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Histoire d’une névrose : ce qui condamne la gauche réformiste à l'immobilisme économique
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Bonnes feuilles

À travers ce tableau iconoclaste, l’auteur dévoile, au nom de la gauche dont il se réclame, les conditions de la guérison collective d’un pays aujourd’hui en proie à une morosité persistante. Extrait de "Histoire d’une névrose - La France et son économie", de Jean Peyrelevade, publié chez Albin Michel (2/2).

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade fait partie de l'équipe de campagne de François Bayrou pour l'élection présidentielle.

Ancien conseiller économique du Premier ministre Pierre Mauroy, il fut également directeur adjoint de son cabinet.

Économiste et administrateur de plusieurs sociétés françaises et européennes de premier plan, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution du capitalisme contemporain.

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Ainsi la gauche réformiste (pour ne pas parler de la gauche de la gauche) est-elle enfermée dans une contradiction passéiste qui la condamne à une sorte d’immobilisme. Au fond, chacun sait que l’égalité est, dans la réalité, hors d’atteinte. Faire des efforts continus pour ne pas trop s’en éloigner est déjà bien. Poursuivre sans cesse une égalité parfaite virtuelle, imaginaire, constitue une fuite en avant perpétuelle qui condamne à l’inefficacité. Être prisonnier de cet héritage pesant interdit de transformer le présent, a fortiori de préparer l’avenir.

Or la relation à l’argent et à l’économie constitue pour les socialistes une sorte de nœud gordien de difficultés dont il faudrait non pas trancher mais démêler les fils. Empruntons de nouveau une excellente expression à Charles-Henri Filippi[1] : « L’argent est à la fois un moteur de la société et son principal risque d’éclatement. L’enrichissement est d’un côté une motivation importante des individus, facteur de progrès individuel et collectif, d’autre part une source de conflits » puisqu’il fabrique, de façon quasiment automatique, de l’inégalité. Socialiser l’argent sans le nier, trouver un nouvel équilibre entre esprit collectif et enrichissement personnel, ne casser ni les valeurs de la démocratie ni les ressorts de l’économie, telle devrait être la tâche d’une gauche réellement réformiste, au moment où, par carence de la droite, elle se retrouve à nouveau au pouvoir.

Lionel Jospin, en 1983, est alors premier secrétaire du Parti socialiste et répond aux questions de Marie-Laurence Netter qui prépare un livre sur la Révolution[2]. Interrogé sur les principes de liberté et d’égalité, sa lucidité est comme d’habitude impressionnante, de même que son honnêteté intellectuelle : « La gauche prend cet héritage de la Révolution française » mais pense que comme c’est une révolution bourgeoise, « il y a la nécessité soit d’une autre révolution, soit de la réforme sociale », selon que l’on est communiste ou socialiste. Il reconnaît que « les classes dirigeantes françaises ont tellement investi dans le phénomène politique de la Révolution » qu’elles ont négligé les phénomènes économiques. « C’est une révolution politique beaucoup plus qu’une révolution économique. »

Bien entendu, il voit que si l’on ne peut dissocier liberté et égalité qui vont ensemble, les deux normes ont cependant un aspect contradictoire. D’un côté, « la liberté ne peut être véritablement concrète pour les individus que si l’égalité est réalisée ». Mais, en même temps, la pratique de la liberté provoque « une inégalité d’un autre caractère, mais très grande entre les individus, qui est une inégalité de caractère économique ».

On est au cœur du problème, sinon de la contradiction. Comment trouver un équilibre, comment choisir ? Le parti pris de Lionel Jospin, parfaitement assumé, tout à fait conscient, est révélateur de l’enracinement de ses préférences : « Un égalitarisme excessif crée des difficultés économiques […]. Et je pense par ailleurs que l’égalitarisme […] tendrait à nier les formes diverses que peut prendre l’épanouissement individuel. Il y a ces deux dimensions. Mais sur un plan je dirais un peu psychologique et moral, moi, je serais plutôt égalitariste. » On reste confondu : chez ce futur Premier ministre, la conception égalitaire de la société passe avant l’efficacité économique. Heureusement, sa pratique du pouvoir, après la dissolution de 1997, sera un peu plus nuancée !


[1] Charles-Henri Filippi, L’Argent sans maître, Éd. Descartes, 2009.

[2] Marie-Laurence Netter, La Révolution française n’est pas terminée, PUF, 1984.

Extrait de "Histoire d’une névrose - La France et son économie", de Jean Peyrelevade, publié chez Albin Michel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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