n’a rien d’étonnant vu son discrédit démocratique et son abdication face aux institutions internationales et aux marchés mondiaux. Mais l’éveil des identités régionales témoigne de la ténacité des différentes traditions locales et donc des strates les plus archaïques de l’identité culturelle européenne. Dans ce sens, il n’est guère surprenant que ce ne soit pas de Paris, Londres ou Bruxelles, cités déjà majoritairement peuplées de personnes de tous horizons, que vient ce renouveau, mais de minorités plus ou moins périphériques qui ont maintenu, à travers les siècles, leur spécificité culturelle.

J’ose espérer que ce réveil identitaire puisse, à la longue, gagner tout le continent et s’opérer dans un esprit de fraternité européenne, fraternité basée non seulement sur le partage d’une riche histoire culturelle, religieuse et politique millénaire, mais aussi, hélas, sur le partage actuel des mêmes problèmes économiques, ethniques et identitaires. Dans ce cas, tout espoir n’est peut-être pas encore perdu que ce réveil puisse avoir aussi des répercussions à un niveau supérieur de la politique européenne et permettre la reconstruction du continent après le grand crash économique et culturel inévitable que nous vivrons bientôt et dont les conséquences ne deviendront que de plus en plus désastreuses au fur et à mesure que nos politiciens s’évertuent à en repousser l’échéance d’une période législative à l’autre...

Propos recueillis par Gilles Boutin

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