Tous les secrets de la stratégie draconienne d'Apple pour contrôler son image auprès des médias<!-- --> | Atlantico.fr
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Le site 9to5mac a analysé les techniques utilisées depuis toujours par la marque à la pomme afin de contrôler son image.
Le site 9to5mac a analysé les techniques utilisées depuis toujours par la marque à la pomme afin de contrôler son image.
©Reuters

Tout est sous contrôle

La Keynote tant attendue d'Apple pour présenter l'iPhone 6 aura lieu ce mardi 9 septembre. Un rendez-vous avec les médias du monde entier soigneusement préparé par les têtes pensantes de la marque...

Le département des relations publiques d'Apple est sans doute le meilleur au monde. Avant que les consommateurs aient la moindre chance de voir ou de toucher un nouveau produit, la compagnie s'est déjà arrangée pour contrôler chaque information concernant son dernier-né. Elle a géré l'évolution de chaque rumeur, donné des informations au préalable à ses journalistes favoris et trié sur le volet les VIP invitées à ses Keynotes. C'est notamment ce qui s'est passé avant la sortie de l'iPhone 6 ce 9 septembre.

Les trois-quarts du temps, la stratégie d'Apple a incroyablement bien marché et ce, des années durant. Mais cela a aussi créé des tensions, au sein des équipes elles-mêmes et entre l'entreprise et certains journalistes.

Il y a quelques mois, quand Tim Cook, le PDG d'Apple, a annoncé sa volonté d'effectuer un changement de cap dans sa stratégie de communication, Katie Cotton, qui dirigeait le service des relations publiques depuis des années, a quitté le navire. Alors que le poste est encore vacant et que la volonté de Tim Cook demeure floue, plusieurs sites web dont 9to5mac ont analysé les techniques utilisées depuis toujours par la marque à la pomme afin de contrôler son image, l'air de rien.

Des évènements planifiés jusqu'au moindre détail

Tout commence un jour, au cours d'une présentation de Steve Jobs : un membre de l'audience s'évanouit. Rapides et invisibles, les représentants de l'équipe RP d'Apple ont guidé les équipes médicales pour accompagner le malade dehors, sans interrompre ou perturber une seule seconde la présentation. Si elle peut sembler anodine, cette anecdote démontre à quel point rien n'est laissé au hasard lors des évènements organisés par Apple. Tels des gardes du corps, les membres de l'équipe RP sont rodés pour évacuer dans la plus grande discrétion les perturbateurs ou faire barrage de leur corps à tout journaliste malvenu.  

Un membre de l'équipe explique aux journalistes de 9to5mac : "La Keynote, c'est comme une production. Vous devez l'apprécier spécialement". Chaque élément de la présentation est réglé en avance, des nuances de l'éclairage au positionnement des écrans en passant à l'emplacement de chaque intervenant - absolument chaque détail est sous contrôle.

Le processus commence plusieurs semaines avant la "Keynote". Les membres des RP gardent un œil sur les médias pour déterminer leurs attentes : quand ces dernières vont trop loin, ils laissent alors fuiter quelques informations dans le but de les tempérer. Les patrons du groupe s'entrainent à parler pendant deux semaines dans l'auditorium d'Apple et les membres des RP préparent des livrets spéciaux qu'ils donnent aux autres salariés. Dans le même temps, la société envoie des invitations à des personnes triées sur le volet : un petit groupe d'employés, des journalistes des médias les plus importants comme Bloomberg News, le New York Times, Reuters et le Wall Street Journal, et un petit groupe de blogueurs pro-Apple.

Préparatifs mis à part, les évènements médias d'Apple sont presque toujours de grandes performances. Même si celles de Tim Cook ont été critiquées car plus prévisibles et mécaniques que celles de Steve Jobs, l'énergie et la mise en scène de ces évènements demeurent une source d'inspiration pour de nombreux concurrents de la marque.

L'organisation des équipes de relations publiques

Afin de contrôler au maximum son image, Apple essaye de faire appel le moins possible à des intervenants extérieurs et augmente petit à petit ses ressources marketing. D'ailleurs, selon certaines sources, la marque essaierait même de débaucher les meilleurs éléments du Media Arts Lab pour intégrer son équipe.  

Malgré sa taille gigantesque, la société ne compte que peu d'employés dans ses services de relations publiques et de communication. Ces derniers sont composés des équipes suivantes : Momentum et Buzz Marketing, Mac, Corporate Communications, iPhone, iPad, iTunes, and Events.

L'équipe méconnue de Momentum et Buzz Marketing a réussi à intégrer les produits Apple dans la culture populaire. Momentum travaille avec d'importants clubs de sports afin d'intégrer l'iPad dans les accessoires de coaching, encourage les festivals à intégrer des iPad dans les festivités… L'équipe s'arrange également pour mettre des iPhones et des Macs dans les mains de personnalités publiques.

L'équipe Corporate Communications s'occupe des relations avec les investisseurs, tandis que l'équipe Events organise diverses manifestations comme la conférence mondiale annuelle des développeurs à San Fransisco. Et, évidemment, les autres équipes sont en charge de l'image des produits dont elles portent le nom.

