François Rebsamen voudrait que les patrons aillent plus vite mais oublie les motivations qui poussent vraiment les entreprises à embaucher<!-- --> | Atlantico.fr
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François Rebsamen souhaite que les entreprises créent plus d'emplois.
François Rebsamen souhaite que les entreprises créent plus d'emplois.
©Reuters

Plus facile à dire qu'à faire

François Rebsamen a rassemblé mercredi les représentants des 50 plus grandes branches professionnelles pour évoquer les contreparties du Pacte de responsabilité. Le ministre du Travail demande aux entreprises de jouer le jeu et d'embaucher. Mais le ministre oublie que les entreprises ont besoin de croissance pour s'agrandir.

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : Le ministre du Travail François Rebsamen a déclaré que, dans le cadre de l'application du Pacte de responsabilité, les entreprises devaient "jouer le jeu". La question se pose-t-elle en ces termes là ? Qu'est-ce qui pousse vraiment les entreprises à embaucher ? 

Jean-Charles Simon : Evidemment rien qui ressemble à une bonne ou une mauvaise volonté, contrairement à ce que peut laisser penser la déclaration du ministre. Qui, comme beaucoup de politiques, ne doit pas vraiment connaître les entreprises pour imaginer que "jouer le jeu" ait un sens quelconque à leur propos. Il est vrai que dans les collectivités locales qu’ils ont l’habitude de gérer, c’est plus facile : on peut embaucher… et financer par une hausse d’impôts !

Pour les entreprises, un seul facteur : ont-elles les équipes nécessaires pour faire face à leurs carnets de commande et à leurs objectifs ? Objectifs qui dépendent eux-mêmes d’un climat lié aux commandes, et déterminent l’investissement, le lancement de nouveaux produits ou services, la R&D, etc. D’où le caractère décisif des anticipations sur l’activité dans leur secteur. Si elles deviennent très favorables, alors les entreprises seront d’autant plus incitées à embaucher, y compris dans la perspective de commandes encore virtuelles. 

François Rebsamen a aussi déclaré dans le cadre de l'application du Pacte de responsabilité que "s'il y a des branches, des secteurs, qui ne jouent pas le jeu, moi je suis là pour leur dire que ça ne peut pas durer." Les aides publiques peuvent-elles être une incitation réelle à l'embauche, ou n'agissent-elles finalement qu'à la marge par rapport au contexte économique ? 

Les aides publiques peuvent conduire à des arbitrages, par exemple entre différentes formes de contrat ou de profils recrutés. Pour des aides importantes comme le CICE ou les allégements bas salaires, cela modifie l’équation du coût du travail à hauteur de l’aide. Mais fondamentalement, ça ne détermine qu’à la marge, tout au plus, des décisions d’embauche ou au contraire de réduction d’effectifs. Le contexte propre à l’entreprise, c’est-à-dire encore une fois la demande qu’elle perçoit ou qu’elle espère pouvoir susciter avec ses produits ou services, il n’y a que ça. Et pour aller au-delà de son strict carnet de commandes, il faut que l’environnement économique qui est le sien – celui de ses marchés et de son secteur – apparaisse porteur. 

Avec une croissance proche de 0, les entreprises françaises sont pour l'instant frileuses pour embaucher. La croissance, et donc la possibilité de développer son activité, est-elle le prérequis incontournable de toute motivation d'embauche ?

C’est beaucoup plus microéconomique que cela. La croissance du PIB est bien sûr l’indicateur phare pour mesurer le dynamisme de l’activité dans tout le pays, mais pour une entreprise, ça reste abstrait. Ce qui compte est bien la croissance dans son domaine d’activité. La résultante pondérée de toutes ses micro-croissances étant la croissance d’ensemble. Pendant la crise, certains secteurs n’ont cessé de recruter, notamment dans les services, alors que dans l’ensemble, les activités industrielles étaient très affectées. Il y a donc autant de réalités qu’il y a d’entreprises. Mais bien entendu, les bonnes nouvelles sur le front économique ne peuvent qu’être favorables, même pour ceux qui ne les ressentent pas directement. Un climat qui s’améliore favorisera les anticipations positives, même s’il faudra rapidement qu’il se concrétise au plus près du vécu de chacun pour se transformer en décisions.

