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2011 : quand Nicolas Sarkozy redoutait déjà une scission de la frange centriste de l'UMP
©REUTERS/Benoit Tessier

Bonnes feuilles

Témoignage de l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Maxime Tandonnet sur les coulisses du quinquennat. Extrait de "Au cœur du volcan - Carnets de l'Elysée, 2007-2012", publié chez Flammarion (2/2).

Nouvelle réception des députés proches du chef de l'État. Le président redoute plus que tout une scission de l'UMP dont la frange centriste pourrait se rallier à une candidature à la présidentielle de Jean-Louis Borloo. Les élections cantonales viennent d'avoir lieu 1, marquées par une nouvelle poussée du Front national en nombre de voix, même si celui-ci ne l'emporte que dans une infime poignée de cantons.

Une fois n'est pas coutume, la séance débute par une question, posée par un député de Paris, Bernard Debré : «Quand vas-tu annoncer ta candidature ? On l'attend pour se mettre en ordre de marche ! — Ah, s'amuse le président, on va croire que je me suis fait poser la question ! En tout cas c'est l'occasion pour moi de dire quelques mots de politique…» Suit un long monologue qui ressemble en tout point à celui tenu le mois précédent par lequel il semble, comme bien souvent, chercher à se rassurer lui-même. « Qu'attendent les Français ? Que je fasse mon travail et certainement pas que je sois candidat. La division conduit à nulle part. Nous gagnerons ensemble ou vous perdrez chacun dans votre coin ! En 2005, qui a transcendé la déchirure entre “la France du oui et la France du non 1” ? C'est moi ! Est-ce que vous savez ce qu'est une présidentielle ? Entre les deux tours, en 2007, je n'ai pas passé un coup de fil parce que les Français détestent qu'on leur donne des consignes de vote ! C'est la raison pour laquelle j'ai tenu une position sur le Front national qui m'est reprochée2. Arrêtons de donner des leçons de morale à propos de ce parti, les Français ont horreur de ça ! Et restons unis ! Nous n'allons pas recommencer la guerre UDF-RPR, Giscard-Chirac ! J'ai moi-même été ultraminoritaire dans ma famille politique. De 1995 à 2002, j'étais sifflé dans les meetings ! Est-ce que vous m'avez vu faire scission ? On ne quitte pas sa famille politique, on ne la détruit pas, on ne construit rien sur la division ! Je sais bien que tout ce que je vous dis sera répété ! Alors dites à Jean-Louis3 que je suis son ami ! Moi, la situation je la sens bien4 ! Je connais tellement le pays ! Le promeneur au bord du champ qui regarde au loin le paysan labourer, il ne voit rien en réalité ! Il n'a aucune idée de ce que représente son travail ! J'ai pris une décision très dure, une décision qui m'a coûté sur le plan affectif : celle de me séparer de mon meilleur ami. Brice Hortefeux compte à mes yeux comme un frère. On est ensemble depuis qu'il a seize ans et moi dix-neuf ! Vous croyez que ça a été facile de lui dire : “Prépare-toi à faire autre chose ?” Et pourtant, c'était mon devoir ! La presse l'avait relégué dans un coin qui avait fini par l'inhiber. Vous croyez vraiment qu'en France, il va se trouver une majorité pour voter l'abrogation des lois Sarkozy sur la sécurité ? Pour revenir sur ma politique de maîtrise de l'immigration ? Pour croire qu'on peut se payer le luxe de retourner à la retraite à soixante ans et aux 35 heures ? Je serais fort étonné que 2012 marque une envie de socialisme. On me dit : “Il faut que les Français soient fiers de leur pays !” Ils le sont quand ils voient nos avions qui volent vers Benghazi ! Ou quand nous ramenons la paix en Côte d'Ivoire en évitant à 22 millions d'hommes un bain de sang1 ! Ah si je devais tous les jours tenir compte de ce qui s'écrit sur moi, des pronostics des sondages, il y a longtemps que le cortège du cimetière se serait formé derrière mon corbillard ! Pourquoi encore tous ces livres, tous ces articles, ces “unes”, toutes ces émissions. Les gens se demandent : “Mais comment se fait-il qu'il tienne encore ? C'est extravagant !” Sur les retraites, tout le monde disait : “Voilà, c'est mai 1968 !” Mais dès le lendemain, plus rien ! Plus un entrefilet ! Le débat sur la laïcité2 ? On était des racistes contre les musulmans ! Nous étions à jeter ! Le vendredi suivant, fini ! Plus rien ! Ah, il y a eu un débat ? Ah bon ! Vous comprenez ce que je veux dire ? »

Sarkozy parle comme un chef d'équipe, un tribun, improvisant, s'exprimant sans la moindre note, alternant les phases de confidences murmurées dans le micro, les envolées lyriques et les pointes de colère. Chaque phrase est prononcée sur le mode d'une exclamation. Le naturel de son propos se manifeste par des successions de légers bafouillis à moitié volontaires, censés traduire la familiarité de l'échange et la passion qui l'anime. Les observations s'enchaînent au fil de sa pensée. Il part à chaque fois d'un constat, d'une idée et livre le fond de sa pensée sous la forme d'une longue digression. À la fois simple et professoral, il donne une nouvelle leçon à ses amis politiques. Que ressentent les députés présents : sans doute un mélange de fascination et d'exaspération. Sarkozy le voit-il ? Pas sûr…

Je sens bien la situation » est la phrase clé de son intervention : est-il sincère où pratique-t‑il devant ses troupes la méthode Coué ? Je ne sais que penser. Il me semble, comme à mes collègues et à beaucoup de parlementaires, qu'il sous-estime la difficulté de sa position et l'ampleur de son rejet dans une partie de l'opinion. Cette habitude de convier les parlementaires de la majorité à l'Élysée – qui remonte d'ailleurs, sous d'autres formes, à ses deux prédécesseurs1 –, me paraît contestable au regard de son rôle « d'arbitre », prévu par la Constitution. Un jour, cela lui sera reproché.

Extrait de "Au coeur du volcan - Carnets de l'Elysée, 2007-2012", de Maxime Tandonnet, publié chez Flammarion, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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