Le contrôle de la presse

Malgré sa distance légendaire avec les journalistes, l'équipe RP d'Apple surveille avec une grande attention tout ce qui se dit sur la marque dans les médias. Alors que certains font la chasse aux photos de célébrités téléphonant avec des iPhones, d'autres traquent les blogs high-tech et notent chaque commentaire désobligeant envers Apple. Cette attention est telle que, plusieurs fois par semaine, la compagnie publie un document relatant en détail sa revue de presse. Et mieux vaut que ça lui plaise.

Quand Apple a réalisé que le New York Times allait gagner le prix Pulitzer pour sa série controversée iEconomy enquêtant sur Apple, l'équipe de relations presse de la marque a envoyé de nombreux articles à d'autres journalistes afin de salir le New York Times, assure un proche de la stratégie. D'autres racontent qu'Apple a utilisé une approche similaire pour couvrir les éléments de la biographie autorisée de Steve Jobs par Walter Isaacson. La marque à la pomme n'aurait pas apprécié que l'écrivain fouine pour obtenir des informations supplémentaires à celles qu'elle lui aurait données.

Pour engranger de la publicité gratuite, Apple laisse spéculer les journalistes. Quand un reporter appelle le service RP pour lui demander de confirmer une rumeur, on lui répond : "Si vous étiez totalement à côté de la plaque, je vous le dirais". Puis, le plus discrètement du monde, les services RP préviennent les journalistes de leurs choix pour leur conseiller (ou les empêcher) de suivre telle ou telle piste lancée par tel ou tel auteur.

A l'époque de la domination de la presse écrite, Steve Jobs s'arrangeait pour mettre les médias en compétition. Il arrivait à faire en sorte qu'Apple fasse la couverture de Newsweek ou du Time en les montant l'un contre l'autre. Les journaux devaient se battre pour obtenir un scoop Apple. Plus tard, Steve Jobs transposa cette technique sur les sites internet spécialisés hight-tech, comme Gizmodo ou Engadget, tous deux rivaux. 

Un journaliste spécialiste d'Apple explique : "Quand ils veulent de vous, ils viennent vous voir mais quand ils ne veulent pas répondre à une question ou que cela ne les sert en rien, vous avez de la chance si on vous rappelle".

Le départ d'un tyran

Si la chef des relations publiques, Katie Cotton, a déclaré quitter le navire car elle voulait passer plus de temps avec sa famille, la vérité est toute autre. Tim Cook et elle avaient en fait des points de vue divergents quant à la stratégie média à adopter. Réputée pour contrôler tous les accès des médias à Apple, l'attitude tyrannique de Cotton faisait peur à de nombreux journalistes spécialisés. Ces deniers craignaient qu'on leur empêche d'accéder aux présentations de produits et aux évènements.

Selon divers membres de l'équipe RP, Cotton allait jusqu'à surveiller quotidiennement les heures de départ et d'arrivée de ses employés. Elle était également connue pour avoir ses favoris et ses têtes de turcs dans son département, ce qui poussa nombre de salariés à la démission.

De nombreux employés d'Apple voyaient dans cette attitude dominatrice une manière d'imiter Steve Jobs mais, quand ce dernier est mort, tout a changé. Quand Tim Cook a pris les rênes d'Apple en 2011, il a immédiatement informé le service RP qu'Apple devait devenir une entreprise plus amicale et proche des gens, au niveau interne et commercial. Il a commencé à donner des interviews et a poussé les autres patrons de l'entreprise à faire de même. Cotton ne suivant pas, elle a été poussée à la porte.

Deux cerveaux au lieu d'un

A son départ, Katie Cotton ne nomma personne pour lui succéder et laissa le service RP d'Apple aux mains de deux responsables de longue date : Steve Dowling et Natalie Kerris. Ils l'ont remplacée en mai et traitent désormais directement avec Tim Cook.

Steve Dowling a dirigé l'équipe de Corporate Communications durant la dernière décennie. Il a rejoint l'équipe des relations publiques d'Apple en 2003 après avoir travaillé pour la chaîne de télévision CNBC pendant trois ans. Son expérience du journalisme lui permet de savoir exactement comment fonctionne un reporter d'Apple aujourd'hui. Selon l'un d'entre eux, Dowling appelle régulièrement de lui-même des journalistes influents afin de leurs donner des informations exclusives et de commenter quelques histoires. "Dans son cœur, il reste journaliste, il connait le jeu". Par ailleurs, Dowling organise une réunion par semaine pour discuter de la marche à suivre avec les patrons de l'équipe PR. D'après certaines sources, Dowling, d'ailleurs ami avec Tim Cook, serait un choix judicieux pour remplacer Katie Cotton. 

Quant à Natalie Kerris, depuis qu'elle a rejoint Apple en 2001, elle a dirigé des campagnes de communication pour des produits phares comme l'iPhone. Si peu de gens la voient succéder à Cotton, ils sont beaucoup à vanter son approche directe. "Elle ne s'encombre pas de formalités et nous épargne le jargon habituel des communicants", déclarent à l'unisson certains journalistes.

