Emmanuel Macron veut du bon sens à gauche : OPA sur une valeur de droite ou simple gaffe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il n'est pas interdit d'être de gauche et de bon sens", a déclaré Emmanuel Macron au quotidien régional Ouest France ce mardi
"Il n'est pas interdit d'être de gauche et de bon sens", a déclaré Emmanuel Macron au quotidien régional Ouest France ce mardi
©REUTERS/Gonzalo Fuentes

Le monopole des valeurs

Lorsque Emmanuel Macron tente de redéfinir ce que sont les valeurs de la gauche, l'évocation du "bon sens", utilisée principalement par la droite est pour le moins déconcertante.

Marc Crapez

Marc Crapez

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son site).

Il est politologue associé à Sophiapol  (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International  Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un  besoin de certitudes (Michalon).

 

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Atlantico : "Il n'est pas interdit d'être de gauche et de bon sens", a déclaré Emmanuel Macron, ministre de l'Economie dans une interview au quotidien régional Ouest France mardi 2 septembre. Puis de poursuivre : "Être de gauche, pour moi, c’est en effet être efficace, recréer les conditions pour investir, produire et innover. Être de gauche, c’est être juste pour que les efforts comme les gains soient équitablement répartis". Le bon sens est-il vraiment une valeur de gauche ?

Marc Crapez : Aujourd’hui non. Le bon sens est politiquement connoté à droite sinon à l’extrême-droite. Marine Le Pen en a fait le slogan électoral du Rassemblement bleu marine. Et le bon sens est utilisé par des micro-partis, du parti des contribuables (libertariens) de Nicolas Miguet à une fraction de la Manif pour tous, ralliée à l’UMP (voir ici). En somme, des courants qui portent le stigmate droitier du populiste, de l’ultra-libéral ou du "catho".

Emmanuel Macron revendique le bon sens en évoquant, d’une part, la logique de sa grand-mère et, d’autre part, la liberté de ton ("il n’est pas interdit" de penser que…, dit-il). C’est une double audace. Citer sa grand-mère fait un peu "réac", même si Martine Aubry avait utilisé cet artifice rhétorique dans la primaire socialiste contre François Hollande ("ma grand-mère disait que quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup").

Quant à l’expression "il n’est pas interdit de penser que...", c’est une rhétorique de réfutation par l’absurde dont est coutumier Nicolas Sarkozy, qui utilisait aussi la formule "dire que… n’est pas un gros mot". Une réfutation par l’absurde consiste à retourner la question d’un journaliste en répliquant en substance : "Pourquoi voudriez-vous que telle chose soit interdite ?".

Qu'entend-on réellement par "bon sens", en quoi le bon sens est-elle recouvre-t-il une notion idéologique ?

L’exemple précédent montre en quoi le bon sens peut être une notion idéologique : il peut allègrement dériver vers une démagogie du bon sens, qui abuse de la crédulité publique pour flatter des penchants hostiles aux élites.

Précisons aussitôt qu’à l’heure actuelle, c’est dans l’autre sens que le curseur est déséquilibré. Le discours dominant vante le "contre-intuitif". Et nos petits écoliers sont encore abreuvés par l’aphorisme "savoir par cœur n’est pas savoir". Ce précepte absurde, né en 68, trahit simplement une rancœur contre la culture classique.

Qu'évoque-t-il qui puisse être qualifié de droite ou de gauche ?

Le bon sens n’est véritablement ni de droite ni de gauche. Le référendum suisse essayant de redonner aux conseils d’administration un droit de regard sur les rémunérations et, plus généralement, la question des rémunérations abusives, surtout si elles ne sont pas indexées sur des résultats, rassemble une majorité de suffrages auprès des peuples de droite comme de gauche. La coupure passe donc davantage entre le peuple et ses élites.

Deuxième exemple, pioché dans l’actualité, le livre de Valérie Trierweiler raconte une réunion, avec Hollande et Valls, au sujet de Cahuzac, où elle eut l’impression que "les deux hommes le couvrent parce qu’il est l’un des leurs". Cette mansuétude n’émane pas du peuple de gauche. La coupure est, de nouveau, entre le peuple et ses élites. De même, lorsque le 20 heures de France 2 du 3 septembre choisit de boycotter le contenu du livre de Trierweiler, c’est un réflexe de solidarité entre élites qui ne recueille certainement pas l’assentiment des gens de gauche.

Qu'est-ce qui a jusqu'alors mis la gauche et les intellectuels de gauche mal à l'aise avec le bon sens et qui l'a amené à le fustiger ?

Ce sont effectivement les intellectuels de gauche, et non pas la gauche en général, qui fustigent le bon sens. Ayant une haute opinion d’eux-mêmes, ils oublient de tourner sept fois leur langue dans leur bouche avant de parler. Or, la loi du demi-savoir, fondée par Erasme et réitérée par les grands penseurs libéraux, établit une loi des rendements provisoirement décroissants dans l’accès à la connaissance. Entre connaissance courante et connaissance savante, s’étend une sorte de zone grise semée d’embûches, propice aux égarements de l’esprit et à l’esprit de système.

Le bon sens ne détient pas de vérité, mais il détecte le mensonger et le dogmatique, il préserve des idéologies. Les intellectuels de gauche sont gênés aux entournures par cette faculté spontanée à appeler un chat un chat et à mettre le doigt dans la plaie.

Comment expliquer qu'Emmanuel Macron s'en réclame aujourd'hui ?

Le ministre de l’Economie s’en réclame pour rompre, dans le sillage de Manuel Valls, avec certaines lubies. Prétendre que l’austérité proroge la crise, c’est avoir la berlue puisqu’Hollande n’est encore jamais rentré dans le bois dur de la rigueur. Ce constat terre-à-terre vaut au ministre le courroux de Rue89 (voir ici) ou de Médiapart.

L’un des critères les plus établis de la distinction gauche-droite associe la gauche au volontarisme, voire à l’utopie. C’est l’idée que la droite accepte pour partie d’entériner le fait accompli, alors que la gauche prétend intervenir pour améliorer les choses : une intervention désordonnée qui, aux yeux de la droite, ne fait qu’empirer les choses.

Propos recueillis par Carole Dieterich.

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