François Hollande, entièrement dévoué au “service des pauvres” : quel bilan après 28 mois de pouvoir ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Distribution de repas chauds par l'association caritative des "Restos du coeur".
Distribution de repas chauds par l'association caritative des "Restos du coeur".
©Reuters

Un bilan en demi-teinte

En réaction au livre de l'ancienne première dame, François Hollande a déclaré être au service des plus pauvres. Si le le nombre de bénéficiaires du RSA et de la CMU augmente, les prestations sociales en France demeurent effectivement de solides amortisseurs de la crise mais pèsent également sur les finances publiques.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Le sujet est divisé en deux parties. La première, avec Nicolas Goetzmann, traite du contexte économique de la France, dont l'influence joue un rôle de premier ordre sur le thème de la pauvreté. Dans la seconde, Julien Damon décrypte les principales mesures du traitement social des populations précaires par François Hollande ainsi que le bilan mesurable.

Le Contexte Macroéconomique

Croissance

Nicolas Goetzmann : Suite aux accusations dont il a fait l’objet, François Hollande déclarait "Je ne laisserai pas mettre en cause la relation humaine que j'ai avec les plus fragiles, les plus modestes, les plus humbles, les plus pauvres, parce que je suis à leur service et parce que c'est ma raison d'être, tout simplement ma raison d'être". Si la raison d’être du chef de l’état est de se mettre au service des plus fragiles, il reste à déterminer quelles seraient les conditions nécessaires pour parvenir à des résultats. Et d’un point de vue macroéconomique, le facteur le plus efficace de lutte contre la pauvreté reste encore la croissance. En effet, si un état de pauvreté est constaté au cours d’une année, le meilleur moyen d’en sortir est d’offrir les conditions permettant à la population d’accroitre ses revenus, c’est-à-dire de bénéficier d’une partie de la croissance du pays. Sans croissance économique, cet objectif ne peut que s’éteindre. Malheureusement, il n’est pas difficile de constater la quasi-stagnation de l’économie française depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande dans le graphique ci-dessous :

Evolution de la croissance trimestrielle. France. (En bleu) et seuil de croissance permettant la création d’emplois (rouge). Source INSEE.

(Cliquez sur les graphiques pour les agrandir)

Au cours des 8 trimestres passés depuis mai 2012, seul le deuxième de 2013 a pu afficher un niveau de croissance suffisant à la création d’emplois. 1 sur 8. Les autres trimestres ont été trop faibles pour y parvenir.

Chômage

Bien évidemment, une telle faiblesse de l’activité économique se traduit par une compression des effectifs des entreprises, et une hausse du taux de chômage. C’est ainsi que les chiffres de la catégorie A du pôle emploi se sont alourdis de 500 000 chômeurs supplémentaires depuis la dernière élection présidentielle, comme cela est indiqué dans le graphique ci-dessous :

Catégorie A. Evolution du nombre de chômeurs depuis mai 2012. Source Dares. En milliers

La problématique du chômage et de la pauvreté repose sur le fait que ce sont les catégories les plus fragiles qui se trouvent les plus lourdement touchées par cette situation. En effet, si les cadres sont atteints par le chômage pour moins de 4% d’entre eux, ce sont les ouvriers les moins qualifiés qui sont en première ligne. Une réalité qui se confirme en observant le découpage du chômage en catégories socioprofessionnelles :

Chômage par catégories socio-professionnelles. Source Insee. Données 2012

En 2012 déjà, plus de 20% des ouvriers non qualifiés étaient au chômage. Il est à noter qu’en moyenne les ouvriers non qualifiés gagnent 44% de moins que la moyenne des salariés (et 25% après redistribution), et ce, lorsqu’ils travaillent.