La rumeur veut que Kerris et Dowling fassent secrètement campagne chacun de leur côté pour succéder à Katie Cotton. Mais, récemment, certains rapports citant le nom de Jay Carney, ancien secrétaire de presse à la Maison Blanche, ont circulé…

La gestion des crises

Si Apple a connu peu de controverses, la plus importante reste celle de l'iPhone 4 et de son antenne défectueuse. Malgré la mauvaise presse circulant à vitesse grand V sur les réseaux sociaux, Steve Jobs a pris beaucoup de temps avant d'organiser une conférence de presse, ce qui a fait très mauvaise impression. Tim Cook, lui, a tendance à s'exprimer plus rapidement, empêchant ainsi la polémique de se muer en véritable crise.

L'acquisition de Beats Electronics et Beats Music est un parfait exemple d'illustration des problèmes de communication interne au sein d'Apple. Quand des journalistes ont révélé que la marque était en pleines négociations pour acquérir Beats, les services de RP, qui devraient pourtant être les premiers informés sur les nouveaux produits, n'ont pas pu réagir car ils n'étaient au courant de rien... 

Petits privilèges et guides à suivre 

Seuls quelques journalistes triés sur le volet, généralement pro-Apple, reçoivent les produits de la marque en avant-première. Des anciens membres des RP se souviennent avoir dû vérifier chaque boîte d'iPhone et d'iPad à la recherche du moindre défaut avant d'envoyer les produits à des journalistes comme Walt Mossberg, David Pogue et Ed Baig. Ces derniers, qui écrivaient à l'époque respectivement pour The Wall Street Journal, The New York Times et USA Today, sont les trois seuls journalistes du pays à recevoir en avant-première chaque nouveau joujou iOS depuis 2007.

Au fil des ans, Apple a étendu ses "cadeaux" à des sites spécialisés high-tech comme CNET, The Verge et Engadget mais aussi à des blogueurs spécialisés comme John Gruber et Jim Dalrymple. Le premier a d'abord reçu un iPhone 4 et le deuxième un iPhone 4S avant de devenir des habitués des cadeaux Apple.

Mais s'il arrive à la marque à la pomme de se montrer généreuse envers un média, elle peut également décider de lui retirer ses faveurs d'un seul coup. Alors qu'en 2009, Gizmodo avait eu droit de révéler l'iPhone 3GS, le site n'a pas reçu d'iPhone 4 et se trouve depuis en disgrâce. "Apple est en mesure de prévoir ce qu'un magazine va dire grâce à ses précédents écrits et si vous les décevez, ils ne vous donneront plus jamais aucun prototype", explique Brian Lam, ancien journaliste chez Gizmodo.

Par ailleurs, après un évènement, Apple ne laisse jamais les journalistes s'en tenir à leurs notes personnelles. Les membres RP leur donnent toujours un "Reviewer's Guide" afin de les orienter sur un axe le plus marketing possible. 

Steve Jobs et le processus des communiqués de presse

C'est Steve Jobs lui-même qui a développé la stratégie d'assigner un adjectif à chaque produit Apple dans les communiqués de presse. Par exemple, le mot "Magique" est constamment associé à l'iPad tandis que l'App Store est "Légendaire" et l'iPhone "Révolutionnaire". Une fois utilisés dans les communiqués de presse, ces termes sont constamment répétés dans les présentations Apple ou sur son site internet.

Jobs a également demandé à Katie Cotton de faire en sorte que les communiqués de presse soient entièrement rédigés et distribués par Apple et ce, même quand ils impliquaient un partenaire extérieur. Enfin, de son vivant, le fondateur d'Apple mettait un point d'honneur à poser sa touche finale sur chaque communiqué avant de le valider.

Un futur plus transparent ?

Dans son désir de modernité, Tim Cook a déjà engagé de nombreuses nouvelles têtes au sein de l'équipe dirigeante d'Apple l'année dernière, allant de Lisa P. Jackson pour gérer les Initiatives Environnementales à Angela Ahrendts pour diriger les Apple Store.

Par ailleurs, pour les membres des équipes de RP et de Communication, le départ de Katie Cotton ouvre de nouvelles opportunités : ils devraient désormais pouvoir travailler sous la tutelle d'un patron plus transparent et amical.  

Selon les anciens et actuels employés de la firme, Tim Cook recherche actuellement des candidats ayant travaillé avec des gouvernements, disposant d'une grande capacité de travail et d'une compréhension approfondie de l'économie chinoise ainsi que d'une expertise de la technologie de consommation et des réseaux sociaux.

Si on ignore encore sur qui le choix de Tim Cook s'arrêtera, son équipe a déjà tourné la page Katie Cotton. Reste à savoir si ces changements feront complètement disparaître les pratiques manipulatrices des RP ou les étendront tout simplement à de nouveaux médias...

                                                                                                                                                                                                     Raphaëlle de Tappie 

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