Michèle Alliot-Marie : François Hollande n’a jamais eu le courage d’arbitrer entre la gauche modérée et la gauche radicale et dogmatique<!-- --> | Atlantico.fr
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Michèle Alliot-Maire juge François Hollande
Michèle Alliot-Maire juge François Hollande
©REUTERS/Rebecca Naden

Entre deux eaux

Michèle Alliot-Marie revient sur la publication de son livre polémique : "La tentation totalitaire de la gauche". Manœuvres, insultes, volonté de conservation du pouvoir, l'ancienne ministre dénonce et décortique un "système" à l'oeuvre depuis 2012.

Michèle  Alliot-Marie

Michèle Alliot-Marie

Membre des gouvernements Jacques Chirac puis Édouard Balladur, elle a consécutivement la charge de quatre ministères : la Défense, l'Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères de 2002 à 2011.

Elle est tête de liste pour la circonscription Sud-Ouest pour les élections européennes de 2014.

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Atlantico : Vous publiez "La tentation totalitaire de la gauche", quels en sont les fondements ? Quelle est la part de responsabilité de la droite dans cette dérive que vous décrivez ?

Michèle Alliot-Marie : La seule vraie responsabilité de la droite est de ne pas avoir été assez convaincante et du coup d’avoir laissé passé la gauche. Au sein de la droite modérée, incarnée aujourd’hui par l’UMP et le centre, il n’y a pas de tentation totalitaire.

A gauche, il y a une gauche modérée et puis une gauche beaucoup plus idéologique. Cela a toujours été le cas et François Hollande n’a jamais eu le courage d’arbitrer, que ce soit en tant que premier secrétaire ou en tant que Président de la République. Cette gauche idéologique a eu, lors des dernières législatives, et grâce à l’appui de Martine Aubry un nombre non négligeable d’élus à l’Assemblée Nationale. C’est dans cette gauche radicale et dogmatique que se manifeste la volonté de transformer profondément notre société, nos règles du vivre ensemble et la volonté de se maintenir coute que coute au pouvoir pour arriver à ses desseins.Certes, à droite et à gauche, quand on est au pouvoir, on a toujours envie de garder le pouvoir. La question est de savoir comment ? Est-ce que c’est en respectant les règles démocratiques ou est-ce que c’est autre chose ? Et ce livre fait le constat de faits très précis, de la façon dont la gauche à la fois modérée et dogmatique s’y prend pour tenir le pouvoir et le conserver.

Aujourd’hui la gauche détient la totalité du pouvoir politique. Elle a l’Assemblée Nationale, elle y rejette systématiquement les amendements de l’opposition. L’attitude de certains députés de gauche, injures, gestes qui font penser aux talibans à l’égard de leurs collègues de droite enfreint la bienséance démocratique. Elle détient la majorité au  Sénat, dans les régions, et dans un bon nombre de départements. Ce que je dénonce c’est la manipulation qui est faite pour essayer de garder le pouvoir. Confronté au risque d’une défaite majeure, voir historique, aux prochaines élections, elle cherche à repousser les échéances, ce que vient de sanctionner le Conseil Constitutionnel. Mais la volonté était bien là car les mesures avaient été prises.

Au delà de cela, la détention du pouvoir c’est également les nominations aux postes à responsabilité, de préfets, de recteurs, de direction des grandes administrations de directeurs de grandes entreprises publiques. Dès leur arrivée, les socialistes ont limogés tous les hauts fonctionnaires, pour y mettre leurs affidés. Alors bien entendu les changements existent toujours, mais jamais de façon aussi radicale, jamais de façon aussi rapide et systématique, jamais avec une telle méthode pour remplacer les gens. Et aujourd’hui ce qui  peut se faire à la tête descend à différents niveaux et cela va jusqu’à une interprète de la Présidence de la République.

Comment expliquer vous le paradoxe entre cette tentation totalitaire que vous dénoncez et la faiblesse du pouvoir actuel ?

Malgré le jugement très négatif des citoyens, la gauche détient la réalité du pouvoir. Ce sont ses hommes qui sont aux manettes et qui prennent les décisions. Un préfet, un Président de Région, un directeur d’administration peut imposer la volonté gouvernementale et faire pression sur les associations, les entreprises ou les citoyens. Ce ne sont pas quelques très rare nomination de personnes classés à droite, comme Jacques Toubon, qui peuvent changer les choses car ce ne sont pas des postes de décisions des nominations.

Cette volonté de pouvoir est également portée par d’autres vecteurs de la gauche que sont les syndicats ou certains médias. Nous venons de voir à travers un simple discours du premier ministre pour les chefs d’entreprise, les réactions négatives dès que quelqu’un dévie de l’idéologie dominante, les syndicats, les députés et les sénateurs de la gauche la plus dogmatique l’ont immédiatement contesté.

La possession du pouvoir ne garantit pas la durée dont la gauche radicale à besoin pour transformer la société selon sa vision dogmatique. Sa volonté se traduit sur le plan institutionnel par l’intention de changer le mode de scrutin en revenant comme en 86 à la proportionnelle par des redécoupages et par le vote des immigrés. Vous notez qu’avec la baisse de l’exécutif dans les sondages, tous ces projets reviennent dans les discours de l’exécutif.