Un retour de la croissance suffirait-il pour autant à arranger les choses ? Qu'en est-il de l'autre argument souvent mis en avant, le manque de flexibilité dans la gestion du personnel ? Comment se partage la duo croissance/flexibilité entre les entreprises ? 

Actuellement, avec une croissance zéro, l’emploi se stabilise. Car il a déjà beaucoup chuté depuis la crise : 550 000 emplois perdus dans le secteur marchand. Avec un peu de croissance, il y aura donc très vraisemblablement de l’emploi en plus, car les entreprises se sont restructurées pendant les difficultés, et elles auront besoin de recruter. Mais bien entendu, le redémarrage de l’emploi est d’autant plus bridé que la flexibilité du marché du travail est faible. A l'inverse, dans d’autres pays où le marché du travail est beaucoup plus flexible, on voit que l’ajustement de l’emploi à la baisse comme à la hausse est beaucoup plus spectaculaire et procyclique. Par ailleurs, plus la reprise sera forte, moins les rigidités du marché du travail pèseront sur les décisions des employeurs, comme ce fut le cas en 1998-2000. 

De manière générale, toute chose égale par ailleurs, quels sont les secteurs d’activité qui sont enclins à embaucher dès que la croissance revient un peu (et qui ont donc une plus haute tolérance au risque), et quels sont les secteurs qui restent très frileux même quand le contexte général s'améliore ? 

Il est difficile de généraliser, d’autant que ce qui s’est passé pendant un cycle ne vaut pas nécessairement pour le suivant. Mais d’une manière générale, plus vous êtes dans des activités à cycle long et à investissements élevés, plus la reprise de l’emploi est lente. Inversement, dans certaines activités de service à très faibles coûts de structure et qui sont très riches en main d’œuvre, l’emploi peut bondir très rapidement quand la croissance revient. Et il ne faut pas oublier que l’ajustement de l’emploi se fait aussi avec des types de contrat privilégiés. Ainsi, l’intérim va repartir d’abord dans tel secteur (exactement ce qui s’est passé au deuxième trimestre) et ensuite, si l’activité s’affermit, alors une partie des emplois en intérim deviendront des emplois dans l’entreprise, peut-être en CDD, puis de plus en plus en CDI si le cycle positif se confirme. 

Dans quelle mesure la taille et le secteur d'activité d'une entreprise influent-elles sa capacité d'embauche ? 

Contrairement à ce qui est parfois évoqué, ce ne sont pas nécessairement les PME qui embauchent le plus : ce sont plus précisément les jeunes entreprises, en tout cas une partie d’entre elles, qui contribuent le plus fortement à la croissance de l’emploi. Pour ce qui est des secteurs, je le disais, il y a des tendances lourdes. Avec une tendance accrue à la tertiarisation dans l’industrie, et certains secteurs très porteurs, comme l’informatique, mais aussi tout ce qui est juridique / ingénierie / conseil / comptabilité. Deux grands domaines qui ont été particulièrement dynamiques en emploi ces dernières années malgré la crise. 

Dans quelle mesure la compétence d'un candidat potentiel impacte-t-elle le désir de l'entreprise d'employer en période de croissance modérée ?

Tout dépend de la structure de l'entreprise, mais il est peu fréquent d’embaucher si on en n’avait pas l’intention, uniquement car on ne veut pas laisser passer un profil particulièrement intéressant. De telles éventualités étant plus susceptibles de se rencontrer en grande entreprise, car les marges de manœuvre y sont plus importantes. Mais hélas, la compétence et la motivation ne suffiront pas à convaincre un employeur s’il n’a pas de besoins de main d’œuvre. Encore une fois, c’est l’activité perçue ou raisonnablement espérée qui pourra justifier une hausse de l’effectif dans une entreprise. Même si elle a une trésorerie abondante, il lui faudra une raison liée à l’activité pour embaucher. A contrario, il faut répéter qu’il y a toujours des secteurs qui embauchent, même pendant la crise. Et toujours des emplois non pourvus, quelle que soit la conjoncture. Voilà de quoi motiver et aiguiller les candidats à l’emploi vers ces secteurs ou métiers.

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