Une fois que cette situation est assimilée, les conditions sont posées pour comprendre le phénomène des inégalités de revenus. En effet, dès lors que les cadres bénéficient d’une situation de quasi plein emploi, tout point de croissance supplémentaire aurait pour effet de bénéficier à la croissance de leurs revenus. De l’autre côté du spectre, les ouvriers non qualifiés. Puisque le taux de chômage est supérieur à 20% pour cette catégorie, la pression à la basse sur les salaires y est très forte. Aucune marge de manœuvre n’est possible pour voir son salaire augmenter, l’offre de travail est bien trop supérieure à la demande. Pour qu’une réelle progression des revenus voie le jour, il serait nécessaire que le pays connaisse plusieurs années d’une forte croissance afin que le taux de chômage revienne à un niveau permettant l’apparition d’une tension sur le marché de l’emploi, c’est-à-dire une situation de plein emploi. A partir de cet instant, les salaires pourront progresser. Mais en attendant, le phénomène inégalitaire est bien parti pour perdurer sur les mêmes bases que les années précédentes :

Progression de niveau de vie. 1er décile. 9e décile.France. Données INSEE

Revenus

Evidemment, sans croissance, les revenus des français ne peuvent progresser. C’est ainsi que le revenu disponible brut des ménages n’a progressé que de 0.5% en 2012, puis de 0.6% en 2013 ; c’est-à-dire les pires progressions (en dehors de l’année 2009) historiques de cet indice.

Progression du revenu disponible brut des ménages. France. En %/ INSEE

Une telle stagnation des revenus a pu entrainer une baisse du pouvoir d’achat des ménages de 1.8% en 2012 puis de 0.6% en 2013. Une baisse qui frappe avant tout les plus pauvres.

Lorsque la croissance stagne, les premières victimes sont les plus pauvres. Si François Hollande veut démontrer que son objectif politique est d’aider les plus démunis, il n’a d’autre choix que de…changer de politique. C’est-à-dire de promouvoir un cadre de forte croissance en France…et en Europe puisque les outils nécessaires à un tel objectif ne sont actionnables qu’au niveau européen. La mise en place d’un objectif de plein emploi pour la BCE, puis, au niveau national, la réforme du marché de l’emploi et les serpents de mer que constituent les fameuses réformes structurelles.

Traitement social de la pauvreté

Atlantico : Après 28 mois de présidence, quel a été le bilan de François Hollande en matière de traitement social de la pauvreté ?  Les mesures sur les thèmes du logement, du chômage, de l'insertion et de la grande précarité montrent-elles une amélioration, ou au contraire une paupérisation des Français ?

Julien Damon : D’abord, sur la période, on ne sait en réalité pas grand-chose des évolutions de la pauvreté. Les dernières données INSEE disponibles sur les niveaux de vie portent sur 2011. Et les dernières informations sur la pauvreté dite en conditions de vie portent sur 2012. Et celles de EUROSTAT nous informent sur 2013.

Toujours sur ce plan des conditions de vie, la pauvreté serait toujours à la baisse, même de 2012 à 2013. Ces chiffres, et les techniques de mesure qui sont derrières, ne sont pas un refuge pour dire que l’on ne sait pas grand-chose et qu’il ne faut rien dire.

Si l’on prend les données sur la pauvreté dite "administrative" (les personnes et ménages dépendant de certaines prestations sociales d’assistance), alors on voit assurément progresser le nombre de bénéficiaires du RSA et de la CMU. Mais cela n’a rien d’étrange. Le problème central étant celui du chômage, on a là l’indicateur le plus important (10,2% sources Eurostat ndlr). Quant au sujet précis du "traitement social" de la pauvreté, il faut admettre qu’il demeure de très haut niveau en France comparé à d'autres pays européens comme l'Espagne, la Grèce ou la Grande-Bretagne. En un mot, nos prestations sociales, dont celles qui relèvent de l’aide et de l’action sociales, demeurent de solides amortisseurs de crise (pour les ménages concernés, et pour l’équilibre général du pays) mais aussi de potentiels amortisseurs de reprise (pesant sur les finances publiques et la dynamique du pays).

Que peut-on imaginer de l'impact du plan de lutte  contre la pauvreté en matière de soutien des populations précaires, et de la réinsertion (en particulier chez les jeunes) ?

