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Pourquoi “Les migrations pour les Nuls” ne mérite pas la levée de boucliers déclenchée par les bien-pensants de l’immigration
©Reuters

Pourquoi tant de haine

Ce jeudi 11 septembre sortait en librairie "Les migrations pour les Nuls", nouveau livre des éditions First. Une sortie qui fait polémique à cause de son auteur, Jean-Paul Gourévitch, très apprécié de l'extrême droite pour ses idées sur l'immigration et l'islamisme. Le personnage est certes douteux, mais le contenu de son livre est incontestablement bien référencé.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Le dernier né des éditions First, Les migrations pour les Nuls, fait l'objet d'une vive polémique. En cause, son auteur Jean-Paul Gourévitch, critiqué pour l'estimation qu'il avait faite du coût de l'immigration, et pour sa participation à des conférences organisées par le FN, le Bloc identitaire ou encore Riposte laïque. Mais qu'en est-il du contenu de ce livre ? Répond-il aux critères auxquels la collection "Pour les nuls" nous a habitués ?

Gérard-François Dumont : Ce qu’il faut analyser, c'est le contenu de ce livre volumineux de 454 pages. Le scientifique doit s'attacher à vérifier dans un premier temps si l'auteur utilise les définitions qui correspondent à ce qu'on lit dans la littérature universitaire. En l'occurrence, celles que l'auteur utilise sont-elles contestables? Absolument pas. Dès le début du livre, l’auteur attire par exemple l'attention du lecteur sur la nécessité de faire la différence entre les « immigrants » et les « étrangers », l'immigrant étant celui qui vit dans un pays alors qu'il est né dans un autre pays, et l'étranger, une personne qui vit dans un pays mais qui a la nationalité d’un autre pays. Un immigrant peut par exemple être de nationalité française s'il l'a acquise, ou de nationalité étrangère. Cette différence essentielle[1] est présentée de façon très pédagogique, avec une référence au débat entre Nicolas Sarkozy et François Hollande en mai 2012.

La collection "Pour les nuls" est inévitablement inégale, mais en l'espèce cette publication est de très bonne qualité. L’auteur utilise une variété considérable de sources et sait donner des ouvertures au lecteur en lui présentant par exemple dix films ou dix livres qui appréhendent les questions migratoires. Il livre parallèlement des analyses et des chiffres extrêmement utiles pour la connaissance du phénomène.

La pédagogie du livre est-elle "très marquée à droite", comme l'écrit le Monde ?

Si, par droite, vous entendez le fait que l’auteur aurait tendance à traiter la question selon des jugements de valeur correspondant à ce que l’on peut lire dans des programmes politiques de la droite, la réponse est négative. Au contraire, ce livre témoigne de la culture encyclopédique de l'auteur qui, manifestement, se documente selon l’éventail le plus large possible. Il sait faire la balance en présentant des analyses opposées.

Parmi les critiques injustifiées, l’une des personnes interrogées par Le Monde critique l’auteur pour son utilisation de l’expression "migration prénatale". Or, c'est une réalité absolument incontestable : concernant la France, il suffit d'aller en Guyane et à Mayotte pour voir qu'un certain nombre de femmes enceintes étrangères (Comoriennes pour Mayotte, et Surinamiennes pour la Guyane) ont le souci d'accoucher sur le territoire français parce que les conditions hospitalières y sont meilleures, et parce le fait que leur enfant soit née sur le sol français a des effets juridiques. C'est d’ailleurs en partie pour cette raison que la maternité de Mamoudzou, la capitale de Mayotte, déteint le record français du nombre des naissances.

Le phénomène de "migration prénatale" existe également en métropole lorsque des femmes vivant hors de France, compte tenu des difficultés de leur grossesse, préfèrent venir accoucher en France que dans leur pays où  les services obstétriques sont de moins bonne qualité. Le phénomène de "migration prénatale" n'est pas propre à la France. En Amérique, des Mexicaines ou des Hispaniques choisissent de venir accoucher aux États-Unis, notamment parce ce pays applique un droit du sol intégral : tout enfant né sur le territoire américain acquière immédiatement la nationalité étatsunienne (à l’exception des enfants de  diplomates). Les immigrants en situation irrégulière dont l’enfant est de nationalité états-unienne sont alors difficilement expulsables ; c’est l’une des raisons du chiffre, officiel aux Etats-Unis, d’environ 10 millions d’immigrants clandestins.

Selon François Héran, directeur de recherche à l'Institut national des études démographies (INED), interrogé par Le Monde, "on ne peut pas choisir quelqu'un qui écrit sur le mode de la dénonciation du complot", ajoutant que "le fait qu'un auteur comme celui-là soit chargé d'un livre d'initiation dans une collection aussi populaire est un signe révélateur de la lepénisation des esprits." Ce type de discours ne revient-il pas lui-même à verser dans la théorie du complot ?

Ces formulations n'ont rien de scientifique, ce sont des argumentations ad hominem faites par une personne qui n'a sans doute pas lu attentivement le livre. S'il se trouvait dans ce livre une approche de la question migratoire qui ne serait pas fondée sur les concepts généralement utilisés en science de la population, il serait éminemment  critiquable. Or, il suffit de lire le riche plan du livre pour comprendre que l'auteur a l'intention d'aborder l'ensemble des questions migratoires et, à chaque fois, de présenter la diversité possible des approches. Par exemple, lorsque l’auteur traite de la connaissance statistique des migrations en France, il le fait avec objectivité et sans agressivité : il constate simplement que la France est un pays qui n'a pas de registre de population, alors que cela existe dans de nombreux pays d'Europe. Sur une question aussi essentielle qui participe à certains succès politiques, son ton pourrait être beaucoup plus critique car il est vrai que la France est déficiente dans son système d’observation statistique des mouvements migratoires.

Cette levée de boucliers est-elle révélatrice d'une incapacité généralisée à aborder le thème de l'émigration de manière désidéologisée et dépassionnée ?

L'éditeur a confié la rédaction de ce livre à une personne qui n'est pas encartée par une des institutions de l'Etat qui ont normalement pour fonction d’étudier des migrations. Certains, sous prétexte qu'ils considéreraient les seuls à avoir le droit d'en parler, ont pu se sentir vexés. Mais à partir du moment où quelqu'un a les compétences nécessaires, quand bien même il n’est ni professeur des universités, ni chercheur au CNRS, un éditeur peut bien lui confier l'écriture d’un livre sur les migrations.

Ce qui déplaît sans doute aussi, c'est que l'auteur rappelle qu'il est très difficile de parler objectivement des migrations en France, parce que cela soulève rapidement des passions dans un sens ou dans un autre. Certains voudraient en faire, et l'ont déjà fait par le passé, un sujet tabou. Systématiquement, on cherche à ranger les personnes dans la case des "favorables" et "défavorables" aux migrations, ce qui n'a aucun sens au vu du caractère extrêmement diversifié et complexe du phénomène.

Un telle levée de boucliers n’a d’ailleurs pas de sens car cela revient à prendre les lecteurs pour des imbéciles. Or le lecteur qui s’applique à découvrir les 454 pages de ce livre a aussi un sens critique lui permettant d’apprécier tel chapitre et d’être moins laudatif sur tel autre.  



[1] Cf. par exemple : Dumont, Gérard-François, « Étrangers, immigrants, population d’origine étrangère : clarifions les définitions », Population & Avenir, n° 698, mai-juin 2010.



Propos recueillis par Gilles Boutin

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