Je souligne également la volonté de transformer la pensée et l’analyse du citoyen par l’intervention des personnes qui, dans les médias représentent la gauche dogmatique. Dans les journaux de gauche la présentation faite des réalités du pays, du chômage, de l’endettement, de la stagnation économique s’accompagne d’explication ou d’excuses à l’échec du gouvernement. De même pour les affaires, si la gauche est en cause, immédiatement des contre feux sont montés, alors même que les faits sont avérés comme dans l’affaire Cahuzac ou la démission de Monsieur Thévenoud. Dans le même temps on voit ses médias relancer des accusations contre des personnes de droite même si cela est à un niveau de simple soupçon et qu’il n’y a rien pour les étayer.

Vous avez dirigé le RPR entre 1999 et 2002 et vous étiez opposée à la formation de l’UMP. Les raisons qui vous ont opposé à cette formation vous semblent-elles encore valables aujourd’hui ?

Certaines craintes que j’avais émises à l’époque se sont malheureusement révélées fondées. Même si nous partageons beaucoup de valeurs, nos familles politiques ont leur identité et leurs spécificités. Est-ce que nous mettre dans un système très uniforme de parti unique ne présentait pas un risque de trop gommer les différences et d’arriver finalement à une doctrine qui ressemble à un filet d’eau tiède qui n’intéressent personne ? Ma crainte était que si on ne permet pas aux différentes identités de s’exprimer, il y ait un risque d’éclatement. Ce qui s’est passé d’ailleurs avec le départ de l’UDI et des radicaux.

Suite à cette période, comment analysez-vous l’évolution des militants de l’UMP par rapport au parti ?

Lorsque j’ai pris le RPR, nous étions aussi en pleine crise. Une crise qui reposait un peu sur les mêmes raisons qu’aujourd’hui, c’est-à-dire des ambitions personnelles qui se traduisent par la formation de clans qui finissent par opposer les gens les uns aux autres. Tout cela gomme l’action menée pour essayer d’améliorer la situation des français au quotidien. Ma préoccupation avait été de remettre les militants au cœur du fonctionnement du parti, pour monter un programme. Leur mobilisation c’est traduit par la victoire à toutes les élections durant ma Présidence. Cela n’est jamais arrivé depuis.

Aujourd’hui, Je constate un peu la même situation. C’est-à-dire une distance entre les militants qui sont sur le terrain, qui voient et qui vivent le quotidien des français, et qui ont l’impression qu’ "à Paris" on est sur une autre planète et que les dirigeants s’occupent trop de leurs égos ou de leur futur et pas suffisamment de ce qui se passe dans le pays. C’est ce qui explique le désamour des français à l’égard des hommes, des femmes mais également des médias politiques.

Faites-vous un parallèle entre le "filet d’eau tiède" que vous évoquez à propos de l’UMP et cette victoire idéologique de la gauche ?

Il ne faut pas oublier que François Hollande n’a pas été élu par une majorité de ceux qui se sont déplacés pour aller voter. Je le rappelle car c’est un évènement sous la Ve République. Il a été élu avec 800 000 voix d’avance mais 2 millions de personnes se sont déplacées pour déposer un bulletin blanc ou nul deux fois et demie de plus que son avance ! Cela posait dès le départ la question de l’adhésion des français au nouveau pouvoir. Alors ensuite il y a eu la victoire aux législatives mais c’est dans la logique des présidentielles. Ce qui se passe est que la gauche n’avait pas anticipé l’ampleur de la victoire aux législatives.  Dans beaucoup d’endroits elle a présenté des candidats qui étaient si je puis dire des militants de base. Je crois sincèrement que c’est ce à quoi se heurte aujourd’hui le gouvernement. Et il s’y heurte d’autant plus que François Hollande, lorsqu’il était premier secrétaire du parti, n’a jamais voulu arbitrer entre la tendance un peu plus moderne des socialistes, sur le mode Blair ou Schröder, et la partie plus dogmatique, marxiste, remettant en cause les fondements institutionnels de la France.

Ce sont les plus durs qui apparaissent comme les porteurs du dogme, ce qui paralyse effectivement une part des socialistes qui ont peur vis à vis de leur base d’apparaître comme des tièdes ou des traitres. Les Français rejettent ce positionnement qui fait prendre des mesures hors de tout bon sens et hors de toute considération des réalités. Arrêtons le politiquement correct, appelons les choses par leur nom et peut être, les français pourront constater que nous sommes sincères, que nous connaissons leurs véritables problèmes et que nous cherchons à les régler.

A la fin de votre livre, vous appeler au retour d’une droite forte. Ces mots ont-ils une signification particulière ?