Annoncé en janvier 2013, le "Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale" est le énième catalogue de mesures tel que, comme à la Redoute sociale, la droite et la gauche en envoient, depuis deux ou trois décennies, dans les boîtes à lettre des électeurs. Tout ceci est pétri de grands mots et de bonnes intentions, sans grande consistance

Pour les jeunes, de mon point de vue, tant qu’on ne fusionnera pas les Missions Locales avec Pôle Emploi, on n’avancera pas. Plus généralement, le sujet de la pauvreté ne peut être traité véritablement de façon autonome. C’est la politique économique et sociale globale d’un gouvernement qui compte (cf première partie du sujet ndlr). Afin d’être équilibré je pense que ce plan contient tout de même quelque chose d’important : des Etats généraux du travail social. Ceux-ci ont du mal à se mettre en place. Une des raisons se trouve dans la bureaucratie colossale du secteur. Une autre raison se trouve dans le fait que le travail social, en réalité, n’est ni bien connu ni bien vu. C’est une erreur. Réorganiser le travail social, mieux l’évaluer, mieux le faire fonctionner, c’est assurément mieux aider les personnes en difficulté. Mais, en gros, à part les travailleurs sociaux, tout le monde s’en fiche. C’est particulièrement dommage.

Alors que la Politique de la Ville  présentée en juin concentrait son action sur les quartiers de centres urbains, comme Biarritz ou Hendaye, que peut-elle laisser imaginer de son efficacité ? La fracture géographique avec les zones périurbaines et rurales a-t-elle été suffisamment prise en compte dans l'action gouvernementale ?

Je ne crois pas à cette vision ternaire du territoire. C’est dans les grandes villes et dans leurs quartiers en difficulté que se concentre la pauvreté. Elle cherche à se concentrer sur les quartiers "vraiment" les plus en difficulté, pour ne pas s’éparpiller. Ce qui est bien, et ce qui est proposé en réalité et annoncé depuis des décennies. Cette réforme, qui n’est comme vous l'évoquez pas encore achevée, ne changera pas grand-chose, sinon dans un sens positif : enlever quelques territoires qui n’ont rien à y faire, dans une géographie prioritaire de l’action publique. Pour répondre précisément, le périurbain et le rural ne sont pas les grands oubliés. Leurs habitants et élus (très nombreux pour le rural…) peuvent en avoir le sentiment, mais les concentrés de difficultés françaises (jeunesse de côté, communautarisme violent, sexisme, marché de la drogue, taux de pauvreté très élevés) se trouvent ailleurs. Le département le plus pauvre de France n’est pas rural. C’est bien la Seine-Saint-Denis.

"La réforme [territoriale] va aggraver les disparités et les iniquités entre les territoires", avait indiqué Jean-Christophe Fromantin. En quoi celle-ci pourrait-elle augmenter cette fracture ?

La réforme territoriale tient en deux lois. L’une diminue le nombre de régions. L’autre est au stade de la proposition et sera discutée. Cette loi dite NOTR (pour Nouvelle organisation territoriale de la République) s’attaque aux départements, qui ont de la ressource… Ils savent présenter des alternatives. Et ils sont au cœur des politiques sociales. Toutes ces dispositions, aujourd’hui adoptée ou bien au stade du débat (voire du fantasme) sont souvent critiquées car elles valorisent (c’est vrai) les métropoles au détriment d’autres territoires. Je pense que le monde sera de plus en plus fait de métropoles puissantes, en compétition et en coopération, à d’autres échelles que les seules frontières hexagonales. Donc oui, cette métropolisation du monde et de la France va transformer la nature et l’intensité des disparités. Mais ce peut être aussi pour le bien de tout le monde.

Si la loi Duflot ne contient plus la mesure de contrôle des loyers, les dispositions d'encadrement demeurent toujours. Cela ne pourrait-il pas nuire in fine à l'accès au logement, en décourgeant les investisseurs ?

C’est déjà le cas. Ce contrôle des loyers ne verra probablement pas le jour, malgré la volonté de quelques grands élus socialistes jouant plus, en l’espèce, dans la cour de récréation politique que dans celle du nécessaire réalisme face aux marchés du logement. C’est très simple : si vous réduisez les rendements locatifs vous réduisez l’attrait pour les investisseurs. La France est, sur ce point, sinistrée.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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