Pas par rapport à l’intitulé de certains ! Je suis Gaulliste et ce que je veux c’est une France forte et pour cela il faut une droite qui soit fière de porter un certain nombre de valeurs d’humanisme, une droite qui soit courageuse pour mettre en œuvre l’idée de la participation et de l’intéressement, une droite qui soit d’abord préoccupée par l’unité du pays, alors qu’avec la gauche elle éclate totalement. Et une droite qui soit soucieuse de l’image et de l’influence de la France dans le monde. Pour résumer ce que je veux c’est permettre à la France de redevenir forte dans le monde.

Une France forte…soutiendrez-vous Nicolas Sarkozy en cas de retour, notamment comme candidat à la présidence de l’UMP ?

La présidence de l’UMP n’est pas la préoccupation numéro 1 des français qui sont tous confrontés à leurs difficultés de fins de mois, au chômage, à leur retraite, à l’insécurité... Alors bien sûr l’UMP a besoin d’un président. Nous aurons l’élection d’ici quelques semaines, les dépôts de candidature se font avant la fin du mois, nous verrons à ce moment-là. Nicolas Sarkozy a demandé à me rencontrer, s’il veut prendre mon avis, j’en discuterai avec lui. Je constate qu’un grand nombre de militants lui font toujours confiance. Je le lui dirai.

Etes-vous favorable à un retour de Nicolas Sarkozy par le parti ?

Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les problèmes de tactique, de méthode, ou d’ambitions personnelles des uns ou des autres. Chacun doit faire son propre choix. Mais garder en tête l’intérêt supérieur de la France et des Français est la seule chose qui doit compter.

Dans une interview donnée au journal Le Monde, Marine Le Pen se pose en chef de file de l’opposition et se dit prête à gouverner. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas parce que le Front National a gagné une élection européenne dont malheureusement les Français se sont désintéressé, que Marine le Pen peut se targuer d’être le chef de fil l’opposition. Elle est peut être celle qui est la plus outrancière dans les propos mais cela ne veut pas dire être la plus forte pour tenir l’opposition, son discours dit ce que les gens veulent entendre sans aucune solution valable, de plus ses actes en sont très souvent à l’inverse des ses prises de positions comme on peut le voir au Parlement Européen.

En qualité d’ancienne ministre de la défense et d’ancienne ministre des affaires étrangères, quel regard portez-vous sur la situation en Ukraine ?

Je m’inquiète d’une escalade dont on ne sait ni ou elle mène ni comment l’arrêter. Il est temps de passer à la désescalade. Il y a des choses qui ne sont pas admissibles, il faut les dires et réagir. Les rodomontades ne servent à rien. Si nous étions un peu plus forts, que ce soit au plan européen ou au plan français, si nous avions une défense européenne digne de ce nom, il est probable qu’il serait plus facile de faire entendre un certain nombre de choses à Vladimir Poutine. C’est quand on est fort que l’on peut être entendu. C’est encore plus vrai pour la France ! Affaiblir la défense de la France c’est affaiblir sa diplomatie, ne pas faire progresser la défense de l’Europe, c’est accepter qu’elle ne soit pas audible dans les grands problèmes internationaux.

N’oublions pas non plus que la Russie est un grand pays qui est aux portes de l’Europe et nous ne pouvons pas ignorer des centaines de millions de russes. On pense ce que l’on veut de Monsieur Poutine mais si l’on veut avoir une vision un peu prospective, on doit se dire qu’il ne s’agit pas de dire que la Russie n’existe pas, ou de monter les russes contre les européens.

Votre réaction par rapport à la livraison du Mistral ?

François Hollande est toujours à contre-temps. C’est au moment où le Président Russe et le Président Ukrainien annoncent une entente de cessez-le-feu que l’on prend la décision de suspendre les livraisons. Sur le fond, il faut aussi être attentif à la crédibilité de nos entreprises. Et il ne faut pas être naïf ! Ceux qui sont les premiers à demander que l’on ne livre pas les Mistrals sont les allemands et les polonais qui ont tous deux des entreprises de chantiers navals militaires qui sont concurrents des nôtres sur le plan international.

Et sur la crise en Irak ?

La situation est extrêmement préoccupante. C’est une région très instable qui peut réellement menacer la paix du monde. Certains, poussent à une confrontation entre monde occidental et monde Musulman. Il est indispensable qu’au niveau français ou au niveau européen, nous fassions en sorte d’avoir un vrai dialogue, et si possible une action commune avec les pays musulmans modérés, de façon à démontrer que ce sont les modérés, ceux qui plaident pour la tolérance religieuse, pour les libertés, qui luttent ensemble contre l’intégrisme.

Dans les circonstances actuelles, je suis également très préoccupée par la situation des Chrétiens en Irak et de façon générale des Chrétiens d’Orient. Dès le mois de juillet j’avais saisi le Président socialiste du Parlement Européen pour lui demander de faire une réunion extraordinaire du Parlement sur cette question, j’ai renouvelé cette demande à plusieurs reprises. Je regrette que cela n’ait toujours pas été fait même si nous en avons parlé à la commission des affaires étrangères la semaine dernière. Cela me paraît totalement insuffisant et pas à la hauteur du problème. Je continuerai à m’investir sur ce sujet.

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